Investiture de Donald Trump: comment Giorgia Meloni est devenue la meilleure amie européenne du président
La Première ministre italienne s’affiche comme interlocutrice privilégiée du président américain élu. Une complicité au service ou aux dépens de l’Union européenne?
La politique est souvent affaire d’images et de symboles. La photo prise au début de l’année dans la résidence privée de Donald Trump, à Mar-a-Lago en Floride, montrant le futur président américain, tout sourire, avec la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, revêt une signification bien particulière. A leurs côtés, convoqués pour accueillir la leader italienne, se trouvent, également très souriants, le futur secrétaire d’Etat Marco Rubio ainsi que le prochain conseiller à la Sécurité nationale des Etats-Unis, Mike Waltz. Même scénario à Paris, au début du mois de décembre 2024, en marge de la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris. Trump et Meloni s’entretiennent longuement au cours d’une rencontre bilatérale spontanée. Une photo volée dévoile alors une inattendue complicité entre les deux dirigeants politiques. «Giorgia est une femme fantastique! Elle a pris d’assaut l’Europe», vient de lancer, enthousiaste, le futur président américain. «Je peux vanter un rapport solide, je dirais presque privilégié, avec Donald Trump», avouera ensuite celle-ci.
Comment la cheffe du gouvernement de la Péninsule a-t-elle pu rentrer aussi rapidement dans les grâces du prochain locataire de la Maison-Blanche? Cette singulière admiration réciproque résistera-t-elle à l’épreuve des faits et, surtout, aux soubresauts caractériels de l’Américain? «Je ne suis même pas sûr que Donald Trump soit attiré par le prototype de femme forte que Giorgia Meloni incarne, et je crois que les deux se connaissent encore de façon superficielle, commente l’essayiste Fabrizio Amadori. Ce qui est certain, c’est que la leader italienne est une femme plutôt directe et transparente, des qualités auxquelles il est facile d’être sensible…»
Giorgia Meloni et Donald Trump, pour la souveraineté nationale
Des affinités électives et une indéniable proximité idéologique rapprochent, de même, les deux dirigeants. Tous deux ardents défenseurs de la souveraineté nationale de leurs pays respectifs, affichant des élans populistes et souvent ultraconservateurs, promouvant une stratégie musclée pour endiguer les flux migratoires, ils considèrent un certain progressisme de gauche et la culture woke comme un péril mortel pour la société. Volontaristes, ils cèdent aussi souvent à l’illusion d’être à même d’infléchir le cours de l’histoire. Par le biais du «soft power» pour l’Italienne, par l’utilisation de la force tout court pour l’Américain.
Initialement considérée comme un corps étranger dans l’arène des relations internationales, critiquée pour sa proximité avec la droite postfasciste italienne, Giorgia Meloni pourrait ainsi devenir un point de référence pour Trump. Selon de nombreux experts américains, celle qui affiche désormais une indéfectible foi atlantiste pourrait même se transformer en une «alliée idéologique naturelle» pour lui, son interlocutrice privilégiée au sein de l’Europe, en ressuscitant ainsi la forte alchimie personnelle qui liait, dans les années 1980, le président Ronald Reagan à la Première ministre britannique Margaret Thatcher.
«Avec ce genre de leaders, on revient […] à une certaine approche manichéenne des affaires du monde.»
Une syntonie qui a déjà porté ses fruits. «Il est indéniable que la libération surprise le 8 janvier de la journaliste italienne Cecilia Sala, arrêtée au mois de décembre à Téhéran, est due à l’activisme de Giorgia Meloni et à sa rencontre, début janvier, avec Trump», expose Pejman Abdolmohammadi, professeur associé de relations internationales à l’université de Trente. Selon ce dernier, les deux dirigeants partagent une vision semblable des rapports de force à l’échelle internationale, les mêmes codes ainsi qu’un langage, empreint de réalisme, qui avait été progressivement abandonné par l’Occident. «Avec ce genre de leaders, on revient au noir et blanc, voire même à une certaine approche manichéenne des affaires du monde. Or, il s’agit là d’un langage que les autocrates et les dictateurs comprennent très bien.»
Diplomatie et dissuasion
Un «mélange de diplomatie et de dissuasion» qui, selon Meloni, pourrait aider à mettre fin aussi à la guerre en Ukraine. «Il est évident que nous devrons continuer à parler avec nos amis américains», a-t-elle récemment avoué à la presse. Une stratégie mais avant tout une exigence pour celle qui est aujourd’hui, face à l’instabilité politique minant la France et l’Allemagne, à la tête de l’un des gouvernements les plus solides de l’Union européenne. Le marché américain représente, en effet, un débouché névralgique pour les exportations de la Péninsule. Giorgia Meloni redoute ainsi, comme ses partenaires européens, la menace d’une augmentation généralisée des droits de douane brandie par Trump, et fera tout son possible pour défendre le solde positif de sa balance commerciale face aux Etats Unis. Aura-t-elle la volonté, voire l’habilité, de défendre aussi les intérêts stratégiques de ses voisins européens en devenant une sorte d’ambassadrice informelle de l’UE à Washington? Utilisera-t-elle sa forte amitié avec le milliardaire Elon Musk, très proche de Trump, pour, comme le suggère The Economist, murmurer à l’oreille de la future administration américaine?
Un rôle d’interprète et de guide qu’elle semble s’être en quelque sorte déjà autoattribué. «Il est essentiel d’adopter une approche pragmatique, ouverte et constructive avec Washington, en essayant d’éviter des contentieux commerciaux qui seraient délétères pour nous tous», a-t-elle affirmé, avec vigueur, face à ses homologues en amont du Conseil européen du mois de décembre. Pour être réellement efficace dans son nouveau rôle d’intermédiation, Giorgia Meloni devra, toutefois, gagner la confiance de tous ses partenaires européens, après avoir obtenu, de façon peut-être provisoire, celle du prochain locataire de la Maison-Blanche. «Trump est imprévisible, agressif et polarisant. Il pourrait, malgré lui, pousser des leaders européens pragmatiques, bien que parfois souverainistes comme Giorgia Meloni, à s’unir davantage, en trouvant la force dans une cohésion renouvelée», avance Fabrizio Amadori. Un scénario qui pousserait inévitablement la leader italienne à choisir, sans hésitation ou la moindre ambiguïté, son véritable camp.
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