Alain Hubert, au cœur d’un nouveau documentaire: «Nous devons changer nos comportements énergétiques»

Estelle Spoto Journaliste

Dans les salles ce 5 mars, le documentaire 2050 remet sous les feux des projecteurs la station antarctique Princesse Elisabeth et son initiateur, Alain Hubert. Un film en forme de cri d’alarme, qui montre aussi que des solutions sont à portée de main.

2050. Le titre est une année-butoir. Un ultimatum, pour l’humanité entière. «Je le dis dans le film, et je le répète: si d’ici à 2050 nous n’arrivons pas à changer nos comportements énergétiques, je ne donne aucune chance à nos sociétés de s’en tirer sur Terre. Ça semble un peu sévère, mais je vous dis franchement que je le crois, déclare Alain Hubert. 2050, c’est dans 25 ans. C’est demain, mais ça nous laisse quand même du temps pour réagir.» L’explorateur polaire belge figure au cœur du nouveau documentaire réalisé par Eric Goens et Kristof Van Den Bergh, qui se déroule en grande partie dans et autour de la station antarctique Princesse Elisabeth, inaugurée en 2009.


Le film, aux images grandioses captées sur les étendues glacées, entrecroise l’expédition historique du pionnier belge Adrien de Gerlache, qui fut le premier à réaliser un hivernage en Antarctique, à bord du Belgica, en 1898 et 1899, et les défis qui se posent aux scientifiques aujourd’hui. Outre Alain Hubert, on y suit notamment le glaciologue français Eric Rignot et on y évoque, au côté de son fils Simon, le destin de Konrad «Koni» Steffen, décédé tragiquement en 2020 et dont les mesures au Groenland ont été déterminantes.

Les discours de ces experts vont tous dans le même sens: la fonte des glaces aux pôles le démontre de manière criante, il est plus qu’urgent d’agir. «Les modèles mathématiques disent qu’en 2100, on aura au minimum 70 ou 80 centimètres d’augmentation moyenne du niveau des océans. Je peux déjà vous dire que ça, c’est faux, prévient Alain Hubert. Tous les scientifiques vous diront que +1,5 degré, on peut oublier, on est au-delà. Ça veut dire qu’on aura éventuellement jusqu’à 1m80 d’augmentation moyenne du niveau des océans. En Belgique, on est mal! Et ça, c’est dans 75 ans.» Concrètement, «on est mal» se traduit dans les cartes prévisionnelles par toute la région côtière, mais aussi les villes de Gand, Malines ou encore Anvers, qui se retrouvent sous eau.

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Trois pushs

Face à cette menace imminente, que faire? Donnée à voir dans certains de ces aspects dans le documentaire, la vie quotidienne dans la station Princesse Elisabeth offre une réponse. «Cette station, qui fonctionne à l’énergie solaire et éolienne, est conçue pour être une station zéro émission, souligne Alain Hubert. D’une part parce que ça coûte très cher d’amener de l’énergie: si on achète un fût de kérosène à 200 euros pour 200 litres, il arrive à 1.600 euros en Antarctique. Et d’autre part, parce qu’il y a un protocole environnemental dans le traité. Pour parvenir à cet objectif zéro émission, nous avons dû imposer des règles à tous les utilisateurs de la station. Nous avons un ordinateur central –il s’appelle James– qui mesure l’énergie à plus de 2.000 points. A tout moment on sait ce qui est consommé comme énergie et par qui. Quand vous avez besoin d’énergie, vous devez la demander à l’ordinateur, elle n’est pas disponible par défaut. Vous appuyez sur un bouton à côté de la prise ou de l’appareil que vous voulez démarrer, que ce soit dans la cuisine ou dans un atelier scientifique. Ça prend une seconde et vous avez de l’énergie pour une demi-heure. Après ça, il faut la redemander –même s’il y a des exceptions. Or, que faisons-nous, dans nos sociétés occidentales, quand nous n’obtenons pas tout de suite ce que nous voulons? Nous ne sommes pas contents! Et donc nous poussons deux fois, trois fois sur le bouton. Avec nos ingénieurs, nous avons programmé une sorte de punition: s’il y a trois pushs successifs, l’ordinateur coupe l’électricité pendant une heure à ce point-là. Nous devons revoir notre relation à l’énergie, à nos modes de vie, en fait. Sans pour autant retourner en arrière.»

«Il faudrait emmener les politiques en expédition polaire pour qu’ils comprennent.»

Fonctionner avec des énergies renouvelables comme le soleil et le vent implique une souplesse accrue. «Grâce à l’ordinateur central, on évalue l’énergie qu’on a, et en fonction de ça, on va activer ou désactiver les charges électriques, explique dans le film Nicolas Herinckx, ingénieur en électronique sur la station. Par exemple, un jour où on a beaucoup d’énergie parce qu’il y a une tempête de vent, on en profite pour faire fondre de la neige, faire chauffer les réserves d’eau chaude au maximum.» A propos de l’eau, celle-ci est utilisée avec parcimonie dans la station, mais aussi traitée sur place pour être réutilisée. «Cette année, nous avons traité 110.000 litres, en produisant quinze kilos de matière sèche à la fin de la saison, s’enthousiasme Alain Hubert. Personne au monde ne fait ça.»

A partir de la nature

Pour Alain Hubert, dans cette gestion des ressources, il y a une similitude avec le mode de vie de certaines populations nomades rencontrées lors de ses expéditions. «Les Inuits au Canada, par exemple, vivent à partir de la nature, à partir des moyens dont ils disposent. Ils ont cette capacité de comprendre notre environnement qui change. Nous devons comprendre notre environnement. Ne plus construire une maison là où il y a des inondations. Créer plus d’espaces verts. Réfléchir à la manière dont on gérera une ville avec plus de gens. C’est passionnant.»
Et de poursuivre: «Aujourd’hui, plus personne ne peut contester le caractère anthropique du changement climatique et c’est notre relation à l’énergie qui en est la cause. Donc nous savons ce que nous devons faire pour survivre en tant qu’espèce sur cette planète. Le problème, c’est que nous ne voulons pas changer. Or, s’il y a une chose que j’ai apprise en expédition –sinon, je serais déjà mort–, c’est que notre seule force à nous, les petits humains, devant la nature qui a de toute manière une force qui nous dépasse, c’est de pouvoir changer notre comportement devant le danger. Je dis souvent qu’il faudrait emmener les politiques en expédition polaire pour qu’ils le comprennent.»

Alain Hubert ne baisse pas les bras, et s’apprête à soulever d’autres montagnes. Avec sa femme Gigi et Eric Rignot, il a relancé le projet Andromeda, une station polaire «du XXIIe siècle». Il y a deux ans, un «Memorandum of understanding» (protocole d’entente) a déjà été signé avec l’université de Californie à Irvine. L’aventure continue…


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