Bring Back: un centre de lavage liégeois pour généraliser le verre consigné
A Herstal, Bring Back lave bocaux et bouteilles pour booster le verre consigné. Une démarche cinq fois plus écologique que le recyclage du même matériau.
On n’a pas tous les mêmes lectures de vacances. Pas de polar ou de romance à l’eau de rose pour Laurent Halmes pendant son long trip en Asie du Sud-Est, mais des ouvrages sur l’économie circulaire et des analystes comparatives de cycles de vie, ces outils qui permettent d’évaluer globalement l’impact de produits ou de services sur l’environnement. « C’est comme ça que j’ai découvert que réutiliser le verre était jusqu’à 5 fois plus écologique que de le faire fondre pour le recyclage, explique le patron et fondateur de l’entreprise de lavage liégeoise Bring Back. Le lavage nécessite une chaleur de 80 degrés, contre 1500 degrés pour la fonte. C’est là que réside la grande différence puisque pour le reste, il y a du transport et de la consommation d’eau dans les deux filières. »
Une fois rentré en Belgique, le jeune ingénieur de gestion né à Eupen et formé à HEC Liège se penche sérieusement sur la question et commence à contacter des producteurs. « Il s’est très vite avéré qu’aussi bien ceux qui appliquaient la consigne que ceux qui ne l’appliquaient pas ne savaient pas que le lavage des emballages en verre est réellement plus écologique. Au départ, la consigne sur le verre a été introduite pour des raisons économiques. Pour les grands groupes industriels, laver les emballages coûtait moins cher que d’acheter des emballages neufs, et c’est d’autant plus le cas aujourd’hui. Mais surtout, ça crée une filière d’approvisionnement et ça permet d’éviter le problème des pénuries qui surviennent parfois dans la production du verre. Car quand on n’a plus de bouteilles, on ne vend plus rien. Pour une entreprise, ça peut être la mort. »
Au niveau international, la Belgique est plutôt bien classée en matière de consignes sur le verre, particulièrement sur les bouteilles de bière, en format 33 cl. « En Belgique, on utilise deux modèles, précise Laurent Halmes : la bouteille 33 cl Steinie, pour la Duvel, la Saint-Feuillien, la Val-Dieu… et l’APA, utilisée par Jupiler, Leffe, Hoegaarden, etc. Et ça fonctionne très bien, avec un taux de retour qui peut atteindre 95 %. » Mais dans sa prospection, le jeune entrepreneur se rend compte que de très nombreux industriels de petite ou moyenne taille n’ont jamais envisagé la solution de la consigne. « Parce que tout simplement ce n’est pas à leur portée. Parce qu’il faut un budget pour investir, il faut de l’espace et c’est une compétence qu’il faut avoir en interne, même si ce n’est pas un processus très compliqué. Le producteur se concentre sur ce qu’il doit faire : produire. D’où l’idée de proposer notre service en tant que prestataire externe : on lave pour vous, on vous permet d’adopter un emballage réutilisable, plus écologique, moins cher, sans que vous ne deviez changer le processus de production. »
10 millions par an
Avec son nom anglais (« rapporter ») qui réveillera chez certains le refrain d’un hit dance de la fin des années 90 signé Moloko, Bring Back, hébergé par l’asbl Groupe Terre sur le zoning des Hauts-Sarts à Herstal, est le premier centre de lavage de récipients alimentaires en Belgique (il a été suivi de près par une autre entreprise, en Flandre) et a été lauréat en 2021 de l’appel à projets Go Circular, qui vise à stimuler l’économie circulaire en Région wallonne.
L’unité de lavage, capable de traiter 10 millions de bouteilles par an (au rythme de 3 000 bouteilles par heure), a été lancée début 2022. « Nos premiers clients étaient des producteurs qui faisaient déjà laver leurs emballages à l’étranger, notamment en France. Le métier de laveur est un modèle qui a continué à exister surtout dans les régions viticoles, parce que les bouteilles de vin sont des bouteilles très chères. Ces producteurs belges-là étaient très contents de voir un acteur émerger ici, beaucoup plus proche d’eux, ce qui permet plus de flexibilité. Et puis il y en avait qui étaient vraiment en attente de cette solution de lavage et qui ont switché vers l’emballage consigné grâce à nous. »
Avec son équipe de sept personnes, Bring Back lave les bouteilles de bières de petits producteurs comme la brasserie Elfique, à Aywaille, la brasserie Valduc-Thor, à Thorembais-Saint-Trond, la brasserie Lupulus, à Gouvy, la brasserie Brunehaut, à Rongy, et la brasserie De Ranke, à Mouscron. « Certaines brasseries plus grandes ont les machines pour laver les bouteilles de 33 cl en interne, mais pas les 75 cl, parce que ce sont des cellules différentes. Ces bouteilles-là, on peut les prendre en charge chez Bring Back», souligne Laurent Halmes. L’entreprise nettoie aussi des bouteilles de vin, notamment pour la célèbre maison namuroise Grafé Lecocq, et des bouteilles de jus de fruits, pour Marc Ballat, Alain Cornet et Appelfabriek.
Mais le grand rêve de Laurent Halmes est de développer la consigne des bocaux, telle qu’elle est pratiquée dans tous les supermarchés en Allemagne et qui pour l’instant se limite en Belgique aux magasins bio, dont la chaîne Bio-Planet, du groupe Colruyt. « Nous travaillons déjà avec la Fromagerie des Ardennes (Bioferme) et la marque liégeoise Maria & Franz, qui produit des tartinades, du choco, du miel, des confitures, des olives, des sauces… Actuellement, nous lavons à 85 % des bouteilles et à 15 % des bocaux, mais j’espère inverser ces proportions, confie l’entrepreneur. J’espère qu’un jour on pourra rapporter ses bocaux dans n’importe quel supermarché comme on le fait pour les bouteilles de bière. La clé de la consigne, c’est la standardisation, il n’y a pas photo.Il faut que tout le monde utilise le même modèle de bocal. Il y a encore beaucoup à faire, mais j’y crois. Parce qu’on est dans une situation où l’on se permet encore de ne parfois pas faire le bon choix, mais je pense qu’au final, on n’a pas d’autre option : il faut changer de comportement. L’Union européenne s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050, mais jusqu’à présent, on émet encore plus de CO2 chaque année, on n’a même pas encore réussi à stabiliser nos émissions, et donc encore moins à les diminuer. »
Persuadé que l’économie circulaire représente une véritable opportunité pour les entrepreneurs qui se montreront assez agiles, Laurent Halmes sait que le potentiel de Bring Back est énorme. « Toutes les grandes surfaces en Belgique gèrent déjà la consigne, elles sont équipées de machines de déconsignation ou d’un flux de gestion. Donc techniquement, c’est tout à fait faisable. La transition prend toujours beaucoup de temps au début, mais à un moment, tout change du jour au lendemain. C’est ce point qu’il faut atteindre au plus vite. En Belgique, on parle d’instaurer une consigne sur les canettes et les bouteilles en plastique, ce qui permettrait d’améliorer les filières du recyclage. Je pense que c’est un bonne chose, et tôt ou tard il faudra le faire. Mais avant d’instaurer ça, il faudrait imposer une consigne obligatoire sur tous les emballages en verre. Parce que l’impact écologique est plus fort. »
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