Substances chimiques dangereuses: la Commission européenne aurait tardé à prendre des mesures restrictives adéquates pendant des décennies
Les résultats d’une enquête de la Médiatrice européenne sont attendus sous peu. Lors de ses échanges avec l’équipe d’enquêteurs, la Commission européenne a reconnu sa lenteur à mettre en place les recommandations de l’ECHA, l’agence européenne des produits chimiques. Faisant notamment valoir la «complexité des dossiers».
Le courrier date de juin 2023, et il est adressé à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne (récemment reconduite à cette fonction). L’expéditrice se nomme Emily O’Reilly ; c’est la Médiatrice européenne, en charge d’améliorer la transparence et les échanges entre la population européenne et l’administration de l’UE. Celle-ci informe Ursula von der Leyen qu’une consultation publique sur la transparence du processus décisionnel de l’UE en matière d’environnement vient d’être menée. Et que «l’une des questions soulevées par la société civile dans le cadre de cette consultation concerne le temps nécessaire à la Commission européenne pour inclure des substances dangereuses (qui peuvent déjà être sur le marché) dans la liste d’autorisation et introduire des restrictions, ainsi que pour statuer sur les demandes d’autorisation, sur la base des recommandations et des avis de l’Agence européenne des produits chimiques (NDLR :l’ECHA).»
Inquiétudes
Vaste sujet, donc. Et technique. Mais qui mérite qu’on s’y penche de près, abonde alors Madame O’Reilly. «Une analyse préliminaire menée par mon équipe d’enquête, sur la base de données accessibles au public, a confirmé les inquiétudes concernant le temps nécessaire pour inscrire des substances sur la liste d’autorisation et introduire des restrictions. C’est très préoccupant», explique cette dernière, demandant à ce que «[s]on équipe d’enquête rencontre les représentants concernés de la Commission pour clarifier certaines questions (…).»
La Commission attribue une partie de ses retards à la ‘disponibilité limitée de salles de réunion adéquates’. Cela peut avoir du sens à court terme, mais pas sur près de deux décennies de retards. Il s’agit donc d’une excuse grotesque qui, à la lumière des graves problèmes de santé qui seront certainement causés, devient une insulte.
Client Earth et l’EBB réagissent aux réponses apportées par la Commission à l’enquête de la Médiatrice européenne
Un peu plus d’un an plus tard, et après une série d’échanges et de réunions entre l’équipe d’O’Reilly et la Commission, la Médiatrice s’apprête, d’après les informations du Vif, à communiquer ses résultats préliminaires. Et ceux-ci pourraient s’annoncer mauvais pour la Commission. ClientEarth et l’EEB (European Environmental Bureau), deux ONG environnementales dont les interrogations sont à l’origine de l’enquête, s’attendent à ce que la Médiatrice parvienne à un constat de «mauvaise administration», sans doute étalée sur deux décennies, dans le chef de la Commission.
Lenteur assumée de la Commission européenne
Au cours d’un échange entre la Commission et l’équipe d’Emily O’Reilly, que le Vif a pu consulter, la Commission reconnaît par ailleurs que «le temps dont elle a besoin pour traiter réellement les projets de restrictions, inscriptions à la liste d’autorisation et décisions d’autorisation dès réception du dossier de L’ECHA peut sembler long». Mais elle met cela sur le compte des «contraintes pratiques dans lesquelles ces procédures [ont] lieu», expliquant qu’une «grande partie des délais ne sont pas sous le contrôle du Commission». Est aussi évoquée «la complexité des dossiers récents, notamment en raison de la tendance aux restrictions à grande échelle»…
Mise sous pression, la Commission dit, dans cet échange, «examiner comment les procédures internes standards pourraient être appliquées de manière plus efficace (…).» Pas de quoi convaincre les organisations environnementales, stupéfaites par certaines explications fournies à la Médiatrice. «La Commission attribue une partie de ses retards à la « disponibilité limitée de salles de réunion adéquates ». Cela peut avoir du sens à court terme, mais pas sur près de deux décennies de retards. Il s’agit donc d’une excuse grotesque qui, à la lumière des graves problèmes de santé qui seront certainement causés, devient une insulte», fulminent de concert l’EEB et Client Earth.
Les deux ONG disent en outre ne «pas comprendre pourquoi la Commission a besoin d’un long processus d’approbation interne pour approuver les recommandations de l’ECHA», s’étonnant que «tous les dossiers en suspens ont été mis en attente de discussions internes approfondies, ce qui laisse à penser que les fonctionnaires souhaitent continuer à faire obstruction à la loi pour favoriser les acteurs industriels». Entre autres exemples problématiques pointés par les ONG, le cas du Bisphénol A, dont l’ECHA a «proposé une interdiction générale» après «20 ans de préoccupations scientifiques» — une interdiction qui «reste gelée par la Commission pour cinq ans». Idem pour le polluant éternel «PFOA» (NDLR: dénomination d’un type d’acide persistant), dont l’interdiction a été gelée pendant 17 mois…
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