Vers un bouclier nucléaire pour l’Europe ? L’inquiétude autour de Trump pousse l’Allemagne à bouleverser ses traditions
Face à la guerre en Ukraine et à la menace russe, l’Allemagne a entamé une profonde refonte de sa politique de défense. Le possible retour de Donald Trump à la tête des Etats-Unis la pousse même désormais à envisager le déploiement d’un bouclier nucléaire pour l’Europe.
Face au spectre d’une réélection de Donald Trump à la présidence américaine, un bouclier atomique européen « pourrait être un sujet », a affirmé une figure du parti social-démocrate d’Olaf Scholz, Katarina Barley.
Ces quelques mots de la tête de liste du parti pour les élections européennes ont déclenché un débat national, chargé d’émotions, dans un pays profondément antinucléaire et longtemps pacifiste, qui a toujours fait du partenariat avec les Etats-Unis la priorité absolue.
Les déclarations choc de Donald Trump, qui a menacé de ne plus garantir la protection des pays de l’Otan face à la Russie si ceux-ci ne payaient pas leur part, accélèrent une discussion en germe depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
L’ancien ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer s’était prononcé en décembre pour une dissuasion nucléaire européenne.
« La République fédérale devrait-elle posséder des armes nucléaires ? Non, l’Europe ? Oui », car « le monde a changé« , avait estimé cette figure des Verts, parti né de l’opposition au nucléaire.
Les lignes bougent
Mardi, c’est le ministre des Finances Christian Lindner qui a jugé nécessaire de réfléchir à l’organisation d’une dissuasion nucléaire européenne en coopération avec la France et la Grande-Bretagne, les deux puissances nucléaires du continent.
« A quelles conditions politiques et financières Paris et Londres seraient-ils prêts à conserver ou à développer leurs propres capacités stratégiques pour la sécurité collective ? Et inversement, quelle contribution sommes-nous prêts à apporter ? », interroge le chef de file du parti libéral dans une tribune au journal « Frankfurter Allgemeine Zeitung ».
Ne voyant pas d’alternative au partenariat transatlantique, les gouvernements allemands se sont montrés jusqu’ici peu enthousiastes lorsque leurs partenaires, en premier lieu la France, ont poussé à renforcer l’autonomie de la défense européenne.
« Je ne vois pas l’intérêt de cette discussion aujourd’hui », avait tranché Olaf Scholz en décembre. Son porte-parole Steffen Hebestreit a réaffirmé la même chose mercredi.
Pour autant, « les lignes ont bougé« , dit à l’AFP Markus Kaim, expert en sécurité internationale à l’institut allemand SWP. « Il y a 10 ans, il y avait un consensus à Berlin selon lequel les armes nucléaires étaient inutiles ».
« Il faut maintenant discuter concrètement de la mise en oeuvre », poursuit l’expert qui ne sous-estime pas les nombreux obstacles.
Mutualiser cette défense entre les pays membres de l’UE ? « L’UE aurait l’argent et le savoir-faire mais tant que les Etats-Unis d’Europe n’existent pas, le modèle ne peut pas fonctionner« , estime l’expert.
Un parapluie nucléaire pour l’Europe est-il vraiment réaliste ?
Car qui pour décider, par exemple, de l’usage des armes nucléaires ? La présidence de la Commission européenne, le chef de la diplomatie de l’UE, les capitales des 27 Etats membres à tour de rôle ?
« Cette option présuppose un pas massif vers l’intégration de l’UE, dont nous sommes encore très loin », abonde Lydia Wachs, chercheuse en relations internationales rattachée à l’université de Stockholm.
Autre alternative : la protection de la France, seul membre de l’UE à posséder l’arme nucléaire depuis le Brexit.
Les Français seraient-ils disposés à partager le contrôle de leurs armes nucléaires avec leurs alliés ? Les Allemands, marqués par les horreurs de la Seconde guerre mondiale, seraient-ils prêts à envisager une riposte nucléaire ?
Elargir le parapluie nucléaire français à toute l’Europe « est très irréaliste, tant d’un point de vue politique que militaire et technique », tranche Lydia Wachs.
« Paris devrait premièrement rendre crédible sa volonté d’accepter la destruction de son propre pays pour défendre ses alliés. Deuxièmement, il lui faudrait développer et transformer massivement son arsenal nucléaire et modifier sa stratégie, ce qui prendrait du temps et nécessiterait des investissements », développe-elle.
En 2020, Emmanuel Macron avait proposé aux pays de l’UE un « dialogue stratégique » sur le « rôle de la dissuasion nucléaire française pour notre sécurité collective ».
Pour le quotidien Handelsblatt, l’Allemagne ne peut plus se permettre le luxe d’ignorer la logique de la dissuasion nucléaire : « Espérer que Biden remportera les élections ou que les choses ne se détérioreront pas trop si Trump est élu semble être une stratégie confortable, mais aussi très risquée« .
- Donald Trump
- Olaf Scholz
- Katarina Barley
- Otan
- Affaires étrangères
- Joschka Fischer
- République fédérale
- Verts
- Christian Lindner
- Frankfurter Allgemeine Zeitung
- Steffen Hebestreit
- AFP
- Markus Kaim
- SWP
- UE
- Etats-Unis d'Europe
- Commission européenne
- Etats
- Lydia Wachs
- université de Stockholm
- Brexit
- Seconde guerre mondiale
- Emmanuel Macron
- Handelsblatt