Jacques De Decker
« Woody Allen, comédien et martyr »
Qui a dit : » Ce n’est pas que j’aie peur de mourir, mais j’aimerais autant ne pas être là quand ça arrivera » ? Woody Allen. Or, c’est justement ce qui est en train de lui être infligé : son exécution sous ses propres yeux.
On ne vous parle plus de son dernier film qui, sans être son chef-d’oeuvre, plane très haut au-dessus de la moyenne de la production, sans préciser qu’il est plus que probable que ce sera son ultime.
Qui a dit : » Qui, à ma place, supporterait d’être moi ? » ? Encore Woody Allen. Or, on ne souhaiterait son sort actuel à personne, et surtout pas à soi-même. Le pilori, dans sa version post-moderne, non merci. Qui a dit : » Il faut que tu le saches : la vie se divise en deux catégories : l’horreur et le malheur » ? Toujours Woody Allen, c’était dans Annie Hall, un de ses chefs-d’oeuvre et l’un des plus beaux portraits de femme qui soient.
Woody Allen est en train de se voir infliger la mort civile, la pire des indignités. On n’entrera pas ici dans le mécanisme qui est en train de broyer cet artiste de première catégorie, partageant le sort d’un autre génie, Roman Polanski, dont le distingue le fait de n’être pas Polonais, du moins de nationalité, ce qui lui a inspiré ce joyau glaçant d’humour noir : » Né en Pologne, j’aurais fait un bel abat-jour. » Comme tout se tient, il est nécessaire de se demander quel lien autorise ce rapprochement : c’est celui du talent qui, lorsque le niveau de stupidité générale s’élève, de grâce se mue en malédiction.
L’intelligence artificielle se définit comme le contraire de la bêtise humaine
De la crétinisation endémique des administrations au climat dans les entreprises, où n’est plus prisée que l’efficacité immédiate même si elle est fatale à long terme ; de la déshumanisation des rapports sociaux à la représentation médiatique à flux tendu de la violence et de la sottise, il résulte fatalement que la lucidité, l’invention, la sensibilité accompagnées d’ironie ne soient plus bienvenues, voire même tolérables. Il y a d’ailleurs belle lurette que les oeuvres de Allen – comme celle de Polanski, depuis Rosemary’s Baby –ne trouvent plus leur financement dans le Monde longtemps tenu pour Nouveau.
L’art, même si dans le cas du cinéma il est profondément conditionné par l’économie, est toujours le signe avant-coureur de tendances lourdes et déterminantes pour l’avenir. La tragédie de Woody Allen est inquiétante par l’absence de réactions qu’elle suscite, par le revirement d’un public qui se renie avec une passivité lamentable, par la couardise d’une opinion que se laisse dicter des mots d’ordre dans un domaine où il ne devrait laisser parler que son intuition et sa sensibilité, si du moins il n’avait pas subi l’ablation de ces facultés.
Il est vrai que le mot d’ordre est donné : si l’intelligence venait à manquer, on pourrait toujours avoir recours à sa réplique artificielle. Là encore, Woody avait apporté son grain de sel, en un aphorisme à sa manière : » L’intelligence artificielle se définit comme le contraire de la bêtise humaine. »
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