Négociations Ukraine
Les chefs de la diplomatie américaine et russe réunis à Riyad, le 18 février. Un tournant dans la guerre en Ukraine. © GETTY

Négociations sur la guerre en Ukraine: pourquoi un «deal» se dessine sur le dos des Ukrainiens et des Européens

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’association promise mais limitée de l’Ukraine et de l’Europe aux négociations n’éloigne pas le spectre d’un accord très favorable à la Russie. Les Européens paient cher leur attentisme et leur division.

Une semaine après l’annonce par le président américain Donald Trump de l’ouverture de négociations avec la Russie pour mettre fin à la guerre en Ukraine, provoquant la sidération puis les protestations des dirigeants ukrainiens et européens, les esprits se sont quelque peu apaisés. Sans que, pour autant, les interrogations de fond ne trouvent des réponses satisfaisantes.

Une première prise de contact entre les chefs de la diplomatie américaine et russe, Marco Rubio et Sergueï Lavrov, d’une durée de quatre heures et demie le 18 février à Riyad en Arabie saoudite, a abouti à la nomination d’équipes de haut niveau pour travailler à la fin du conflit «dès que possible, d’une manière durable, soutenable et acceptable pour toutes les parties». Une formulation qui, à elle seule, est une promesse relativement rassurante en regard des déclarations initiales de Donald Trump, le 12 février, suggérant un règlement expéditif, et très défavorable à Kiev, du conflit.

La déclaration le même jour du porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, indiquant que Vladimir Poutine serait prêt à négocier avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky «si nécessaire», l’engagement de Marco Rubio d’associer l’Union européenne aux discussions «à un moment donné parce qu’elle a aussi pris des sanctions» contre Moscou, et le souhait exprimé par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen de «faire équipe» avec les Etats-Unis pour «une paix juste et durable», toutes ces professions de foi ont donné le sentiment que le pire pourrait être évité.

France et Royaume-Uni sont les deux pays les plus enclins à envoyer des troupes en Ukraine. © GETTY

Un nouveau Munich?

Il est pourtant loin d’être acquis qu’en engageant des discussions avec le président russe «sur l’Ukraine sans l’Ukraine», tel que l’a rappelé à juste titre Volodymyr Zelensky, Donald Trump ne se comporte pas, ainsi que le craint l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann, comme les Occidentaux «offrant à Munich en 1938 la Tchécoslovaquie à Hitler sur un plateau d’argent». «Nous sommes aujourd’hui à un tournant de la guerre que Poutine attendait depuis l’échec de son « blitzkrieg » sur Kiev: l’effondrement non pas du front ukrainien mais de l’arrière-front occidental. La soumission non pas des soldats ukrainiens qui risquent leur peau et ne cèdent rien, mais des dirigeants occidentaux qui ne risquent rien et sont prêts à tout céder», a soutenu le candidat tête de liste du Parti socialiste et de Place publique aux élections européennes de 2024. Lâché par Donald Trump, l’arrière-front occidental réduit à sa dimension européenne peut-il réellement tenir face à Vladimir Poutine?

C’est comme si Donald Trump avait déjà promis à Vladimir Poutine le «scalp» de Zelensky.

La réaction des Européens au virage pris par Washington incline plutôt à en douter. Un des principaux enjeux de la résolution du conflit réside dans les garanties de sécurité qui seront accordées à l’Ukraine pour prévenir toute volonté de la Russie de relancer son invasion au-delà des lignes de séparation des belligérants. Médiateurs en chef autoproclamés, les Etats-Unis ont benoîtement interpellé les Européens sur cet enjeu en leur demandant, dans un formulaire, dans quelle mesure ils seraient prêts à déployer des soldats en Ukraine à cet effet. Réunis le 17 février à Paris à l’initiative du président Emmanuel Macron, les huit Etats les plus importants ont avancé un éventail de réponses qui dit toute la complexité européenne de définir une réponse commune. La France est prête. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas aussi, mais exigent un «filet de sécurité» des… Etats-Unis. La question est prématurée pour l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Danemark. C’est non pour la Pologne en raison du «passif» du pays en terre ukrainienne… Ajoutez à cette cacophonie le mécontentement des pays qui n’ont pas été conviés au sommet de l’Elysée (Roumanie, République tchèque) et l’opposition de ceux qui sont alignés sur la position de Moscou et pour lesquels les garanties de sécurité de l’Ukraine sont le cadet des soucis (Hongrie, Slovaquie), et vous aurez compris que l’Europe pourrait ne pas sortir grandie de l’épisode. Tout juste pourra-t-on se réjouir que l’épreuve ait rapproché Londres et Bruxelles et délié le Royaume-Uni de Keir Starmer du traditionnel suivisme américain.

Volodymyr Zelensky multiplie les contacts diplomatiques (ici en Turquie, le 18 février), mais peut-il rompre son isolement? © GETTY

Négociations avec l’Ukraine: la leçon de Zelensky

La réplique européenne à l’arbitraire états-unien est en tout cas à ce stade très éloignée de l’ambition fixée à l’Europe par Volodymyr Zelensky lors de la conférence de Munich de «créer ses forces armées». «A partir de maintenant, les choses seront différentes, et l’Europe a besoin de s’adapter à cela […] Je crois en l’Europe et je vous exhorte à agir pour votre propre bien», a-t-il insisté. Les Vingt-Sept recevaient là une leçon plus mobilisatrice que celle dispensée dans le même cénacle par le vice-président américain J.D. Vance sur l’exercice de la démocratie, mais une leçon quand même. Les applaudissements sous forme de soutien recueillis à Munich par le président ukrainien ne doivent cependant pas entretenir l’illusion d’une solidarité en toutes circonstances. Volodymyr Zelensky est isolé et démuni.

L’image d’un Donald Trump piètre négociateur pourrait rester inscrite durablement dans l’histoire.

Même élargies, les négociations entre Américains et Russes n’offrent pas une perspective d’accord équilibré et honorable pour Kiev. Sa proposition d’un échange de territoires avec Moscou entre la partie de l’oblast de Koursk occupée en Russie et des zones du sud ukrainien a peu de chances de produire un résultat satisfaisant. Les Européens ne se rueront pas pour soutenir son armée. L’arrêt de l’aide américaine mettra celle-ci en grande difficulté. Et à entendre Donald Trump évoquer les termes d’un accord avec la Russie (organisation d’élections, question sur la légitimité du président ukrainien), c’est comme s’il avait déjà promis à Vladimir Poutine le «scalp» de Zelensky. D’autant que, faute de garanties de sécurité suffisantes, celui-ci retient encore son feu vert à un «deal» avec le milliardaire locataire de la Maison-Blanche prévoyant l’exploitation de terres rares par des sociétés américaines en échange d’une poursuite de l’aide par Washington.

En attendant, c’est l’image d’un Donald Trump piètre négociateur qui pourrait rester inscrite durablement dans l’histoire, à l’issue des négociations avec la Russie, si les exigences même les plus excessives de Vladimir Poutine étaient satisfaites. Et un cessez-le-feu sans perspective de paix durable ne fera pas non plus de lui un candidat crédible au prix Nobel de la paix dont il rêve.

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