Boire… l’eau de pluie : les nouvelles techniques pour la rendre potable
Récolter et utiliser l’eau de pluie a de nombreux effets bénéfiques, notamment pour l’équilibre des nappes phréatiques. Mais faut-il aller jusqu’à la boire?
Au départ, c’était pour une question d’autonomie.» Aline, Bruno et leurs deux enfants utilisent de l’eau de pluie pour tous les usages domestiques. Même si leur habitation est reliée au réseau de distribution par sécurité, ils emploient au quotidien l’eau de leurs citernes pour leur hygiène corporelle, le nettoyage, l’entretien du jardin, la vaisselle, la lessive et leur alimentation. «C’est contraignant, mais ça fait partie d’une réflexion globale sur notre consommation, justifie Aline. Comment faire pour que l’eau soit exploitée au mieux et qu’on ne consomme pas plus que ce qu’on reçoit. Par exemple, les enfants demandent toujours s’ils peuvent ou non prendre un bain, en fonction de nos réserves. Ce n’est pas qu’une question d’économie, c’est avoir conscience de quand on peut ouvrir les vannes et quand on ne peut pas.»
C’est contraignant, mais ça fait partie d’une réflexion globale sur notre consommation.
A une époque où le risque de sécheresse devient plus prégnant – un cas parmi d’autres, celui de Barcelone, où l’état d’urgence a été déclaré en ce début 2024 –, la récolte de l’eau de pluie permet d’améliorer les cycles et d’augmenter la résilience, à l’échelle individuelle mais surtout collective. Pour le comprendre, il est fondamental de corriger certaines idées reçues sur la manière dont l’eau circule dans le réseau. «Dans nos animations, nos ateliers ou nos conférences, on constate qu’un certain nombre de personnes pensent que les stations d’épuration servent à épurer l’eau pour en faire de l’eau potable», explique Renaud De Bruyn, ingénieur agronome eaux et forêts et écoconseiller chargé de mission au sein du pool expertise d’Ecoconso, asbl qui «encourage des choix de consommation et des comportements respectueux de l’environnement et de la santé». «Alors que le but d’une station d’épuration est de rejeter dans l’environnement une eau moins chargée en polluants. Notamment en matières organiques, qui constituent une grosse partie de ce qu’on retire.»
Eaux «usées» et eaux «claires»
L’eau de distribution ne provient pas des stations d’épuration, mais a été captée dans des nappes phréatiques. «En Région wallonne, l’eau du robinet vient essentiellement de ressources souterraines», précise Renaud De Bruyn. En 2020, le pourcentage s’élevait à 77%, selon le rapport du SPW Etat des nappes et des masses d’eau souterraine de la Wallonie. La Région de Bruxelles-Capitale dépend, elle, quasi exclusivement (à 97%, selon les chiffres de Bruxelles Environnement) de l’eau wallonne. «Ces nappes phréatiques ne sont pas forcément des grottes mais simplement des endroits où l’eau est naturellement stockée, poursuit l’expert d’Ecoconso. Cette eau est naturellement épurée par le fait qu’elle a dû traverser des couches dans le sol. Certaines de ces eaux sont de très bonne qualité et ne doivent pour ainsi dire pas être traitées avant d’être distribuées.» Et quand la qualité n’est pas suffisante? « En général, on la dilue avec de l’eau de meilleure qualité pour obtenir une eau qui répond globalement aux différentes normes. Parce que c’est souvent la dose qui fait le poison: c’est la quantité de polluants qui peut poser des problèmes de santé.»
Utiliser de l’eau de pluie à la place de l’eau du robinet, c’est donc éviter d’aller puiser de l’eau dans les nappes, de plus en plus difficilement alimentées à cause de l’artificialisation des sols en ville et de l’imperméabilisation des champs liée à l’agriculture intensive. Mais ce n’est pas tout. «Typiquement, en Belgique, quand on recourt à l’eau de pluie, il s’agit de l’eau qui tombe sur le toit. Si celle-ci n’est pas récoltée, elle va dans les égouts, vers les stations d’épuration, avant d’être rejetée dans l’environnement.» Ce qui pose la question des réseaux actuels où les eaux dites «usées» et les eaux dites «claires» se retrouvent mélangées à la sortie des habitations.
Autre avantage des citernes d’eau de pluie relevé par Renaud De Bruyn: un effet positif sur le risque d’inondation, par effet tampon. «Mais ça ne fonctionne évidemment que si les citernes peuvent se remplir, car si elles sont pleines, le surplus se déverse de toute façon dans les égouts.» Un atout supplémentaire de l’eau de pluie est qu’elle est bien moins chargée en calcaire que l’eau de distribution. «Je le constate sur ma peau, qui est moins asséchée par les douches, mais aussi avec mes appareils électroménagers, qui s’encrassent moins, souligne Aline. Ça a un donc un effet positif sur leur durée de vie.»
