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XXe Congrès du Parti communiste chinois : jusqu’où Xi Jinping est-il prêt à aller?

Le XXe Congrès du Parti communiste chinois qui s’ouvre le 16 octobre devrait encore renforcer le pouvoir du président Xi Jinping. Mais à quel prix? Alors que sa politique de répression a réduit au silence la société civile, il pourrait être tenté par une aventure militaire à Taïwan.

Comme toujours, Xi Jinping est au centre. Autour de lui, les 24 autres membres du bureau politique du Parti communiste chinois (PCC), les entrailles du pouvoir politique en Chine. Droits comme des piquets. Concentrés. Presque subjugués. Ils ont les yeux rivés sur des images à la gloire du pays. Et de son président, bien sûr ; l’un ne va pas sans l’autre. Partout, des écrans géants, où sont projetées photos et vidéos exaltant les «grands succès» du PCC, tapissent les murs du Centre des expositions de Pékin. C’est ici que Xi Jinping, flanqué de tout le gratin du parti unique, a inauguré, le 27 septembre, une exposition consacrée aux «progrès décisifs» de la dernière décennie. Soit la période du règne de Xi Jinping lui-même.

On ne voit pas qui pourrait constituer un réel danger politique capable de concurrencer Xi Jinping ou d’incarner une résistance sérieuse à son pouvoir quasi absolu.

Dans l’enceinte de cet espace qui s’étale sur plus de 30 000 m2, on le voit présenter des «réalisations emblématiques» achevées par l’Etat-parti depuis qu’il est à la tête du pays: les membres du comité permanent du Politburo, c’est-à-dire les six autres dirigeants les plus influents du pays, écoutent attentivement la parole du «camarade Xi». Pendant la cérémonie d’ouverture de l’événement intitulé «Aller de l’avant dans la nouvelle ère», l’un deux, Wang Huning, ne tarit pas d’éloges à l’égard du maître de Pékin. «La raison pour laquelle le Parti et le pays ont pu accomplir des changements historiques réside dans le fait que le secrétaire général Xi Jinping en est à la tête», a déclaré, dans son panégyrique, l’idéologue du PCC. Le timing de cette mise en scène n’est pas anodin: elle vient balayer une folle rumeur, infondée mais qui a enflé sur Twitter les jours précédents, selon laquelle le président Xi, absent de la scène publique depuis son retour d’Ouzbékistan le 16 septembre, serait assigné à résidence par l’armée. Surtout, cette réapparition montre l’unité, du moins en apparence, des caciques du parti derrière leur patron, Xi Jinping, à l’approche du XXe Congrès du PCC.

Ce grand raout du pouvoir chinois, qui a lieu tous les cinq ans, au Palais du peuple, place Tiananmen, le cœur de la capitale, s’ouvre le 16 octobre. Xi Jinping, qui cumule les fonctions de président de la République populaire de Chine (RPC), secrétaire général du PCC et président de la Commission militaire centrale, restera-t-il au pouvoir? La question peut paraître rhétorique, tant il semble diriger le Parti-Etat d’une poigne féroce. Le dirigeant chinois de 69 ans devrait, sauf immense surprise, conserver son poste à la tête du parti et exercer, a minima, un troisième mandat. «On ne voit pas qui pourrait constituer un réel danger politique capable de le concurrencer ou d’incarner une résistance sérieuse à son pouvoir quasi absolu. Xi a réussi à transformer le Politburo en une sorte de cour royale, un peu comme celle de Louis XIV», observe le sinologue Michel Bonnin, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), à Paris.

Campagne anticorruption

Alex Payette, fondateur de la société de conseil en géopolitique Cercius (Montréal), n’écarte pas un renouvellement arbitraire des plus hauts dirigeants chinois, sélectionnés sur des critères de loyauté envers Xi Jinping plutôt que sur leurs compétences. «Dans tous les cas, Xi s’entourera de proches qui lui sont intègres, estime le spécialiste des stratégies de résilience du Parti communiste chinois. Finalement, la question n’est pas tant de savoir s’il veut rester au pouvoir mais s’il peut s’en extraire, poursuit le sinologue. Il a créé des conditions structurelles qui l’empêchent de partir. Après dix années de lutte anticorruption qui ont énormément atomisé les mouvements de résistance au sein du Parti, Xi s’est fait un tas d’ennemis: il est donc contraint de s’accrocher au pouvoir pour échapper à un retour de bâton s’il le quittait.»

