Joseph Junker
Votre American dream, avec ou sans compromis à la belge ?
Y’a pas à dire, ces sacrés yankees nous étonneront toujours. N’est-ce pas leurs commentateurs les plus avisés qui nous promettaient il y a quelques mois à peine un inéluctable petit duel présidentiel Bush-Clinton de derrière les fagots ?
Le genre de confrontations qui pour ma part fleure bon la naphtaline, la chute du mur de Berlin, l’apprentissage de la lecture et une époque où mon plus grand héros ressemblait plus à un vieil homme descendant par la cheminée qu’à un président des Etats-Unis dont je peinais à réellement comprendre l’utilité – voire à me souvenir de l’existence. La démesure du genre, le grand cirque reparti, les mêmes acteurs (seuls le prénom change), la même recette palpitante, ces discours exaltés, démesurés, millimétré, ce suspense… pour un résultat somme toutes parfaitement prévisible. Un vrai bon vieux film américain quoi.
Sauf que,… nous avions oublié que le rêve américain, c’est aussi ce qui fait que les USA sont le pays où rien n’est impossible (ou presque). Et c’est ainsi que cette semaine, les citoyens du New-Hampshire ont infligé aux élites américaines deux des plus magistrales gifles de son histoire : voici Hillary écrasée par le sans-grade et socialiste (une insulte au pays de l’oncle Sam) Bernie Sanders. Quant au frangin/fiston Bush, on ne parle même plus de lui, distancé qu’il est par un milliardaire fantasque, un charismatique évangéliste et un hyper conservateur qu’on croirait presque modéré.
Cela ne vous émeut guère ? Essayons un instant de transposer cette situation à notre douce Belgique. Toutes proportions gardées, nous aurions donc à notre gauche Laurette Onkelinx défaite largement à l’élection présidentielle du parti socialiste par un pratiquement inconnu bourgmestre d’une reculée bourgade ardennaise, sympathisant PTB par-dessus le marché. A notre droite, nous aurions le fantasque homme d’affaires Marc Coucke* caracolant en tête des intentions de votes des électeurs MR, distançant largement Mischaël Modrikamen arrivé en seconde position, lui-même talonné par Alain Destexhe, désormais promu candidat de l’establishment suite à l’effondrement du favori initial, Didier Reynders.
Une comparaison qui peut faire sourire, voire peut-être pour certains d’entre nous nous amener à penser que nous l’avons échappée belle. Mais qui pourra aussi nous faire pleurer si nous comparons ce pittoresque tableau à celui qu’il nous est donné de voir à chaque élection présidentielle dans un parti belge. A quelques notables exceptions près, il ne s’agit en en général de rien de plus qu’un plébiscite assumé du candidat choisi par quelques-uns, une candidature unique à la présidence que nul n’osera contester (à supposer qu’on lui en laisse l’occasion) et qui récoltera 90 à 97% des voix.
Les quelques heureux lauréats de ces plébiscites auront ensuite tout le loisir de décider pratiquement seuls d’un grande partie de la composition de nos parlements nationaux par le truchement de leurs listes, du vote en case de tête, de la liste des suppléants ou encore de la cooptation. Et c’est ainsi que s’écoule la vie de nos courants politiques, se dispensant royalement d’écouter ce que leurs membres endormis pourraient avoir à leur dire, voire en s’employant activement à éviter qu’une occasion leur soit donnée de donner franchement leur avis. Cela permet sans doute de forger plus facilement dans leur dos l’un de ces petits compromis que le monde nous envie…
Tout en n’étant guère convaincu que l’excessivité de Trump soit le remède miracle au dégoût de nos citoyens pour la chose politique, qu’il me soit permis de douter par ailleurs que la confiscation du pouvoir par nos élites oligarchiques belges et – il faut bien le dire – fort peu démocratiques soit une meilleure idée. Au contraire même, la sclérose généralisée de notre classe politique, l’absence complète de réel débat d’idées au nom du compromis à la belge, la défiance profonde du citoyen envers ses gouvernants sont autant de voyants rouges qui devraient nous alarmer quant à l’état de notre système politique.
De ce point de vue, au-delà de ce qu’on pense de la qualité (je vous l’accorde fort inégale) des candidats en tête des intentions de vote des primaires états-uniennes, on ne peut qu’être admiratif devant la manière dont les citoyens américains parviennent à faire fi des doctes prévisions des commentateurs politique et à exprimer leur rejet d’une hyperpuissante mais sclérosée classe politique, leur désir de changer les sempiternelles familles au pouvoir et leur méfiance de l’establishment et de son échec patent des dernières décennies. C’est aussi à l’honneur de la société américaine de posséder cette ouverture d’esprit (y compris aux idées jugées « fermées »), cette inflexible détermination de ses citoyens à défendre leur point de vue et surtout cette fantastique faculté de s’enthousiasmer pour de grands projets. N’est-ce pas en effet tout cela qui a permis à ce ras-le-bol généralisé du peuple de se cristalliser sur ces candidats atypiques et porteurs d’une vision différente de ce que pourrait ou devrait devenir la première puissance mondiale ?
Alors, cette élection vous angoisse ? Eh bien moi pas du tout. Car s’il est bien une chose dont nous devons avoir peur, c’est d’une démocratie angoissée, une démocratie qui fuit l’électeur et lui tourne le dos, car cette démocratie-là nous mènera bien plus sûrement au désastre que les toutes les crises financières de la Terre. Quel que soit le vainqueur de cette course à la maison blanche, qu’il s’appelle Cruz, Clinton ou Rubio, il sera le vainqueur d’un débat d’idées passionnant, et ce qui compte bien plus : il aura du regarder en face l’électeur, ses désirs, ses déceptions, ses joies et ses peurs, ses frustrations et ses rêves (américains) les plus fous. Et s’il est bien une chose dont notre petite monarchie constitutionnelle a bien besoin, si moi aussi I have a dream pour l’avenir de notre pays… c’est bien celui-là !
Joseph Junker
*Comparaison n’étant pas raison, je précise que ceci ne présume en rien de l’idéologie qui anime ces personnes.
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