USA: la difficile résistance des pro-avortement
Après la décision de la Cour suprême d’abroger l’arrêt qui garantissait le droit à l’avortement, les partisans de l’IVG cherchent les moyens d’atténuer son impact. Mais face à une institution durablement conservatrice, la marge de manœuvre est limitée.
Le contexte
Le 24 juin, la Cour suprême des Etats-Unis, par cinq voix contre quatre, a révoqué son arrêt Roe versus Wade qui, depuis 1973, garantissait le droit des Américaines à l’avortement. La haute cour laisse désormais aux Etats le soin d’interdire ou non ce droit sur leur territoire. Vingt-cinq Etats devraient opter pour l’interdiction, obligeant leurs citoyennes désireuses de procéder à une interruption volontaire de grossesse à des déplacements parfois longs et onéreux. La décision de la Cour suprême a été diversement jugée par les Américains: «une erreur tragique», a déploré le président Joe Biden ; «la volonté de Dieu», a salué son prédécesseur, Donald Trump.
La décision prise par la Cour suprême des Etats-Unis, le 24 juin, s’apparente à un cataclysme pour une partie significative des Américaines, qui voient, incrédules, s’éclipser dans la moitié des Etats du pays un droit que beaucoup n’imaginaient pas une seconde voir disparaître de leur vivant. Lorsque l’arrêt conférant une protection fédérale au droit à l’avortement fut acté en 1973, la Cour suprême était dominée par des juges nommés par des présidents républicains. Le revirement en dit donc long sur la mue idéologique opérée par la Cour depuis cinquante ans.
Une Amérique à deux vitesses s’apprête à se mettre en place en matière de droit à l’avortement.
Les Etats dirigés par les conservateurs qui s’apprêtent à interdire l’avortement – ou l’ont déjà fait – sont en majorité situés dans le centre du pays, dans un environnement où les mentalités sont davantage attachées à une vision traditionnelle de la sexualité et des droits en découlant: Idaho, Wyoming, Utah, Arizona, Dakota du Nord, Dakota du Sud, Nebraska, Oklahoma, Texas, Missouri, Arkansas, Louisiane, Mississippi, Tennessee, Alabama, Géorgie, Caroline du Sud, Caroline du Nord, Kentucky, Virginie-Occidentale, Ohio, Indiana, Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin. Dans certains de ces Etats, ce sont des femmes gouverneures qui, elles-mêmes, se sont félicitées, depuis le 24 juin, de la décision «historique» prise par la Cour suprême, une preuve que la vision «pro-life» n’est pas uniquement l’apanage des hommes, mais correspond à un mouvement qui surpasse les identités sexuelles et raciales et qui est surtout marqué, dans la plupart des cas, par une dynamique religieuse.
Une difficile réorganisation
Quelles options reste-t-il désormais pour les femmes vivant dans des Etats conservateurs et souhaitant procéder à une IVG? La réponse est simple, mais peut prendre une tournure logistique compliquée, surtout pour les populations fragilisées économiquement et vivant dans des Etats enclavés, comme le Texas ou le Mississippi.
Dans le cas de ce dernier Etat, d’où émane la loi hostile à l’avortement ayant débouché sur un examen de la Cour suprême, les femmes désireuses d’avorter devront procéder à un long déplacement vers le sud de l’Illinois, distant de plusieurs centaines de kilomètres. Dans les Etats interdisant l’IVG, toute une industrie des soins de santé se voit forcée de muer. Certaines cliniques ont déjà pris le pli de déménager vers des cieux plus cléments. C’est le cas d’une structure hospitalière opérant à Memphis, dans le Tennessee, qui a décidé dès le week-end après l’arrêt de se réinstaller à Carbondale, une petite localité de l’Illinois distante de quelque 400 kilomètres, à un endroit qu’elle espère accessible pour sa patientèle.
Élan de solidarité
Dans les Etats réputés ouverts en matière d’avortement, la décision de la Cour suprême a enclenché une réaction marquée par une détermination quasi dogmatique. L’arrêt y est interprété comme une attaque frontale contre un principe non négociable. Dans l’Etat de New York, la gouverneure Kathy Hochul a déclaré que son administration prendrait les mesures nécessaires pour garantir aux femmes résidant dans des Etats hostiles à l’IVG une protection contre un droit «inaliénable». Elles y sont considérées bienvenues «sans conditions» pour procéder à une interruption volontaire de grossesse.
Une Amérique à deux vitesses s’apprête donc à se mettre en place en matière de droit à l’avortement. A moins d’une réaction peu probable du pouvoir fédéral pour garantir aux citoyennes une protection unifiée à l’échelon national pour le droit à l’avortement, les femmes n’auront d’autres choix que de voyager, parfois loin. Le mouvement «pro-IVG» qui, contrairement aux groupes «pro-life», ne dispose que de peu de structures sur le plan organisationnel, a totalement été pris de court. Il mettra des années à s’organiser pour tenter de peser sur le débat politique local, pour, peut-être un jour, renverser ce qui vient de l’être.
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