Visite de Joe Biden en Europe: « Il a toujours été un grand partisan du lien transatlantique »
La première visite du président Joe Biden à l’étranger a pour cadre l’Europe, à l’occasion des sommets du G7 et de l’Otan. L’occasion de raviver les relations avec les alliés traditionnels pour présenter un front uni face à la Chine et à la Russie, avant, notamment, une rencontre qui s’annonce tendue avec Vladimir Poutine.
Fort d’un accord sur un impôt minimal mondial de 15% sur les sociétés scellé le samedi 5 juin par les ministres des Finances concernés, le président américain Joe Biden assistera au sommet du G7 du 11 au 13 juin dans les Cornouailles avec l’aura d’un leader réformateur. Ce raout constituera la première étape d’une tournée en Europe qui le mènera encore à Bruxelles et à Genève. Professeur adjoint à l’université de New York (NYU), détaché au Département d’Etat en vue de la déclassification d’informations de la diplomatie américaine et expert de l’Otan et des relations Etats-Unis/Russie, Damian Leader décrypte les enjeux de ces entretiens au sommet.
Comment les relations entre les Etats-Unis et l’Europe vont-elles évoluer sous la présidence de Joe Biden?
Elles vont s’améliorer considérablement. Joe Biden est de la vieille école, et a toujours été, au cours des dernières décennies, un grand partisan du lien transatlantique. Il considère plus que jamais que les impératifs de sécurité des Etats-Unis et de l’Europe se rencontrent presque en tous points. On peut donc s’attendre à un réchauffement des relations.
Que peut faire concrètement Joe Biden pour les réchauffer?
En choisissant l’Europe comme lieu de son premier déplacement à l’international, Joe Biden indique qu’il entend faire de la restauration des liens entre les deux partenaires historiques une des priorités de sa politique étrangère. Sa volonté de commencer par se concerter avec ses alliés avant d’avancer dans tout autre dossier international, celui de la Chine, par exemple, prouve que le nouveau président est désireux de rattraper ce qu’il considère comme des erreurs du passé. La Chine constitue la priorité numéro un de la politique étrangère de Joe Biden. Et il compte bien s’appuyer sur ses alliés européens avant d’avancer dans quelque direction que ce soit dans ce domaine.
Joe Biden est de la vieille école, et a toujours été un grand partisan du lien transatlantique. » Damian Leader
Quelle est l’importance du lien transatlantique pour des politiciens de la génération de Joe Biden?
Depuis cinquante ou soixante ans, en matière de politique étrangère, les Etats-Unis se font fort de veiller à ce que leurs alliés européens soient, sinon sur la même ligne en tant que partenaires actifs, au moins tenus au courant des intentions américaines, en espérant que celles-ci soient comprises tacitement. C’est particulièrement vrai depuis la fin de la guerre froide, et notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme: les Américains essaient tant que faire se peut de s’ appuyer sur leurs alliés du Vieux Continent. Pour des gens comme Joe Biden, les Etats-Unis n’agiront en solo que s’ils doivent s’y résoudre en raison des circonstances. Ils auront toujours le souci d’essayer de convaincre leurs alliés historiques de se joindre à eux. L’ Otan constitue un excellent point d’appui pour tenter d’avancer conjointement, comme cela a pu être le cas en Afghanistan.
La Chine étant la priorité numéro un de la politique étrangère de Joe Biden, comment compte-il déployer la diplomatie à l’égard de Pékin?
La politique commerciale constitue le point de contentieux prioritaire entre les deux entités, comme c’était déjà le cas pendant la présidence de Donald Trump. Le consensus, avant l’arrivée au pouvoir en 2017 de ce dernier, consistait à prédire que l’accès au commerce mondial de la Chine, son développement économique concomitant, ainsi que sa participation active à des organisations multilatérales comme l’OMC allaient permettre à Pékin de devenir un partenaire fiable pour les Etats-Unis. Cela s’est révélé être une illusion. Donald Trump a mis le doigt sur ce qui semble être une réalité: la Chine n’est pas une nation « amie » ; elle est une concurrente, pour dire le moins. Joe Biden endosse ce même positionnement, attitude qu’il n’aurait certainement pas adoptée durant l’ère Obama. La situation des Ouïghours au Xinjiang, la répression en cours à Hong Kong, ou le statut de Taïwan sont autant d’éléments qui attestent d’un problème fondamental pour les Etats-Unis et ces derniers cherchent à parvenir à un consensus en matière de positionnement avec les Européens avant d’aller plus loin.