Manœuvres navales chinoises au large de Taïwan. L’île est la dernière pièce manquante du pouvoir de Xi Jinping pour réaliser son «rêve chinois».
Manœuvres navales chinoises au large de Taïwan. L’île est la dernière pièce manquante du pouvoir de Xi Jinping pour réaliser son «rêve chinois». © belga image

Sitôt désigné secrétaire du Parti, à l’automne 2012, il a supervisé une campagne anticorruption sans précédent, peu avant d’être intronisé président de la RPC en 2013. Depuis, 1,5 million de membres du parti ont été sanctionnés: une chasse aux «mouches», des cadres de bas ou moyen échelon, mais aussi aux «tigres», des officiels du haut du panier, tel que Zhou Yongkang, rival de Xi et ex-membre du comité permanent (2007-2012), condamné en 2015 à passer le restant de sa vie derrière les barreaux. Il y a encore quelques semaines, fin septembre, six anciens hauts responsables de la police, soupçonnés de ne pas être assez loyaux envers le boss, ont écopé de lourdes peines de prison, dont quatre à vie. En définitive, Xi est parvenu à tirer profit de cette vaste purge en l’utilisant comme arme politique destinée à atrophier les factions et réseaux adverses.

Xi Jinping a mis en œuvre une politique de répression globale destinée à réduire au silence l’ensemble de la société civile.

Personnalisation du pouvoir

S’il fait le ménage à l’intérieur même du parti, c’est pour lui conférer davantage de pouvoir. Et, parallèlement, ce pouvoir n’a jamais cessé de se resserrer autour de la figure de Xi. Durcissement de la censure, production de contenus proparti et pro-Xi sur Internet: dès 2015, Xi Jinping «renforce le monopole du [PCC] avec vigueur et rapidité, consolidant la surveillance des médias par le parti», relève Alice Ekman, analyste responsable de l’Asie à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne, dans l’ouvrage Rouge vif.L’idéal communiste chinois (L’Observatoire, 2020). Considérés par le parti comme des outils d’un système de propagande ultracadré, les journalistes «sont largement utilisés pour promouvoir la personnalité, les actions et les priorités de Xi Jinping», écrit la sinologue. En 2016, «Oncle Xi», dixit les médias d’Etat, a ainsi exigé d’eux «une loyauté absolue».

Cette personnalisation du pouvoir est loin de s’arrêter là. Lors du XIXe Congrès du PCC, l’année suivante, «la pensée de Xi Jinping du socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère» a été gravée dans la charte du parti. Seul Mao Zedong (1893-1976), père fondateur de la RPC en 1949, avait eu droit à un tel sacre auparavant. Désormais, la «pensée de Xi» est aussi une matière enseignée à l’école. Photos à la Une des quotidiens officiels, affiches placardées dans la rue, portraits encadrés au bureau: en Chine, Xi est partout, tout le temps. Omnipotent. Pas moins effrayante, surtout depuis qu’une étude a révélé qu’elle servirait à espionner ses utilisateurs, l’application mobile «Etudier Xi, rendre le pays plus fort», obligatoire pour les membres du Parti, s’invite, depuis 2019, sur les smartphones.

Un an plus tôt, en 2018, Xi faisait amender la Constitution pour abolir la limite des mandats présidentiels, fixée à deux de cinq ans jusqu’alors et qui prévalait depuis 1982. «Le signe le plus clair de la volonté de Xi de rester au pouvoir au-delà de dix ans», note Jérôme Doyon, maître de conférences à l’université d’Edimbourg, dans l’article «Le XXe Congrès du PCC: le renouvellement introuvable» (revue Politique étrangère, 2022/3). Si en revanche, il n’y a pas de limite formelle concernant la durée du mandat de secrétaire général du parti, le successeur de Mao, Deng Xiaoping, avait établi un système informel de passation de pouvoir au sommet du Parti-Etat, lequel empêchait les futurs leaders chinois de gouverner plus de dix ans (ce fut le cas des deux prédécesseurs de Xi, Jiang Zemin puis Hu Jintao) pour éviter de reproduire les dérives de la Révolution culturelle (1966-1976), imputées à une autorité sans limite, comme celle de Mao qui a régné jusqu’à sa mort. Mais Xi, vraisemblablement, est en passe d’enfreindre ces normes officieuses. Certains experts prédisent qu’il pourrait même s’auréoler du titre de «président du parti», cher à Mao, supprimé après sa disparition. Jamais la Chine n’avait vu un dirigeant concentrer autant de pouvoir depuis le règne de Mao. Xi s’est forgé un culte de la personnalité qui n’a rien à envier au Grand Timonier.

La Chine connaît des mouvements de contestation ponctuels, par exemple contre la politique zéro Covid. Pas de quoi inquiéter beaucoup le pouvoir.
La Chine connaît des mouvements de contestation ponctuels, par exemple contre la politique zéro Covid. Pas de quoi inquiéter beaucoup le pouvoir. © Twitter / Daniel Camilo

Société civile enrayée

Echaudé par l’expérience de la chute du Parti communiste soviétique, Xi Jinping considère qu’il y a un risque vital à relâcher le contrôle. Les deux décennies qui ont suivi le massacre de Tiananmen (1989) ont été celles d’une relative ouverture de la Chine au monde – adhésion à l’OMC en 2001, Jeux olympiques de Pékin en 2008 – et à la naissance d’un début de société civile. Xi Jinping a senti que le mécontentement social croissant, dû notamment au laxisme de son prédécesseur, Hu Jintao, pouvait être un facteur de déstabilisation du pouvoir et bousculer la légitimité du parti. Au début des années 2010, les «printemps arabes» et le soulèvement des peuples au Moyen-Orient, vent debout contre la corruption et les inégalités, deux problématiques auxquelles la Chine est aussi confrontée, ne l’ont probablement pas rassuré non plus.

