Vitali Klitschko, le maire de Kiev: « Les habitants ne retrouvent pas leur vie normale »
Peu à peu, les habitants de Kiev rentrent chez eux. Knack s’est entretenu avec Vitali Klitschko, le maire de la capitale ukrainienne. « Les restaurants et les magasins rouvrent leurs portes. Mais je ne peux pas garantir la sécurité de mes citoyens ».
Entre 2004 et 2015, les frères Vitali et Volodymyr Klitschko ont enchaîné les titres de boxe dans la catégorie des poids lourds. Aujourd’hui, Vitali Klitschko est maire de Kiev. Après chaque bombardement, il est descendu dans la rue pour soutenir ses citoyens.
« Les habitants de Kiev reviennent », déclare le maire Klitschko. « C’est normal, ils veulent être chez eux, dans leur maison. Mais j’ai peur pour eux. Ils ne retournent pas dans une ville sûre. Nous ne pouvons pas garantir leur sécurité. A tout moment, nous pouvons nous attendre à une invasion russe. Les infrastructures sont détruites et chaque jour quelqu’un est blessé par une mine terrestre abandonnée. Nous ne pouvons pas non plus reconstruire notre ville immédiatement. Pourtant, nous voyons la vie revenir à Kiev. Les restaurants et les petits magasins rouvrent leurs portes. Mais il faudra beaucoup de temps et d’efforts pour revenir à la situation d’avant la guerre. »
Y a-t-il toujours un couvre-feu à Kiev, à présent que les Russes se sont retirés dans d’autres régions?
Vitali Klitschko : Oui, car en ce moment, nous sommes toujours en guerre. La discipline est la clé pour tout garder sous contrôle. Si les gens cessent de suivre les règles, il sera beaucoup plus difficile de maintenir l’ordre. C’est pourquoi personne n’est autorisé à sortir dans les rues la nuit. Pendant la journée, vous faites ce que vous voulez, mais la nuit, il y a encore trop de risques. J’aurais préféré qu’il en soit autrement, mais je ne peux que mettre en garde nos citoyens. Ils ne retrouvent pas une vie normale. Chaque nuit, des bombes peuvent encore tomber sur Kiev.
Craignez-vous le retour des troupes russes ?
Conquérir complètement l’Ukraine, tel était l’objectif principal de la Russie. Dans les premières semaines de la guerre, les Russes ont constaté qu’ils ne pouvaient pas réaliser leur plan. C’est pourquoi ils se sont retirés et se concentrent désormais sur quelques régions. Pourtant, je suis sûr que le président Vladimir Poutine n’a pas changé ses plans. Nous pouvons nous attendre à une nouvelle attaque à tout moment.
Comment voyez-vous la prise de Marioupol ?
Pendant le siège de Marioupol, nous avons reçu peu d’informations. Nous savions que des civils avaient été tués et que des immeubles d’habitation avaient été bombardés. C’est tout. Nous savons maintenant qu’au moins 20 000 personnes sont mortes. Les 100 000 personnes qui vivent encore dans la ville survivent dans des conditions très difficiles. J’admire particulièrement nos combattants ukrainiens dans l’usine Azovstal. Pendant plusieurs mois, ils ont réussi à lutter pour l’indépendance de l’Ukraine dans des conditions difficiles. Ce sont de grands héros. Ils préféraient mourir plutôt que d’abandonner le combat.
Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, s’est rendue deux fois à Kiev depuis l’invasion russe. Comment les Ukrainiens perçoivent-ils une éventuelle adhésion à l’Union européenne?
Notre désir de devenir un pays démocratique européen est précisément la raison de cette guerre inutile. Poutine n’aime pas que nous regardions vers l’Union européenne. Il veut reconstruire l’Union soviétique. Mais nous tenons à notre liberté de la presse et à notre liberté d’expression. Nous ne voulons pas renoncer à ces valeurs et nous retrouver dans une dictature, comme celle que subissent les Russes. Nous rêvons d’un avenir en tant que citoyens européens et nous luttons pour l’indépendance et la liberté en Europe. Notre histoire et notre mentalité prouvent que nous voulons appartenir à l’Union européenne. Le projet européen ne doit pas s’effondrer et nous voulons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour arrêter les Russes. C’est précisément ce rêve européen que nous payons aujourd’hui par une guerre terrible.
La Russie a célébré le jour de la victoire sur l’Allemagne nazie par des défilés russes le 9 mai. Quel regard portez-vous sur ces célébrations?
Le 9 mai est le jour où l’on célèbre la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est une ode à la paix en Europe. La Russie a célébré ce jour, même si, quelques mois plus tôt, elle a déclenché la plus grande guerre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Poutine s’est servi de cette journée comme un outil de propagande pour sa guerre. Il essaie de convaincre les Russes que l’Ukraine est pleine de nazis. Selon lui, la lutte contre tous les soi-disant nazis ukrainiens est aussi noble que la lutte contre les nazis dans les années 1940. L’argument de Poutine est basé sur de purs mensonges. Mais il est passé maître dans l’art de manipuler les Russes.