Qu’attendre de la rencontre, le 16 juin, à Genève, entre Joe Biden et Vladimir Poutine? Les derniers mots du président américain à l’encontre de son homologue russe, traité de « tueur », n’ont pas été tendres…
La préoccupation numéro un des Etats-Unis à l’égard de la Russie touche aux questions de cybersécurité. L’affaire du réseau de distribution de pétrole Colonial Pipeline qui a été piraté par des individus établis en Russie a marqué les esprits. Même s’il semble bien que le Kremlin ne soit pas impliqué directement dans ce dossier, le sentiment à Washington est que de telles actions sont tolérées sur le territoire russe. A Washington, ce constat traumatise les esprits, particulièrement parce que personne ne connaît le fin mot de l’histoire de l’ingérence russe dans les élections présidentielles de 2016. Il subsiste en parallèle une série de dossiers sur lesquels les points de contentieux entre les deux puissances sont nombreux et qui ont directement trait au mandat premier de l’Otan: l’Ukraine et, dans une moindre mesure, la Géorgie. Le dossier syrien et celui des réfugiés posent aussi problème. En tout état de cause, il ne faut guère s’attendre à une poignée de main tout sourire entre les deux hommes au terme de leur entretien.
Quelle est selon vous la stratégie de Vladimir Poutine en matière de politique internationale?
Vladimir Poutine semble considérer que l’affaiblissement de ses voisins et de ses anciens ennemis lui est favorable. Il faut bien comprendre que le président russe cherche à se positionner comme un homme fort qui est parvenu à rétablir la Russie sur la scène internationale en tant que partenaire craint. Il s’est certainement senti pousser des ailes lorsque Donald Trump s’est révélé extrêmement critique envers l’ Otan. Mais ce sera une autre histoire sous la présidence de Joe Biden. D’un point de vue global, on peut dire que le chef de l’Etat russe cherche à montrer à son propre peuple qu’il est un leader qui tient tête aux Américains et à l’ Occident, notamment. Au Donbass ukrainien, en Syrie en y envoyant des troupes, Vladimir Poutine cherche à se positionner comme un leader qui a remis la Russie au coeur des affaires internationales.
Il ne faut guère s’attendre à une poignée de main tout sourire entre Joe Biden et Vladimir Poutine au terme de leur entretien.
Sur le dossier du nucléaire iranien, les Etats-Unis et les Européens sont-ils à nouveau sur la même ligne après la « parenthèse Trump »?
Il s’agit là d’un dossier particulièrement explosif pour lequel il existe des différences d’opinion assez larges, particulièrement dans le chef de la Turquie dont il faut bien se souvenir qu’elle fait partie intégrante de l’Otan et qu’elle entretient des liens depuis longtemps avec la Russie. Je pense que l’Iran pourrait bien être au centre des discussions de Joe Biden et de ses alliés lors de sa visite en Europe, particulièrement dans le cadre de l’ Otan à Bruxelles où les entretiens bilatéraux entre chefs d’Etat seront nombreux, comme le permet géné- ralement ce genre de sommets. De là à ce que les accords de Vienne de 2015, que Donald Trump avait considérés caducs après son élection, soient remis sur la table des négociations, il y a un pas que j’hésiterais à franchir. Les incertitudes de ce dossier sont encore trop nombreuses pour que des avancées substantielles puissent être enregistrées.
Comment Joe Biden va-t-il se positionner sur le dossier israélo-palestinien? Est-il fragilisé par l’aile gauche de son propre parti?
