Petare, faubourg miséreux de Caracas, aspire au changement. © Getty Images

Election présidentielle au Venezuela: à Petare, les désenchantés du chavisme et de Nicolás Maduro

L’essentiel

• Les habitants de Petare, une banlieue de Caracas, sont désenchantés par le chavisme et Nicolás Maduro.
• Ils reprochent au gouvernement de Maduro la crise économique, l’hyperinflation, la dollarisation de l’économie et la pauvreté généralisée.
• Ils souffrent également de la disparition des services publics, des coupures d’électricité quotidiennes et du manque d’accès aux soins de santé.
• L’opposition, menée par María Corina Machado et Edmundo Urrutia, suscite un engouement populaire et pourrait remporter l’ élection présidentielle du 28 juillet.
• Les habitants de Petare craignent toutefois que Nicolás Maduro ne se maintienne au pouvoir par la force en cas de défaite.

Epuisés par les privations et les promesses non tenues, les habitants de la banlieue de Caracas s’apprêtent à voter en nombre pour Edmundo Urrutia, le candidat de l’opposition.

Armée de son emblématique balais, Katy Camargo nettoie avec énergie le béton grisâtre de la petite place du Campito, sur les hauteurs de Petare. Une vingtaine de chaises en plastique ont été installées tôt dans la matinée; l’enceinte et le micro sont déjà branchés. Les participants, des personnalités politiques de l’opposition et des assesseurs bénévoles, arrivent petit à petit. «On organise une réunion et la place est toute sale? Pas question!, s’exclame Katy Camargo, défenseure des droits humains dans le secteur de San Blas et fondatrice du mouvement citoyen Uniendo Voluntades. On va montrer aux chavistes qui nous regardent que nous, oui, nous prenons soins de notre quartier

Au centre de la place, les responsables politiques rappellent aux bénévoles leurs responsabilités de dimanche prochain. Le 28 juillet, environ 21 millions de Vénézuéliens sont appelés aux urnes pour élire leur président pour les six prochaines années. «Vous serez les héros anonymes d’un jour historique pour le Venezuela», avance Carlos Ocariz, qui fut pendant dix ans le maire de la localité et qui, aujourd’hui, fait campagne pour l’opposition. Le public applaudit sous le regard tranquille des riverains. «Il y a quelques années, sur cette même place, jamais nous n’aurions pu faire ça, se réjouit Julio Yanes, coordinateur politique d’un parti membre de la Plateforme unitaire démocratique (PUD), regroupant les partis s’opposant au Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), la formation de l’actuel président Nicolás Maduro. Les chavistes nous auraient chassés, et on serait partis en courant!»

Trois dollars de retraite

Depuis l’arrivée au pouvoir de Hugo Chávez en 1999, les opinions ont évolué à Petare. A en croire le discours spontané de ses habitants, rares sont ceux qui voteront Maduro dimanche. «Bien sûr que j’irai voter pour l’opposition, assure Leidy Duran, qui s’apprête à partir vendre des desserts à moins d’un dollar l’unité pour subvenir aux besoins de sa famille. Avec les prix en dollars, on ne s’en sort plus.» Empêtré dans une interminable crise économique depuis la chute des revenus pétroliers voici une dizaine d’années, le Venezuela a perdu près de 80% de son PIB. L’hyperinflation a conduit à la dollarisation de l’économie et à une augmentation du coût de la vie. Le gouvernement a arrêté d’établir des statistiques sur le sujet mais plus de la moitié de la population du pays vit en situation de pauvreté, selon l’enquête Encovi (Enquête nationale sur les conditions de vie) de l’université Andrés Bello de Caracas.

Déjà défavorisé, Petare, considéré comme l’un des plus grands quartiers populaires d’Amérique latine, a subi de plein fouet l’effondrement de l’économie nationale. Dans le dédale de baraques de briques et de tôles qui coiffent les collines de l’est de Caracas, nombreux sont celles et ceux qui partagent l’avis de Leidy. Maria, sa mère, souffre d’un cancer du sein. Les 130 bolivars (3,25 dollars) de retraite qu’elle touche tous les mois sont dérisoires en comparaison avec les prix des médicaments dont elle a besoin: «Un gallon d’eau coûte déjà 1,5 dollar, alors, les médicaments, je vous laisse imaginer…» Entre les murs de la petite maison à la façade bleu et blanc, tous se cotisent pour pouvoir lui payer une partie de son traitement.

Les habitants de la commune souffrent également de la disparition des services publics. A Petare, les coupures d’électricité sont quotidiennes. «Si je ne vous avais pas accompagné, je serais chez moi en train de nettoyer ma maison car aujourd’hui, nous avons de l’eau!», s’amuse avec ironie Katy Camargo. Travailleuse sociale reconnue dans son secteur de San Blas, la militante résume les aspirations élémentaires de sa communauté: «On veut simplement que tous ces services de base fonctionnent.» Son avis coïncide avec les observations de Margarita López Maya, historienne à l’université centrale du Venezuela: «L’antichavisme d’aujourd’hui n’est pas idéologique. Il provient de la détérioration des conditions de vie.»

«Vous serez les héros anonymes d’un jour historique pour le Venezuela.»

