Vaste étude sur la jeunesse en France: « Certaines familles sont dans l’incapacité d’assumer un rôle éducatif »
Pour Olivier Galland, auteur de l’enquête « Une jeunesse plurielle » menée auprès de huit mille jeunes de 18 à 24 ans, le système éducatif est trop inégalitaire. Les relations sociales et le travail comme passion sont plébiscités.
L’éducation devrait être la priorité des politiques parce que c’est là que se trouve la racine de toutes les inégalités.
Pour l’Institut Montaigne, un think tank de réflexion et de propositions sur les politiques publiques en France et en Europe, le directeur de recherche émérite au CNRS Olivier Galland a mené, en compagnie du professeur d’histoire et de sociologie politique Marc Lazar, une enquête auprès de huit mille jeunes de 18 à 24 ans en France. Elle a donné lieu à un rapport publié en février 2022 sous le titre « Une jeunesse plurielle » (1). Olivier Galland en dégage les enseignements majeurs.
Votre enquête indique que la première source de préoccupation des jeunes est l’argent mais que ce sont les relations sociales qui influent le plus sur leur sentiment d’être heureux ou pas. Comment l’expliquer?
Que les difficultés liées à l’argent soient les plus ressenties par les jeunes n’est pas une surprise. En France, ils entament souvent leur vie professionnelle par des emplois précaires, avec des salaires peu élevés. Pour beaucoup, les premiers pas dans la vie active sont compliqués sur le plan financier. Néanmoins, c’est la qualité des relations amoureuses et des liens avec les parents ou les amis qui a le plus fort impact sur leur sentiment d’être heureux ou malheureux. Ces relations sociales donnent un important sentiment de sécurité, affective et même matérielle, puisque l’aide que les parents pourront leur accorder dépendra de la qualité de ces relations.
Les jeunes interrogés pointent aussi des difficultés par rapport aux études. Y a-t-il, pour les expliquer, des raisons plus profondes que celles liées à la période de la pandémie?
Le taux de jeunes qui font état de difficultés scolaires est important: 41%. Ce n’est pas si surprenant quand on regarde les études de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à travers ses enquêtes Pisa sur les systèmes éducatifs et les performances des élèves. La France n’est pas particulièrement bien placée. L’écart entre les jeunes qui réussissent et ceux qui ont de moins bons acquis scolaires est important. L’inégalité scolaire en France est fortement liée aux origines socioculturelles.
Le travail reste-t-il un moyen d’épanouissement pour les jeunes?
C’est un des résultats marquants de cette enquête. La génération actuelle des jeunes n’est pas matérialiste, utilitariste ou repliée sur elle-même. La plupart veulent d’abord s’épanouir dans le travail. Ils privilégient un job qui les passionne à un travail qui leur assure la sécurité de l’emploi ou un bon salaire. Même si celui-ci est aussi apprécié. Ils recherchent d’abord un métier qui leur donne des satisfactions personnelles.
Existe-t-il une fracture similaire que chez les adultes entre bénéficiaires et laissés-pour-compte de la mondialisation?
Si vous parlez d’une fracture territoriale, pas tellement. Sauf sur un point: l’acceptation ou le refus de l’ouverture de la société sur l’extérieur. Là, effectivement, on observe un clivage assez fort entre les jeunes urbains, nettement plus favorables à l’ouverture de la société que les générations précédentes, et les jeunes ruraux qui défendent davantage une politique de fermeture, à travers, par exemple, l’interdiction des délocalisations, la taxation des importations ou la restriction très ferme de l’immigration. Et puis, on a un autre clivage selon le niveau d’études et du « capital culturel familial », mesurés par le nombre de livres qu’il y a au foyer des parents. Les jeunes les plus disposés à participer à la vie de la société et à se mobiliser sont, sans surprise, ceux qui ont un niveau d’études plus élevé et sont issus de famille à haut capital culturel. En revanche, la force de ce clivage nous a étonnés. On a en effet plus d’un quart des jeunes, ceux que l’on a appelé « les désengagés », qui restent complètement à l’écart des pré- occupations pour les questions sociétales et politiques. Ils sont un peu plus issus du milieu rural.
