Yasmina Khadra : « Les djihadistes ont peur de leur émir, pas de mourir »
L’écrivain algérien Yasmina Khadra pointe la puissance de l’endoctrinement et du contrôle des prédicateurs islamistes. Dans son dernier roman, Khalil, le doute s’immisce pourtant dans le parcours d’un terroriste, de Molenbeek à Paris…
L’écrivain algérien Yasmina Khadra dresse, dans son dernier roman, Khalil (Julliard, 262 p.), le portrait d’un candidat djihadiste de Molenbeek parti commettre un attentat à Paris et obligé d’y renoncer en raison d’un apparent problème technique. Rencontre avec un auteur, ancien membre de l’armée algérienne en charge de la lutte anti-islamiste, pour lequel toute ressemblance avec des personnages réels n’est pas fortuite.
Etre mal aimé dans sa famille, ne pas trouver sa place dans la société, figurer une cible pour des prédicateurs malins, bref, le parcours de Khalil : est-ce le cocktail type de l’entrée en djihadisme ?
A 80 %, oui. J’en ai fait l’expérience en Algérie. L’intégriste potentiel, susceptible de choisir la violence comme seul type d’expression, était issu à 80 % de familles à problèmes, notamment dans la relation avec les parents. Mon livre insiste sur la responsabilité de ceux-ci. Ils doivent être attentifs à ce qui se passe autour d’eux et ne pas croire que la société est seule capable de construire les hommes de demain. Ce scénario se reproduit dans les sociétés européennes, comme il a été observé au sein de tous les mouvements idéologiques, le nazisme, le racisme…
Pour les mentors de Khalil, aucune véritable reconnaissance n’est possible pour un musulman en Europe. Vous, croyez-vous à la possibilité de l’ascenseur social pour un citoyen d’origine immigrée ?
Oui. Il suffit de le prendre. Quelqu’un qui s’apitoie sur son sort et qui devient tellement fragile que n’importe quel vent peut le secouer a besoin de trouver un prétexte pour légitimer son insignifiance et son insuccès. Les gourous, les prédicateurs, les politiques le lui donnent : » Tu ne pourras jamais être autre chose que ce que la société voudrait que tu sois. Moi je t’offre l’occasion d’être ce que tu veux. »
Quel est le meilleur remède pour ne pas tomber dans ce piège ?
Les parents et l’école. Et il faut arrêter d’inviter sur tous les plateaux des médias les diseurs de violence, de haine et de déni, de tous bords. C’est bon pour l’audimat. Mais l’audimat ne doit pas primer sur le sort de l’humanité. Un jour, le buzz nous explosera à la figure.
Un rapport de l’institut Montaigne publié récemment appelle au réveil des musulmans face à l’islamisme. Qu’en pensez-vous ?
Ses auteurs ignorent ce qui se passe dans le monde musulman et ils veulent donner des leçons. La violence islamiste a fait 200 000 morts civils et 15 000 morts militaires en Algérie, dans les années 1990. A l’époque, les responsables, en Europe, l’ont réduite à une question de sous-humanité et de dérive sociale. Ils ont estimé que cela ne pouvait arriver que dans un pays qui n’avait pas de projet de société. Et ils n’ont jamais pensé que cette pandémie allait contaminer le monde entier. Quand je le leur prédisais, ils en rigolaient.
L’engagement dans un groupe comme l’Etat islamique relève-t-il du phénomène de secte ?
Oui, parce qu’il consiste à dépersonnaliser quelqu’un, à l’opposer à lui-même et à en faire exactement le contraire de ce qu’il a été. Un travail de chosification et puis de manipulation.
Cet endoctrinement n’est il pas extrêmement redoutable ?
Comme je l’ai écrit dans Khalil, les djihadistes n’ont pas peur de mourir. Mais ils ont peur de leur émir. Ils sont encadrés, suivis, contrôlés. Ils ont le sentiment d’être surveillés en permanence. Ils sont suspects aux yeux des leurs.
Comment sortir de l’engrenage de la violence djihadiste ?
Appliquer les lois. Considérer le djihadiste comme un criminel et non comme une entité abstraite. Ce sont les mêmes personnes qui s’engagent dans le djihadisme, le narco-trafic, le néonazisme…
Craignez-vous qu’une confrontation entre extrêmes dégénère en violences ?
Il suffit d’un rien. Une bagarre qui dégénère et vous avez la guerre civile. Tous les ingrédients sont réunis. C’est pour cela qu’il faut réagir maintenant. Il faut mobiliser les peuples pour qu’ils se préservent de ce qui se prépare contre eux. Les intellectuels et les politiques qui font croire que les musulmans constituent un danger, ce sont eux le réel danger. Il faut mettre fin à cette caisse de résonance. Un livre aux accents racistes est un succès garanti. Si vous écrivez un livre sur l’apaisement, il faut se battre pour convaincre de sa pertinence.
Comment situez-vous la question des migrations dans ce contexte ?
Il faut donner leur chance à ces jeunes dans leur propre pays. Et arrêter de mettre à la tête de ces nations des chefs d’Etat corrompus à la solde des puissances occidentales. Les gens fuient la misère alors que l’Afrique est un continent très riche. Il faut aider les pays africains, ne fût-ce que par le respect de leurs ambitions.
L’Europe a-t-elle à apprendre de la façon dont l’Algérie a traité l’islamisme violent ?
L’Europe doit comprendre que la situation actuelle n’est pas irréversible, infaillible et invulnérable. Si l’Algérie a réussi à vaincre l’islamisme armé avec des moyens dérisoires, l’Europe peut très bien l’éradiquer.
Est-ce dû à l’extrême proximité avec une actualité qui a tant bouleversé et intrigué ? Khalil ne nous est pas apparu comme le meilleur roman du prolifique Yasmina Khadra. Sur le même thème, L’attentat (Julliard, 2005) recelait une force narrative autrement plus puissante. D’assez convenue, l’histoire de Khalil gagne tout de même en épaisseur au fil des pages avec un questionnement bienvenu sur l’autonomie de discernement, l’hypocrisie des islamophobes, le tribut payé par les musulmans à ce fanatisme et la dimension aléatoire des parcours de vie. Yasmina Khadra s’y connaît d’ailleurs pour entretenir le mystère. Si son personnage principal découvre que sa ceinture d’explosifs devait en réalité être déclenchée à distance (mais pourquoi ?), c’est, dit-il, parce qu’il pense que les vrais terroristes du stade de France se seraient fait exploser parmi la foule à l’issue du match s’ils avaient été maîtres de leur mort programmée.
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