Accordez-vous une quelconque valeur aux paroles de Poutine ?
Ne croyez jamais les Russes. En 1994, nous avons conclu un accord. Ils nous ont promis l’indépendance si nous renoncions à nos armes nucléaires. Et regardez où nous sommes maintenant. Poutine parle d’une « opération » en Ukraine, il ne prononce même pas le mot « guerre ». Alors que nous sommes dans une guerre terrible, où des milliers et des milliers de civils et de soldats ont déjà péri. Voilà la vérité. Je parlerais même de génocide en Ukraine. Les Russes n’épargnent personne. Ils détruisent toutes les infrastructures et tous les bâtiments. Ne croyez donc jamais ce qu’un Russe vous dit. Et ne faites certainement pas confiance à Poutine.
Comment est le moral des citoyens à Kiev ?
Mieux qu’il y a quelques mois. De plus en plus de personnes reviennent dans la ville. De plus, l’hiver froid est terminé. Les gens se sentent mieux depuis que le soleil brille. Cependant, la ville est encore très vide. On sent la nervosité des citoyens. C’est un sentiment très différent de celui d’il y a un an.
De quoi avez-vous besoin pour continuer à défendre Kiev ?
Nous avons besoin du soutien du plus grand nombre de pays possible : soutien politique, mais surtout fourniture d’armes. Nous avons besoin d’armes défensives, car nous défendons notre pays, nos enfants. Au fond, nous défendons tout le monde en Europe. Nous défendons les droits de l’homme auxquels les Européens tiennent tant. Pendant ce temps, des millions de réfugiés ukrainiens vivent en Europe à cause de cette lutte. Eux aussi ont besoin du soutien de l’Europe. Nous sommes extrêmement reconnaissants de l’hospitalité et du soutien que tous les pays offrent à nos citoyens.
Avez-vous le sentiment que la Russie nous ramène aux années 30 ?
Absolument. Ce que fait la Russie aujourd’hui s’appelle le « russisme », mais c’est comparable au fascisme et au nazisme des années 1940. C’est pourquoi il est si important que le monde entier nous soutienne pour arrêter cette guerre et arrêter la Russie. Comme Hitler, Poutine ne tolère pas la dissidence. La liberté de la presse a été abolie, il n’y a pas de médias indépendants et ceux qui descendent dans la rue pour manifester sont arrêtés. C’est très similaire à ce que nous avons vu se produire pendant la Seconde Guerre mondiale.
Êtes-vous surpris par la résistance des Ukrainiens ces derniers mois ?
Je tiens à remercier chaque soldat et civil ukrainien pour le courage et la résistance dont ils ont fait preuve. Mais je ne suis pas surpris, non. Un soldat russe se bat pour l’argent, tandis que les Ukrainiens se battent pour leur pays, pour leur femme et pour leurs enfants. Ne sous-estimez pas cela.
J’ai retenu de mon passé de boxeur que l’endurance l’emporte sur le talent. Il en va de même pour la guerre. Les Ukrainiens n’abandonneront pas. Nous ne voulons pas que nos enfants vivent dans une dictature. Nous savons ce que c’était, et nous ne voulons pas y retourner.
L’Europe était convaincue qu’elle ne vivrait jamais une autre guerre. Comment se fait-il que nous n’ayons pas vu venir cette invasion ?
Elle n’a pas voulu voir les signes annonciateurs. Poutine a déjà envahi d’autres pays de manière très violente à plusieurs reprises. Regardez la Tchétchénie, la Géorgie, la Crimée et récemment la Syrie. Poutine ne s’inquiète pas du sort des civils dans la région qu’il attaque. Si vous étudiez le combat de Poutine dans ces régions, vous comprenez de quoi il est capable.
Pensez-vous que la paix reviendra un jour en Ukraine ?
Il y a 40 millions d’Ukrainiens, et ils veulent tous la paix. Mais nous ne pourrons réellement entamer des négociations diplomatiques que lorsque les Russes auront complètement quitté notre territoire. Avant cela, il ne sert à rien de négocier. Et il ne sert à rien de faire des concessions. Nous n’avons qu’une seule option : nous battre jusqu’à ce que le dernier Russe ait quitté notre territoire.
Que pensez-vous du rôle des États-Unis dans cette guerre ?
Nous sommes extrêmement reconnaissants aux États-Unis pour leur soutien. Non seulement ils nous apportent un soutien politique et économique, mais ils sont aussi nos principaux fournisseurs d’armes.
Que pensez-vous de l’adhésion éventuelle de la Suède et de la Finlande à l’OTAN ?
C’est notre plus grande erreur : nous aurions dû rejoindre l’OTAN plus tôt. Si l’Ukraine avait été dans l’OTAN, la Russie n’aurait pas attaqué l’Ukraine. C’est pourquoi nous ne comprenons que trop bien que la Finlande et la Suède soient prêtes à renoncer à leur neutralité. Car ce que la Russie nous a fait, elle peut aussi le faire à ses autres voisins.
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