La désaffiliation politique est-elle un phénomène important au sein de la jeunesse française?
Oui. La proportion des jeunes qui indiquent une préférence pour un parti politique est faible, 36%, alors qu’elle s’élève à 60% dans la génération des parents et à 64% dans celle des « boomers ». Cela ne veut pas dire que tous les jeunes sont éloignés de la politique. Mais une bonne partie d’entre eux semblent s’en éloigner. Les enquêtes régulières sur la participation électorale réalisées par l’Insee (NDLR: Institut national de la statistique et des études économiques) montrent que, depuis 2002, la proportion de jeunes qui se sont abstenus à tous les tours des élections présidentielles et législatives s’est assez fortement accrue. En 2017, ils étaient 20% chez les 18-24 ans et 27% chez les 25-29 ans.
Comment expliquez-vous que « les jeunes nés à l’étranger ou d’origine étrangère, les jeunes musulmans, ceux qui vivent dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville » sont particulièrement représentés dans le groupe des « intégrés transgressifs »?
C’est une question délicate et sensible. Une bonne partie de ces jeunes se sentent relativement intégrés à la société, notamment sur le plan local. C’est plutôt une bonne nouvelle. Ils ont souvent un emploi. Ils ne sont pas spécialement pessimistes sur la société. Par contre, ils adhèrent nettement plus que d’autres à une culture transgressive que l’on observe à travers les questions posées à la fois sur la violence politique et sur la déviance. Sur ces aspects, ils se différencient assez nettement des autres jeunes. Ils déclareront plus souvent qu’il est acceptable ou compréhensible de ne pas payer son billet de train, de conduire sans permis ou de se battre avec la police. Ces résultats sont compliqués à expliquer et à interpréter.
La proportion des jeunes qui indiquent une préférence pour un parti politique est faible, 36%.
Un élément d’interprétation est peut-être fourni par le constat qu’une grande majorité d’entre eux, 65%, pense que la France est une société structurellement raciste. Ces jeunes-là vivent plus que d’autres dans des zones criminogènes. Il peut y avoir une certaine forme d’acculturation à une culture déviante, du fait tout simplement qu’elle est plus présente dans cette zone du territoire.
La question du tribut porté par la jeunesse pendant l’épidémie de Covid a été largement discutée. Cela se traduit-il, selon vous, par un renouvellement des mesures en faveur de la jeunesse dans les programmes des candidats à l’élection présidentielle?
Je n’ai pas l’impression que ce soit en tête de liste des programmes des candidats à la présidentielle. Je n’ai pas vu grand-chose. Je pense notamment que la question de l’école devrait être centrale dans la campagne présidentielle. La France a de grosses défaillances sur le plan de son système éducatif. Il y a une proportion trop importante de jeunes qui échouent encore. Le niveau au sortir de l’école n’est pas satisfaisant. Les enseignants sont mal formés sur le plan pédagogique. D’ailleurs, différentes enquêtes comparatives internationales de l’OCDE dans l’école primaire montrent qu’ils se sentent plus désarmés que leurs collègues étrangers pour faire réussir les élèves qui éprouvent des difficultés. Ce n’est pas de leur faute. Le système éducatif français est très vertical, très disciplinaire. Les élèves interviennent peu, sont très passifs… Ce sont des choses qu’il faudrait faire évoluer. L’école devrait aussi se poser la question d’aller au-delà de la dispense des compétences et des qualifications. Elle devrait remplir une mission de formation des citoyens, qui n’est pas du tout dans la culture éducative en France. Quand on voit précisément qu’une partie des jeunes est totalement déconnectée des questions d’intérêt général, on se dit que l’école devrait jouer un rôle pour les former au débat, aux usages et aux mésusages d’Internet, et pour éveiller leur esprit critique. Mais ce n’est pas dans son ADN. Elle considère que ce rôle éducatif est du ressort des familles. Malheureusement, on le voit bien dans notre enquête, certaines familles sont dans l’incapacité de le faire. L’éducation devrait être la priorité des politiques parce que c’est là que se trouve la racine de toutes les inégalités.
(1) Rapport consultable sur institutmontaigne.org
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