Union européenne: ce que contient la réforme « révolutionnaire » du système d’asile
Une majorité s’est dégagée parmi les États membres de l’UE sur une nouvelle politique européenne d’asile et de migration, après des années de blocage et de dissensions. Voici ce que l’accord contient.
Les ministres européens de l’Intérieur ont trouvé un accord sur deux volets clés d’une réforme de la politique migratoire. La réforme prévoit un système de solidarité entre Etats membres, obligatoire mais « flexible », dans la prise en charge des réfugiés, et un examen accéléré des demandes d’asile de certains migrants aux frontières, afin de les renvoyer plus facilement vers leur pays d’origine ou de transit.
Examen accéléré aux frontières
L’accord prévoit que les demandeurs d’asiles fassent l’objet d’un examen accéléré aux frontières extérieures de l’UE, dans le but d’évaluer rapidement si les demandes sont infondées ou irrecevables. Les États membres concernés devraient prévoir les capacités nécessaires, dans des centres fermés ou autres. Un nombre minimal de demandes à traiter annuellement serait fixé, de même que le nombre minimum de places à prévoir. Le principe que les mineurs d’âge non accompagnés ne seront pas soumis à cette procédure aux frontières est acquis, alors que les familles avec enfants ne seront pas exemptées.
Prise en charge obligatoire
Les personnes qui n’ont pas droit à l’asile devraient pouvoir être plus rapidement renvoyées, tandis que celles qui y ont droit entrent dans la nouvelle procédure d’asile. C’est toujours le pays de première entrée qui resterait le plus souvent en charge, mais un mécanisme de solidarité permettrait d’aider les pays sous forte pression, comme Chypre, la Grèce, l’Italie, Malte ou l’Espagne. Les autres États membres devront prendre en charge un certain nombre de demandeurs d’asile, mais cette obligation est « flexible »: s’ils la refusent, ils doivent verser au pays sous forte pression migratoire une contribution par relocalisation refusée.
Au final, seules la Hongrie et la Pologne ont voté contre le compromis. Malte, la Bulgarie, la Slovaquie, la Lituanie et la Tchéquie se sont abstenus. Le ministre tchèque a dit vouloir faire usage d’une clause pour se soustraire au mécanisme de solidarité, en raison du très grand nombre de réfugiés ukrainiens sur son territoire.
Quels chiffres?
Ce jeudi, c’est surtout sur des chiffres, des montants et des objectifs que les négociations ont porté. Il a été convenu que le « screening » aux frontières extérieures porte chaque année sur 120.000 demandeurs d’asile et qu’au moins 30.000 places soient prévues à cet effet.
En outre, 30.000 demandeurs d’asile devraient être répartis chaque année sur base du mécanisme de solidarité, des chiffres qui seront actualisés chaque année en fonction des flux migratoires réels. Les pays qui souhaitent mettre de l’argent sur la table plutôt que d’accueillir des demandeurs d’asile devront payer 20.000 euros par personne pour le faire. Les États membres ont également convenu d’une clé de répartition des demandeurs d’asile pris en charge. Elle est de 3,19% pour la Belgique. Sur base de 30.000 relocalisations (chiffre qui est donc à revoir chaque année), cela donnerait donc 957 personnes.
Les États membres ont également convenu d’une clé de répartition. Elle est de 3,19% pour la Belgique.
Pour la présidente de la réunion ministérielle, la ministre suédoise Maria Malmer Stenergard, les deux règlements concernés sont des pierres d’angle du nouveau pacte sur la migration et l’asile, primordiaux pour « l’équilibre entre responsabilité et la solidarité ». La secrétaire d’État belge à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor, a qualifié ce nouveau système européen de « révolution ». Elle précise que « les migrants originaires de pays où le taux de reconnaissance est inférieur à 20% et qui ne sont pas réellement des réfugiés seront soumis à la procédure accélérée aux frontières (12 semaines). C’est le cas, par exemple, du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, du Sénégal, du Bangladesh et du Pakistan ». Selon elle, ce système, s’il avait été mis en place plus tôt, aurait permis d’éviter les listes d’attente et le manque de place d’accueil que connaît la Belgique actuellement.
Quelles suites pour cette réforme de l’asile?
Les deux textes peuvent maintenant faire l’objet d’une négociation avec le Parlement européen. L’objectif est d’aboutir avant la fin de la législature, au premier semestre 2024, dans le courant de la présidence belge du Conseil de l’UE. En raison du « fragile équilibre » que les États membres ont trouvé entre eux, ces négociations ne seront pas faciles, concède Nicole de Moor, notamment en ce qui concerne la procédure aux frontières et le traitement des mineurs d’âge, les positions du Conseil et du Parlement européen semblent très éloignées l’une de l’autre.
Le co-président des Verts/ALE au Parlement européen, le Belge Philippe Lamberts, a donné le ton. « L’accord de ce soir se plie aux exigences de l’extrême droite au détriment des valeurs européennes. Les gouvernements européens optent pour toujours plus d’Europe forteresse, de camps et de mépris des droits humains ». Il dénonce aussi « une externalisation de la question vers des régimes douteux et des dictatures. »
Le Premier ministre hongrois nationaliste Viktor Orban a qualifié l’accord d' »inacceptable ». « Bruxelles abuse de son pouvoir. Ils veulent relocaliser les migrants vers la Hongrie par la force », a-t-il réagi, selon un message posté sur Twitter par le porte-parole du gouvernement Zoltan Kovacs.
« Salle d’attente de l’Europe »
« Il s’agit d’un accord faible, inapplicable et même perfide », a déclaré l’ancien secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken. Le député N-VA ne croit pas non plus que l’UE parviendra à organiser un filtrage et un retour rapides dans les pays de la ligne de front. « Les centres situés à l’intérieur de la frontière européenne se rempliront inévitablement à court terme et deviendront la salle d’attente de l’Europe. Organiser un retour massif pour toutes les personnes rejetées est donc presque impossible », estime M. Francken.
Sammy Mahdi, également ancien secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration et actuellement président du CD&V s’est dit « fier ». Il a souligné, via Twitter, les résultats obtenus et l’accord « que l’on disait impossible ».
« Cet accord ne réduit en rien l’immigration illégale »
Le Vlaams Belang s’est joint à la Hongrie et la Pologne, pays qui ont d’ores et déjà condamné l’accord sur la réforme de l’asile. « Cet accord favorise l’immigration légale et ne réduit en rien l’immigration illégale », a déclaré le président du parti, Tom Van Grieken. « On veut transformer l’immigration illégale en immigration légale. Les fondements d’une politique visant à freiner l’immigration vers l’Europe sont totalement absents », estime M. Van Grieken.