Giuseppe Santoliquido
Virginia Raggi : la facile démagogie des antipopulistes
En ce début de semaine, les médias européens, dans leur écrasante majorité, n’ont eu cesse de souligner la victoire triomphale à la tête de la ville de Rome de Virginia Raggi, la nouvelle maire populiste de Rome. Cette épithète – populiste – a été rabâchée en boucle, dans un bel exercice de rhétorique conformiste, plein d’une autorité dont nul ne connaît la source. Virginia Raggi est populiste, ont-ils proclamé, tout comme le Mouvement Cinq Etoiles dans son ensemble. Telle fut la sentence. Délivrée sans la moindre explication. Sans avancer le moindre argument. Sans la moindre nuance.
Les électeurs des dix-neuf communes sur les vingt qui opposaient les Cinq Etoiles à un de ses opposants de droite ou de gauche ont donc cédé à des bonimenteurs qui se gargarisent de promesses qu’ils ne tiendront pas une fois arrivés au pouvoir. Ce que, naturellement, ne font ni le centre-droit ni le centre-gauche, alors même que les citoyens se sont détournés de ces partis parce qu’ils les considèrent incapables de résoudre leurs problèmes et de tenir leurs promesses électorales. Ce que n’ont pas fait non plus les administrations qui se sont succédées à la tête de la capitale italienne ces dix dernières années et dont cinquante représentants, issus de la gauche et de la droite, ont été arrêtés l’année dernière pour collusion avec une organisation mafieuse et détournement de fonds publics. Un tel populisme serait également étranger à Matteo Renzi, arrivé à la présidence du conseil en promettant une réforme par mois, ce qu’il n’a pas réalisé, et qui dirige le pays, après avoir promis de le rénover éthiquement, avec Angelino Alfano, ex dauphin de Silvio Berlusconi (auteur de la plupart des fameuses lois ad personam votées au profit de ce dernier), et avec Denis Verdini, ancien numéro trois du Cavaliere, inculpé à plusieurs reprises pour corruption et banqueroute frauduleuse.
Aux yeux des adeptes du langage de vérité, ces méthodes, quand elles concernent un pouvoir légitime, ne peuvent être qualifiées de populistes. Pourquoi cette différence de traitement ? Cette information biaisée ? Par crainte de délégitimer un modèle de pouvoir pourtant agonisant ? Ainsi, si la ville de Turin, gouvernée par le centre-gauche depuis qu’existe l’élection du maire au suffrage universel, sera désormais gérée par Mme Appendino, du Mouvement Cinq Etoiles, et non plus par Piero Fassino, un des fondateurs du Parti Démocrate, cela serait dû à la démagogie de Beppe Grillo ? C’est méconnaître la mue sociologique et politique des Cinq Etoiles au cours des dernières années. C’est ignorer la qualité du programme et de la campagne de Madame Appendino. Et cela revient à pratiquer une forme pervertie d’information. Pour quelle raison les journaux télévisés belge, français ou allemand, ainsi que les principaux quotidiens de ces mêmes pays, n’expliquent-ils pas à leurs téléspectateurs et à leurs lecteurs en quoi les programmes et les propos de Mesdames Raggi et Appendino sont plus populistes que ceux de leurs concurrents de droite et de gauche ? L’accommodante démagogie de ces antipopulistes à peu de frais est-elle imputable à un intérêt particulier ? A un manque de rigueur ? De temps ? Ou, pire, à un conformisme intellectuel visant à discréditer toute forme alternative d’envisager la politique, à réduire au rang de folklore pour écervelés tout ce qui ne cadre pas avec la doxa bienpensante ?
Les succès électoraux toujours croissants du Mouvement Cinq Etoiles depuis 2012 ne représentent plus un vote de contestation
Le drame, dans cette affaire, c’est que les faciles certitudes des antipopulistes ont davantage besoin d’illusions que de vérités. Car la raison de l’adhésion grandissante des Italiens aux Cinq Etoiles, malgré les travers réels caractérisant leur fonctionnement interne, se trouve ailleurs. Ses électeurs étant très largement issus du centre-gauche (le report des votes de droite au second tour relève d’un autre mécanisme), la source de ce succès réside dans l’incapacité structurelle de ce dernier, depuis plus d’une décennie, à représenter les catégories les plus défavorisées. Les pensionnés, dont la moitié vit avec moins de 1000 euros par mois. Les jeunes, dont près d’un sur deux est sans emploi. Les travailleurs précaires, qui ne cessent de croître. A lutter contre les inégalités. Bref, à assumer tout ce qui devrait constituer la raison d’être d’une offre politique de gauche. Dans ces conditions, pourquoi ne pas octroyer une possibilité de gouverner à ces femmes et à ces hommes (jeunes, pour la plupart, et pluri-diplômés) issus de la société civile, impliqués dans les réseaux associatifs, qui ne sont pas cooptés ni placés en ordre utile sur les listes électorales par copinage ou jeu de réseaux, et qui ne pourront certainement pas faire pire que des prédécesseurs ayant confondu la délégation et l’appropriation du pouvoir.
Les succès électoraux toujours croissants du Mouvement Cinq Etoiles depuis 2012 ne représentent plus un vote de contestation. Plus uniquement. Mais une volonté réelle, rationnelle, réfléchie d’octroyer à ces personnes une opportunité de faire mieux. De réussir, éventuellement, là où les non-populistes au verbiage creux et stéréotypé ont dramatiquement échoués. C’est ce même raisonnement qui explique d’ailleurs l’avènement de Matteo Renzi lui-même à la tête du pays en 2014. Avènement qui était le fruit, rappelons-le, d’un vote de contestation envers l’ancienne classe dirigeante du Parti démocrate, responsable du désastre ; celle-là même que le jeune Florentin promettait démagogiquement, populistiquement de « balayer ».
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