Le problème avec un dirigeant comme Xi, qui s’enferme dans une rhétorique agressive, c’est qu’il pourrait considérer qu’une aventure patriotique à Taïwan est susceptible de renforcer son pouvoir.

Lorsqu’il est arrivé aux manettes en 2012, Xi a donc mis un net coup d’arrêt au développement d’une société civile chinoise embryonnaire. Chen Kun, 35 ans, peut en témoigner: il travaillait pour deux associations, dont une ONG de droits civiques. «En 2014, elles ont fermé, mes collègues et moi avons été arrêtés, décrit le militant, qui a été détenu en secret pendant trois mois en résidence surveillée (RS). Beaucoup de militants, journalistes citoyens, travailleurs sociaux et avocats ont fait l’objet d’une RS, véritable marque de fabrique de Xi», déplore Chen Kun, exilé en France depuis 2020. L’ONG Safeguard Defenders estime entre 560 000 et 860 000 les cas de mise en résidence surveillée sous le règne de Xi Jinping. «Xi a mis en œuvre une politique de répression globale destinée à réduire au silence l’ensemble de la société civile car, en réalité, il est effrayé à l’idée que les droits de l’homme et la liberté lui fassent perdre le pouvoir», ajoute l’avocat chinois Teng Biao, exilé depuis 2014 aux Etats-Unis, qui a vu le régime chinois évoluer d’«une dictature collective à une dictature personnelle».

Le contexte

Le XXe Congrès du Parti communiste chinois (PCC) se tient à partir du 16 octobre. D’une durée d’environ une semaine, il définit les principales orientations politiques pour les cinq années à venir. Réunissant plus de 2 200 délégués qui représentent les 92 millions de membres du PCC, le conclave doit renouveler les instances dirigeantes du parti unique et choisir les 376 membres (titulaires et suppléants) du Comité central, lequel nomme le bureau politique, son comité permanent et, au sommet de la pyramide, son secrétaire général.

Signes de contestation

Face à cet absolutisme, la contestation a-t-elle disparu? Récemment, on a vu de petits épargnants n’ayant plus accès à leur compte en banque descendre dans la rue pour protester. Ou encore des propriétaires menacer de boycotter leurs prêts immobiliers face à la crise du secteur. On a observé plusieurs fois des rassemblements ou des débuts de rébellion face aux absurdités d’une politique zéro Covid à Pékin, Shenzhen, Shanghai, aux abords d’un campus étudiant ou d’un quartier résidentiel. La grogne existe bel et bien et le régime devra se confronter à de multiples problématiques – vieillissement de la population après des années de politique de l’enfant unique, retraites, creusement des inégalités sociales, violences sexistes, chômage des jeunes – qui avaient pu être éclipsées grâce à une croissance économique extraordinaire au cours des deux dernières décennies.

Reste qu’une mobilisation sociale d’ampleur, capable de menacer le Parti-Etat, est impossible. «Médias indépendants éliminés, technologies de surveillance de masse, quasi disparition de la société civile: le pouvoir répressif est beaucoup trop sévère, juge Yaqiu Wang, spécialiste de la Chine à l’association Human Rights Watch. Les gens ne peuvent pas s’organiser et se réunir pour exprimer leur mécontentement. La frustration et la colère restent très individuelles et difficiles à canaliser pour espérer exercer une réelle pression sur le parti.»

De plus, la censure est telle que «beaucoup de Chinois ne savent pas ce qu’il se passe réellement hors de la Chine», regrette Yaqiu Wang. En même temps, la propagande nationaliste bat son plein. «Après le massacre de Tiananmen, en 1989, il était difficile pour le PCC de se légitimer en tant que parti du peuple alors qu’il l’avait écrasé, analyse l’historien Michel Bonnin. Pour tous les pouvoirs, la légitimité de substitution s’appelle le nationalisme.» Et sous le règne de Xi, le PCC aime flatter son nationalisme. Après l’enfermement massif de millions de Ouïghours et autres minorités ethniques dans des camps au Xinjiang, la remise au pas des Hongkongais et le piétinement de ses engagements internationaux, la dernière pièce manquante du pouvoir de Xi pour réaliser son «rêve chinois» et le «grand renouveau de la nation chinoise» se nomme Taïwan.

Persuadé que l’Occident décline et enivré d’un esprit de revanche pour enterrer le siècle de l’humiliation, jusqu’où Xi est-il prêt à aller? «Le problème avec un dirigeant comme Xi, qui a perdu le contact avec le monde, la réalité, et qui s’enferme dans une rhétorique agressive, prévient Michel Bonnin, c’est qu’il pourrait considérer qu’une telle aventure patriotique est susceptible de renforcer son pouvoir et celui du parti. C’est une tentation qui existe chez tous les dictateurs.»

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