Du plus grossier au plus fin
Une fois l’eau de pluie recueillie et stockée, les systèmes à mettre en place pour son utilisation domestique dépendront des usages envisagés, et donc du degré de filtration nécessaire. «Pour une utilisation dans le jardin, il faut installer un filtre à feuilles au niveau de la citerne pour éviter l’accumulation de matières organiques, stipule Renaud De Bruyn. Pour les WC et les lave-linges, il faut un système avec une finesse de filtration de vingt microns. Pour la douche, on ajoute un autre filtre à cinq microns. Pour la cuisine et la boisson, pour rendre l’eau potable, on descend jusqu’à 0,5 micron. La filtration, c’est toujours un peu la même idée: on essaie simplement de capter les éléments en suspension dans l’eau, en différentes étapes. Dans une station d’épuration, cela fonctionne exactement de la même façon, du plus grossier au plus fin. On ne potabilisera pas de l’eau pour un lave-linge, ce n’est pas nécessaire, et de toute manière les rendements ne sont pas assez bons. Les dispositifs de potabilisation ne fournissent pas suffisamment de litres d’eau à la minute pour qu’un lave-linge ou une chasse puisse fonctionner. Pour l’eau potable, les filtres peuvent aussi intégrer du charbon actif qui, comme une éponge, captera dans ses cavités d’autres types de polluants, comme les pesticides et les Pfas.»
Pour la potabilisation, plusieurs systèmes de filtration existent. «Le choix du système dépend de l’eau qu’on a au départ. C’est bien de la faire analyser au préalable», relève Caroline Pultz, membre du Low-Tech Lab, à Concarneau, en France, qui collecte et diffuse les low-tech depuis 2013. La problématique de la gestion de l’eau, Caroline Pultz la connaît bien, notamment à travers l’expérience «Mission Biosphère», menée avec son complice du Low-Tech Lab Corentin de Chatelperron: vivre quatre mois en quasi- autonomie dans le désert mexicain (avec quinze litres d’eau par personne et par jour). «En testant l’eau avec un conductimètre, nous avons constaté qu’un système Ecofiltro reminéralise l’eau, alors qu’un Berkey la déminéralise», indique-t-elle.
Le système du fabricant américain Berkey – au cœur d’une récente polémique par rapport à ses taux de filtration annoncés – se compose de deux cuves et d’un couvercle en acier inoxydable et d’éléments filtrants en charbon de coco «qui éliminent les bactéries, les virus, les métaux lourds, les produits chimiques, les pesticides et les sédiments». C’est ce système qu’a installé la famille d’Aline et Bruno. Prix d’un Berkey de 12,3 litres (pour trois à cinq personnes): 462 euros. «C’est cher, et ça ne peut pas être recyclé en fin de vie», poursuit Caroline Pultz, qui marque une préférence pour le caractère durable d’Ecofiltro. «Ecofiltro est une entreprise guatémaltèque dont le système assez low tech utilise des matériaux locaux et biosourcés: de l’argile, de la sciure de bois transformée en charbon actif et de l’argent colloïdal qui sert de bactéricide.» Le prix est aussi doux: 220 euros pour un Ecofiltre de vingt litres.
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Plutôt que de reposer sur la simple gravité, les systèmes de filtration à osmose inversée utilisent la pression pour faire passer les molécules d’eau à travers une membrane semi-perméable. «Certains affirment que l’osmose inversée est vraiment la panacée, d’autres disent que ça va trop loin dans la filtration», précise Renaud De Bruyn. Même reproche pour les systèmes de filtration à UV, qui tuent toutes les bactéries potentielles: à force de purifier, on se retrouve avec des eaux complètement «mortes».
L’eau de pluie, à consommer avec modération
Avant de se lancer tête baissée dans la potabilisation, deux mises au point s’imposent encore. La première est la proportion d’eau potable nécessaire au quotidien: sur une consommation moyenne belge de 96 litres par jour et par personne, deux ou trois litres seulement sont destinés à la boisson et à la cuisine. Autour de 2% donc. L’impact est donc minime comparé à l’usage pour les douches (en moyenne dix litres par minute) et les WC (entre trois et huit litres par chasse).
La deuxième est qu’il est fondamental qu’à côté de la récupération d’eau de pluie perdure un réseau de distribution public de qualité. «Parce que tout le monde ne peut pas se permettre de devenir indépendant en eau, souligne Renaud De Bruyn. ça ne peut fonctionner que si on a suffisamment de surface de toiture pour la récolter et suffisamment de place pour installer une citerne – de quinze à vingt mètres cubes – pour le stockage. C’est une question de solidarité. Par ailleurs, si l’on n’utilisait plus l’eau souterraine à des fins d’alimentation humaine, il est probable que nous serions moins attentifs à sa qualité. On autorise dans les eaux de surface qu’on ne boit pas directement des quantités de polluants plus importantes que dans l’eau de consommation.» En conclusion, de l’eau de pluie, oui, mais avec modération…
Goût de chlore
L’expérience est assez désagréable: l’eau courante a parfois un goût de chlore. «Dans le réseau public, le chlore n’est pas utilisé pour rendre l’eau potable mais pour éviter le développement de bactéries tout au long du cheminement de l’eau, depuis son pompage jusqu’à sa distribution, en passant par le château d’eau, précise Renaud De Bruyn. Ce qui n’est pas nécessaire dans un système de filtration domestique où la distance entre le filtre et le robinet n’est au maximum que de quelques dizaines de centimètres.»
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