Certainement pas. Même si certaines voix au sein du Parti démocrate sont discordantes lorsqu’il s’agit d’évoquer le soutien dont Israël bénéficie de la part des Etats-Unis depuis des décennies, il faut bien se garder de généraliser ce qui ne sont que des escarmouches. Le Parti démocrate dans sa globalité reste fidèlement axé sur les positions israéliennes. Je pense personnellement qu’un nouveau gouvernement israélien, si la page Nétanyahou devait être définitivement tournée, serait une bonne occasion pour les Etats-Unis de se réengager pleinement aux côtés de leur allié historique. Benjamin Nétanyahou a tellement pris fait et cause pour Donald Trump depuis 2016 qu’il est presque devenu un handicap pour l’ équipe de Joe Biden. Mais le moment venu, les Etats-Unis seront toujours un partenaire d’Israël, cela ne va pas changer. Nonobstant le caractère affligeant des décès enregistrés dans la bande de Gaza lors de la dernière confrontation du mois de mai, il faut garder à l’esprit que c’est bien le Hamas qui gouverne dans ces terres, et qu’il ne se trouvera guère de politiciens américains, même à gauche, pour penser que le Hamas constitue un partenaire fiable, notamment en matière de droits de l’homme. En un sens, Israël a toujours eu la chance d’avoir des ennemis extrêmement impopulaires auprès du gouvernement américain.
Le contexte
Il a choisi l’Europe pour son premier voyage officiel à l’étranger depuis son élection. Joe Biden participera, du vendredi 11 au dimanche 13 juin, à la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement du G7 (Etats-Unis, Canada, Japon, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, l’Union européenne étant aussi représentée) dans les Cornouailles, au sud-ouest de l’ Angleterre. Le lundi 14 juin, il assistera au sommet de l’ Otan, à Bruxelles. Et le lendemain, à celui avec les dirigeants de l’Union européenne. Enfin, le mercredi 16 juin aura lieu à Genève une rencontre très attendue avec son homologue russe, Vladimir Poutine. Les relations avec la Chine et la Russie seront au coeur des entretiens que le président américain aura avec ses alliés au Royaume-Uni et en Belgique, avec le souci affirmé de ressouder une alliance malmenée par Donald Trump.
Biden, Bush et l’Europe
Dans son autobiographie Tenir ses promesses (1), Joe Biden raconte une anecdote savoureuse sur les Etats-Unis, l’Europe et la Russie. Président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, il est invité en juin 2001 à la Maison-Blanche par George W. Bush en quête de conseils avant son premier voyage en Europe en tant que président. « Monsieur le président, je crois que le plus important serait qu’on puisse lire: « Bush s’engage en Europe » à l’issue de votre séjour », lui assène Joe Biden. Et son hôte de solliciter son avis sur la meilleure façon d’ obtenir ce genre de titres. Le sénateur démocrate lui conseille de demander un élargissement de l’ Otan. « Avec qui? », l’interroge George W. Bush. « Je ne crois pas que l’identité des pays soit importante. Le simple fait de demander un élargissement de l’Otan signifie que vous considérez les Etats-Unis comme la principale puissance européenne », lui rétorque Joe Biden.
« Durant la semaine qui avait suivi ma visite dans le Bureau ovale, Bush s’en était bien sorti en Europe, poursuit Biden. Il s’était engagé à maintenir les troupes américaines au sein des forces de maintien de la paix en Bosnie et au Kosovo. […] Il avait fait une déclaration forte sur l’élargissement de l’ Otan. […] Il avait prolongé sa rencontre avec le président russe Vladimir Poutine de près d’une heure, et les deux hommes étaient sortis de cette entrevue avec de grandes promesses. […] Le Président [Bush] s’était même efforcé de rassurer Poutine sur le fait qu’il n’avait rien à craindre de l’élargissement de l’Otan, qui n’inclurait pas la Russie. […] « Lorsque le président d’une grande puissance déclare vouloir considérer la Russie comme un partenaire, voire comme un allié, avait renchéri Poutine, cela a une très grande signification pour nous. » Depuis lors, celui qui est toujours président de Russie a quelque peu révisé son jugement sur les aspirations de l’Otan à s’élargir…
(1) Tenir ses promesses, par Joe Biden, Michel Lafon, 2021 pour l’édition en français, 500 p.
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