Le Haut-Karabakh comptait 120 000 habitants. Combien en restera-t-il à terme? © getty images

Va-t-on vers la fin de la présence arménienne au Haut-Karabakh?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Eviter que l’implacable victoire de l’armée de Bakou ne se mue en épuration ethnique, un enjeu crucial. Aux Européens d’agir.

La fin d’un conflit de trente ans, mais à quel prix? L’offensive éclair de l’armée azerbaïdjanaise les 18 et 19 septembre, la reddition des forces de défense de l’enclave le lendemain, et l’impuissance de la communauté internationale ont poussé en quelques jours des milliers d’Arméniens du Haut-Karabakh, situé en territoire azerbaïdjanais, à fuir vers l’Arménie voisine.

Le 26 septembre, une semaine seulement après l’attaque, 13 350 personnes venues du Haut-Karabakh avaient déjà franchi la frontière, soit plus de 10% des 120 000 habitants du territoire. Le cessez-le-feu conclu entre des représentants du Karabakh et de l’Azerbaïdjan prévoit le retrait des unités et des militaires des forces armées d’Arménie, alors qu’Erevan assure qu’il n’y en a plus depuis août 2021, «la dissolution et le désarmement des formations armées de l’Armée de défense du Haut-Karabakh», et la tenue de négociations sur la garantie des droits et de la sécurité des habitants, objet d’une première réunion le 21 septembre. Elles ne devraient pas se conclure rapidement. En attendant, le passé de violence entre les deux populations n’incline pas les familles du Haut-Karabakh à rester dans leurs foyers.

Il n’y a pas d’unité européenne, même s’il y a une affirmation européenne plus forte qu’elle ne l’était auparavant.

Les causes de l’exode

A lui seul, l’assaut de l’armée azerbaïdjanaise par plusieurs voies d’entrée de l’enclave aurait fait deux cents morts et quatre cents blessés, et détruit une part substantielle de l’armement des forces de défense du Haut-Karabakh. Ce coût humain et matériel, conjugué aux difficultés engendrées par les six mois de blocus consécutifs à la fermeture, par les Azerbaïdjanais, du corridor de Latchine reliant le territoire à l’Arménie, a précipité la reddition des assiégés. Privée de sa protection, effrayée par la perspective de l’occupation complète de l’enclave par l’armée ennemie, alertée par des premiers témoignages de destruction du patrimoine arménien (églises, croix en pierre…) et marquée par le souvenir des exactions des Azerbaïdjanais, la population du Haut-Karabakh est tentée par l’exil. Comment pourrait-il en être autrement?

Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a assuré, le 25 septembre, que les droits des habitants du Haut-Karabakh seraient garantis. Promesse louable mais faite lors d’un happening qui avait toutes les caractéristiques d’une démonstration de puissance, peu encline à rassurer les Arméniens: il se trouvait dans l’exclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan à l’ouest de l’Arménie en compagnie de son homologue turc Recep Tayyip Erdogan, son allié ô combien précieux lors de l’offensive de cette mi- septembre, et plus encore lors de la guerre menée du 27 septembre au 10 novembre 2020, qui a commencé à sceller le sort du Haut-Karabakh.

Clairement, seule une pression de la communauté internationale pourrait à la fois forcer l’Azerbaïdjan majoritairement musulman à respecter sa minorité chrétienne arménienne et procurer un minimum d’apaisement à celle-ci pour éventuellement renoncer à fuir. Ces garanties, l’Union européenne peut-elle contribuer à les forger?

L’Europe divisée

Guerre en Ukraine oblige, le désengagement de la Russie de la confrontation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, que l’assaut azerbaïdjanais a spectaculairement mis en évidence puisqu’un contingent de deux mille soldats russes était censé assurer le statu quo au Haut-Karabakh après le cessez-le-feu de 2020, a ouvert une fenêtre d’opportunité à la diplomatie de l’Union européenne. «A partir de 2022, la Russie a été affaiblie. Par conséquent, l’Union européenne s’est investie davantage dans le dossier, confirme Michel Marian, historien et philosophe (lire page 49). Le problème est qu’elle est divisée. Une minorité de pays autour de la Hongrie de Viktor Orbán est ouvertement amie de la Turquie et de l’Azerbaïdjan. A l’autre bout du spectre, en raison de ses liens traditionnels avec les Arméniens, la France est, en paroles, nettement du côté de l’Arménie. Ce qui a bougé récemment, c’est que l’Allemagne d’Olaf Scholz est également extrêmement vigilante sur les exactions de l’Azerbaïdjan et ne se prive pas de le dire. Mais en face, vous avez Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui a signé un accord gazier avec l’Azerbaïdjan en juillet 2022 (NDLR: prévoyant un doublement des approvisionnements en gaz d’ici à 2027). Il n’y a pas d’unité européenne sur la question, même s’il y a une affirmation européenne plus forte qu’elle ne l’était auparavant.»

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«Nous avons sous les yeux le résultat de notre compromission avec le régime d’Aliev, a dénoncé l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann au magazine LePoint. A force de traiter celui qui prépare l’offensive et la guerre comme un partenaire fiable (NDLR: termes employés par Ursula von der Leyen lors de la signature de l’accord gazier), nous le renforçons et nous lui envoyons le signal qu’il peut y aller.» Emotion compréhensible, sauf que, héritage de l’époque de l’Union soviétique contesté à sa chute par une déclaration d’indépendance unilatérale en 1991, le Haut-Karabakh est un territoire internationalement reconnu de l’Azerbaïdjan.

Axe Bakou-Ankara

L’Union peut-elle sauver son honneur en œuvrant désormais à la protection durable des habitants de l’enclave? Malgré des réticences du gouvernement de Budapest, elle a tout de même pu s’accorder sur une déclaration commune formulée lors d’un débat devant le Conseil de sécurité des Nations unies le 22 septembre. Elle y réclame que l’Azerbaïdjan garantisse «un accès humanitaire sans entrave à la population civile du Haut-Karabakh dans le besoin» et que s’ouvre «un dialogue global et transparent sur le respect de ses droits et de sa sécurité».

Opposer un cadre diplomatique à la stratégie de la force développée par l’Azerbaïdjan aurait, au-delà d’une utilité sur le plan humanitaire, un intérêt géo- politique. «Il semble que les Français, les Allemands et peut-être les Néerlandais se rendent compte que l’axe indestructible entre l’Azerbaïdjan et la Turquie est peut-être un facteur de déstabilisation important de la région, analyse Michel Marian. Des intérêts diplomatiques multiples se manifestent dans le Caucase du Sud, sans système de régulation entre eux. L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont plusieurs parrains locaux – la Turquie et l’Iran –, et internationaux, les Etats-Unis, l’Union européenne et la Russie. Cela fait beaucoup de monde.» Trop de monde, sans doute. Un constat à l’image de l’ordre international issu de la guerre en Ukraine: éclaté.

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