Vers un « Russiagate »? La justice belge enquête sur un réseau d’influence russe au Parlement européen
Les autorités judiciaires belges ont confirmé l’ouverture d’une enquête sur un réseau d’influence russe dans plusieurs pays, dont en Belgique où des parlementaires européens auraient reçu des paiements de Moscou, a annoncé vendredi le Premier ministre Alexander De Croo.
Après l’ingérence du Qatar et du Maroc sur le Parlement européen, au tour de la Russie? Les informations révélées par nos confrères du Soir fin mars, qui laissaient planer l’ombre d’un ‘Russiagate’, semblent se confirmer. En effet, la justice belge enquête sur un réseau d’influence russe au Parlement européen. « Les paiements en liquide n’ont pas eu lieu en Belgique, mais les interférences oui », a indiqué M. De Croo, lors d’une conférence de presse sur le bilan à mi-parcours de la présidence belge du Conseil de l’UE.
La nouvelle loi belge sur l’espionnage et l’ingérence étrangère est entrée en vigueur la semaine dernière, a-t-il rappelé. Les autorités tchèques ont mis au jour il y a peu une opération pro-russe d’ingérence en Europe, impliquant des réseaux d’espionnage. Moscou a approché des eurodéputés, dont certains ont reçu des paiements pour promouvoir sa propagande, a exposé le chef du gouvernement fédéral. Le but est de faire élire davantage de candidats pro-russes aux prochaines élections européennes et renforcer le narratif pro-russe dans cette institution, avec en point de mire un affaiblissement du soutien européen à l’Ukraine, a-t-il poursuivi.
Le site d’information Voice of Europe, basé à Prague, était utilisé pour répandre des informations visant à dissuader l’UE d’aider l’Ukraine dans sa lutte contre l’invasion russe lancée en février 2022, selon l’enquête tchèque, qui avait déjà pointé du doigt la perméabilité du Parlement européen. C’est à ce même site que les députés flamands du Vlaams Belang Filip Dewinter et Filip Brusselmans ont donné des interviews. Le but de la propagande est de faire élire en juin prochain davantage de candidats pro-russes et de renforcer le narratif pro-russe au Parlement européen, avec en point de mire un affaiblissement du soutien européen à l’Ukraine, confirme M. De Croo.
Qui est visé?
M. De Croo dit être en contact avec le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, ainsi qu’avec les institutions européennes. La Belgique a demandé à Eurojust de se réunir en urgence. Il conviendrait potentiellement d’élargir le mandat du parquet européen et de l’office européen de lutte contre la fraude, l’OLAF, pour leur permettre de poursuivre cette « menace russe », selon M. De Croo.
Ce dernier n’a pas dévoilé quelles personnalités politiques étaient visées, ces informations étant classifiées. La presse tchèque avait toutefois rapporté que les paiements concernaient des responsables politiques de Belgique, France, Allemagne, Hongrie, des Pays-Bas et de Pologne. La formation d’extrême droite allemande Alternative pour l’Allemagne (AfD) serait notamment impliquée.
Le gouvernement tchèque a placé Voice of Europe, l’ancien député ukrainien et homme d’affaires proche du Kremlin Viktor Medvedtchouk, ainsi que l’homme de médias Artem Martchevsky, sur sa liste de sanctions, en lien avec les activités du réseau. M. De Croo s’attend à ce que les personnes impliquées soient aussi placées sur la liste de sanctions de l’UE.
«Nouvelle réalité»
Présente à ses côtés, la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib a rappelé que la Belgique avait expulsé ces deux dernières années de nombreuses personnes soupçonnées d’espionnage pour la Russie, dont des pseudo-diplomates ainsi que des diplomates accrédités auprès de l’UE. Le sujet sera évoqué lors du sommet européen informel de la semaine prochaine. « Je fais confiance à mes collègues pour faire en sorte que les prochaines élections européennes soient de réelles élections », a exhorté M. De Croo.
Interrogé sur le Qatargate, cette enquête belge sur des soupçons de corruption d’eurodéputés par le Qatar, le Maroc et la Mauritanie, Alexander De Croo a affirmé que la Justice belge avait fait « ce que l’institution (le Parlement européen, NDLR) aurait dû faire ». « Certaines institutions européennes ne sont pour l’instant pas organisées par rapport à une nouvelle réalité », a-t-il ajouté. Mme Lahbib a toutefois rappelé le vote récent instituant un organe d’éthique commun à plusieurs institutions de l’UE, pour renforcer la lutte contre d’éventuelles corruptions internes et des interférences étrangères.
En février dernier, les eurodéputés ont dénoncé des tentatives de la Russie de recruter certains d’entre eux en tant qu’agents d’influence, ainsi que la fourniture par Moscou de messages aux partis d’extrême droite dans l’ensemble de l’UE, avec pour but de minimiser le soutien à l’Ukraine. L’UE a adopté ces dernières années plusieurs législations contre l’ingérence étrangère.