Nicolas Baygert
Valérie Trierweiler : Liberté, Egalité, Extimité
Rien de mieux que la « Schadenfreude », ce terme allemand désignant la jouissance que l’on tire de l’infortune d’autrui, pour décrire l’effet de la sortie du Fifty Shades of Grey élyséen. On déplore, certes, les motivations ayant conduit à la publication du « peste-seller » de Valérie Trierweiler, mais on ne peut s’empêcher d’aller hurler – sans dents – avec les loups, et se gausser de la énième déconfiture d’un Flamby échec et Paris Match.
Que tirer, dès lors, de cet inconfort qu’éprouvent certains au regard de Merci pour ce moment ; objet littéraire figurant dans la rubrique « Essais » (nucléaires, pourrait-on spécifier), et dont les radiations devraient laisser de graves séquelles sur l’ADN de gauche de François Hollande.
« En réalité, il n’aime pas les pauvres. Lui, l’homme de gauche, dit en privé les « sans-dents », très fier de son trait d’humour », expose l’ex-Première dame. « Je ne vais pas laisser mettre en cause la conception de mon action au service des Français […] les plus modestes, les plus humbles, les plus pauvres, parce que je suis à leur service, et parce que c’est ma raison d’être, tout simplement ma raison d’être », rétorque, de son côté, le Président, qui à l’heure où paraissent ces lignes, ne bénéficie plus que de 13 % d’opinions favorables.
C’est en réalité une guerre des récits qui se joue au sommet de l’Etat, à laquelle le Président lui-même se plie. Une guerre entamée dès l’affaire du « scooter » – véritable tournant People du quinquennat – et l’acte de répudiation qui suivra, plongeant l’ancienne compagne du Président dans un état de disgrâce. S’en suit, aujourd’hui, une entreprise de ternissement d’image, présentée sous forme de récit victimaire.
La démarche serait en réalité symptomatique de l’entrée de nos sociétés, depuis une décennie environ, dans l’ère de l’extimité. Pour le psychiatre Serge Tisseron (1), le « désir d’extimité » consiste à montrer des fragments de son intimité avec un profond espoir de reconnaissance. Une opération qui nécessite une posture psychique caractéristique, pariant sur le partage d’un même système de valeurs avec l’interlocuteur – on parlerait donc ici de martyr partagé.
« Si tu regardes longtemps au fond d’un abîme, l’abîme aussi regarde au fond de toi », prévenait naguère Friedrich Nietzsche (2). Or, l’on constatera que, loin de boycotter cette dérive intimiste délirante, la presse s’est au contraire adaptée au phénomène. La place réservée à ce dernier dans les médias confirme l’état avancé de tabloïdisation du journalisme politique en France.
A côté du livre précité, d’autres ouvrages récents (3) corroborent le glissement vers un journalisme d’exhibition, misant sur un (é)lecteur-voyeur complice. Dorénavant, certains journalistes s’accordent un « droit de regard intégral » sur la vie des élus. Avides de confidences de boudoir, ils demeurent à l’affût de toute nouvelle « séquence » du vaudeville élyséen.
On rappellera ainsi que c’est à l’ancienne auto-proclamée « Première journaliste de France », reportrice politique passée critique littéraire chez Paris Match que l’on doit l’actuel succès de librairie. Une plume dans l’air du temps, trempée dans l’encre du ressentiment. Aussi, gageons que François Hollande aurait dû méditer cette phrase d’Oscar Wilde, autre célèbre sans-dents : « Un homme ne saurait trop attacher d’importance au choix de ses ennemis » (4).
par Nicolas Baygert
(1) L’intimité surexposée, Serge Tisseron, Paris : Ramsay, 2001.
(2) Par-delà le bien et le mal (trad. Patrick Wotling), Friedrich Nietzsche, Paris : Flammarion, 2000.
(3) Sexus Politicus, Christophe Deloire et Christophe Dubois, Paris : Albin Michel,
2006. Et Jean Quatremer, Sexe, mensonges et médias, Paris : Plon, 2012.
(4) Le Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde, Paris : Gallimard, 1992.
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