Promesses non tenues

Les habitants de Petare ont longtemps cru aux idéaux égalitaristes portés par la révolution bolivarienne. Vingt-cinq ans après l’arrivée au pouvoir de l’ex-président Hugo Chávez, les mêmes promesses non tenues alimentent le désenchantement. «Petare était une zone oubliée, exclue du développement économique, détaille l’ancien maire Carlos Ocariz. Avec l’arrivée du chavisme, les attentes de justice sociale étaient fortes. Mais cela ne s’est jamais concrétisé.» Même Tamara Almeida, éducatrice de 54 ans qui raconte avoir milité dans les rangs chavistes durant des années, a dû se rendre à l’évidence: «Au début, il y a eu des programmes d’aides, on pensait qu’ils permettraient de sortir les familles de la pauvreté. On est venu nous voir avec de très belles idées, mais elles ne sont jamais arrivées. Chávez se retournerait dans sa tombe s’il voyait la situation.»

Pour Margarita Lopez Maya, «le chavisme s’est complètement coupé de sa base sociale». A Petare, des bastions chavistes perdurent en certains lieux, mais le secteur de San Blas illustre bien plus la désaffection. En témoigne le petit stand de campagne rouge et blanc pro-Maduro installé en face de l’un des locaux de l’association de Katy Camargo qui attend désespérément que les sympathisants s’approchent. Et si le visage moustachu de Nicolás Maduro s’affiche à tous les coins de rue, très peu d’habitations reprennent les couleurs du président sortant, candidat à un troisième mandat présidentiel consécutif, comme le fait remarquer Tamara Almeida.

La figure de l’opposition María Corina Machado et le candidat désigné Edmundo Urrutia pourraient-ils gagner face au pouvoir en place? © Getty Images

Campagne entravée

Ici comme ailleurs au Venezuela, la population n’a d’yeux que pour la vraie-fausse candidate de l’opposition, María Corina Machado. «C’est la plus droite de toutes», estime José Garcia, ouvrier en bâtiment de 26 ans en route avec Katy Camargo vers le petit centre colonial de Petare où se déroule la dernière session de formation des assesseurs électoraux. «Tu as vu la vidéo dans laquelle elle se lève et interpelle directement Chávez quand elle était députée?, demande son accompagnatrice, en référence à un épisode de 2012. María Corina Machado a maintenu une vraie cohérence politique durant toutes ces années.»

Figure prépondérante de l’opposition, cette ingénieure de formation n’est pourtant pas la candidate de la coalition antichaviste. Condamnée à quinze ans d’inéligibilité par la justice vénézuélienne pour avoir soutenu les sanctions américaines, la femme de 56 ans, qui avait gagné haut la main la primaire de décembre, a dû céder sa place à Edmundo González Urrutia, un diplomate de 74 ans, encore inconnu du grand public il y a quelques semaines. La charismatique leader met sa popularité au service de son discret aîné et la stratégie semble porter ses fruits. Partout où se déplace le binôme, une marée humaine envahit les rues malgré les obstacles mis par les autorités, qui vont du blocage de certaines voies d’accès à l’arrestation arbitraire de personnes dans l’entourage de la candidate. L’ONG Laboratorio de Paz en a dénombré 76 entre le 4 et le 19 juillet.

Nicolás Maduro est le président du Venezuela depuis le 8 mars 2013. © BELGAIMAGE

Crainte d’un bain de sang

L’engouement perceptible dans le sillage de María Corina Machado et Edmundo Urrutia se reflète également dans les sondages. Selon la dernière enquête réalisée par le cabinet indépendant ORC Consultores, le candidat de l’opposition récolterait près de 60% des voix tandis que Nicolás Maduro peine à dépasser les 12,5% d’intentions de vote. Sur la petite place du Campito de Petare, ces chiffres dopent le moral des sympathisants. «C’est une chance unique de battre le chavisme, peut-être la dernière de l’emporter grâce au vote», prédit le coordinateur politique Julio Yanes. De son côté, José Garcia, qui n’exclut pas de quitter son quartier s’il trouve du travail ailleurs, espère qu’un changement de régime politique permette de relancer l’économie: «Les jeunes comme moi travaillent comme ils peuvent mais c’est difficile. Je veux obtenir ce changement pour qu’il y ait plus d’opportunités à l’avenir.»

«Ma seule peur, c’est de devoir supporter ce gouvernement six ans de plus.»

Ce nouvel espoir n’occulte pourtant pas la principale crainte des habitants de Petare: voir Nicolás Maduro se maintenir coûte que coûte au pouvoir. Dans les rues du secteur de San Blas, une question continue d’occuper les esprits des membres de la communauté: comment réagira le pouvoir chaviste en cas de défaite dans les urnes le 28 juillet? Certains, comme Katy Camargo, n’ont plus peur. «Ma seule crainte, c’est de devoir supporter ce gouvernement six ans de plus et que le Venezuela se transforme en Cuba, c’est-à-dire une dictature sans fin», confie l’activiste. D’autres montrent plus de préoccupations, surtout depuis que Nicolás Maduro a mentionné la possibilité d’un «bain de sang» et d’une «guerre civile» s’il venait à perdre les élections. «Avec eux, on ne sait jamais ce qui peut se passer. Si Maduro n’accepte pas la défaite, ce peut être le début des problèmes», s’inquiète Maria. La fête que Petare attend n’aura peut-être pas lieu.

Par Gabriel Aguilar

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