Etienne Dujardin
Victoire de Trump: cessons le déni et les leçons de morale face aux problèmes des citoyens
La victoire de Trump est un tournant majeur de l’histoire. Comme le prouvent les nombreuses réactions depuis les résultats des élections américaines, l’onde de choc est grande, très peu l’avaient vu venir, et elle subsistera encore pendant des semaines, des mois, des années.
C’est une gifle adressée aux médias, aux politiques, mais c’est aussi une chance à saisir pour l’Europe. Il faut bien avouer que Trump n’était pas un candidat idéal, ses dérapages nombreux l’ont montré tout au long de la campagne, et c’est ce qui rend son élection plus inouïe encore. On ne mesure pas combien la colère des citoyens doit être grande pour que, malgré tous les excès du candidat, ils préfèrent voter pour ce dernier plutôt que pour sa rivale démocrate. Au défi que cela représente, il va falloir répondre par plus de liberté d’expression et de débat dans les médias et moins de « politiquement correct » dans le champ politique.
Cette élection est un tournant majeur, car les médias vont devoir se renouveler et ne peuvent plus rester dans un entre soi qui les empêche de prendre le pouls du terrain et du réel. Comme le signale la journaliste Béatrice Houchard : « Un jour, il faudra que les journalistes se rappellent que leur (notre) métier est de raconter le monde tel qu’il est, pas comme ils le rêvent« .
En effet, 95 % des médias américains soutenaient publiquement Clinton et ne relayaient qu’assez peu les frasques de la Fondation Clinton par rapport aux dérapages de Trump. Un membre de l’équipe de CNN s’occupant du débat des primaires entre Clinton et Sanders avait même transmis à l’équipe Clinton plusieurs questions à l’avance. Quel manque de neutralité et quel mépris vis-à-vis du candidat Sanders qui a mené une campagne exceptionnelle en partant de nulle part et qui, lui, n’avait pas besoin d’Obama ni de Beyoncé pour remplir ses salles et susciter l’enthousiasme.
u003cstrongu003eCertains médias ont déjà commencé leurs autocritiques en s’engageant à mieux coller au réel sous peine de se voir tout simplement dépassés, voire remplacés par de nouveaux médias qui émergent grâce à la puissance des réseaux sociaux. u003c/strongu003e
L’establishment et la presse ont continué de miser sur Clinton. Les médias traditionnels se coupant du réel et des préoccupations du citoyen se voient dépassés par des sites d’informations inconnus jusqu’il y a peu. Le site Breibart, par exemple, grand promoteur de Trump, a dépassé allégrement les audiences de certains médias traditionnels alors qu’il était inconnu de la grande majorité des Américains, il y a seulement quelques mois. Certains médias ont déjà commencé leurs autocritiques en s’engageant à mieux coller au réel sous peine de se voir tout simplement dépassés, voire remplacés par de nouveaux médias qui émergent grâce à la puissance des réseaux sociaux.
Tout le monde parle d’une hégémonie culturelle qui serait repassée à droite, c’est sans doute vrai au sein de la population, mais c’est totalement faux au sein de la presse où une doxa dominante – souvent de gauche – est relayée massivement. Une vraie et authentique culture du débat doit revenir au centre des préoccupations de la presse pour continuer à jouer son rôle vital en démocratie.
C’est aussi un tournant majeur, car le monde politique – sous peine de se voir affliger de nouvelles gifles électorales – va devoir tenir compte de cette classe moyenne qui souffre, dont le pouvoir d’achat n’augmente plus et qui commence à douter des bénéfices d’une mondialisation aveugle où les gagnants sont toujours les moins-disant fiscaux, sociaux ou environnementaux et où les Etats-Unis et l’Europe se désindustrialisent au profit de la Chine, de l’Inde et autres pays émergents.
Pour la génération de mai 68, il était « interdit d’interdire« . Ils ont pourtant interdit de parler des thèmes dont s’est emparé Trump. Les thématiques de la sécurité, de l’immigration, du chômage, de l’identité, etc. n’auraient jamais dû être délaissées. Les partis traditionnels ont laissé en jachère ces différents sujets et ont eu peur d’en débattre. On voit aujourd’hui que ceux qui ont préféré fermer les yeux sont les alliés objectifs des poussées électorales radicales qui montent partout de manière inexorable. Il faut apprendre à respecter la souveraineté nationale. C’est aussi la fin de la doctrine « Terra Nova », cette gauche qui a voulu remplacer les classes populaires, dont elle a perdu le vote, par une coalition des minorités. Doctrine dénoncée encore récemment par Jean-Philippe Mallé, député socialiste suppléant Benoit Hamon, qui veut que la gauche renoue avec les classes populaires en parlant des thèmes qui l’intéressent.
Les experts se sont largement trompés lors de cette élection. Ils avaient prédit des chutes massives boursières, un chaos général si Trump était élu. C’est le contraire qui s’est passé, les bourses ont même progressé. Il faut maintenant se concentrer sur les actes qui seront accomplis par Trump lors de sa présidence. Espérons qu’il prenne le costume de la fonction dans les prochains mois et qu’il laisse au vestiaire une vulgarité jamais vue.
Ceci dit, ne restons pas les bras croisés. Loin de tous les discours pessimistes, saisissons cette formidable opportunité pour renouveler et renforcer l’Europe. L’Europe court à sa perte si elle continue à imposer aux peuples des décisions pour lesquelles le peuple n’a même pas voté. Une Europe qui donne des amendes à des pays qui contestent une politique migratoire irréfléchie, une Europe qui sanctionne la Russie alors qu’elle est notre meilleure alliée dans la lutte contre Daech et dont certains pays membres ont même armé des rebelles alliés de Daech, une Europe qui voit courir l’ancien président de la commission chez Goldman Sachs, mais qui tarde à lutter contre les conflits d’intérêts ou la fraude fiscale, une Europe qui négocie en catimini des traités aussi importants que le TTIP… est une Europe qui ne peut plus obtenir une large adhésion…
Et pourtant, le projet européen est non seulement utile, mais aussi indispensable pour peser sur le cours des événements mondiaux. Développons une vraie politique de l’emploi qui protège et qui lutte contre le dumping social. Travaillons à une vraie politique de défense commune. La Belgique elle-même, au lieu de tailler sans cesse dans son budget militaire, ferait bien de prendre ses responsabilités et sa part de l’effort collectif, les Américains ne voulant plus être les seuls à investir massivement au sein de l’OTAN. Développons une vraie politique européenne de la recherche et de soutien à nos entreprises. Les défis ne manquent pas, mais y travailler pourra peut-être recréer le renouveau et le dynamisme dont l’Europe manque aujourd’hui cruellement.
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