Les enjeux des élections européennes: rigueur budgétaire, le retour, mais à quel prix?
Le temps du «quoi qu’il en coûte» de la période Covid est révolu. Le Pacte de stabilité et de croissance redevient la boussole au plan budgétaire. Avec des règles vraiment plus souples?
Le Pacte de stabilité et de croissance avait été suspendu pendant l’épidémie de Covid, dépenses exceptionnelles pour protéger la population obligent. Aujourd’hui, l’ère du «quoi qu’il en coûte» est révolue. L’Union européenne en appelle à un retour à une certaine orthodoxie budgétaire. Le Pacte de stabilité et de croissance revient donc au devant de la gestion gouvernementale des Etats de l’Union, mais avec des règles assouplies. Quelles en seront les conséquences? Hélène Latzer, professeure d’économie à l’UCLouvain Saint-Louis, fournit quelques éléments de réponse.
L’évolution de la situation budgétaire des pays de l’Union européenne justifiait-elle de réinstaurer les règles du Pacte de stabilité et de croissance, suspendues à l’époque de l’épidémie de Covid?
Ce n’est pas l’évolution de la situation budgétaire des pays de l’Union qui justifie le retour au Pacte de stabilité. Il existe, sous différentes formes, depuis 1992. Il fait partie de la position européenne qui est qu’en l’absence d’un confédéralisme fiscal, il importe de mettre en œuvre un certain nombre de règles qui encadrent les politiques budgétaires des Etats, sachant que le défaut d’un des pays membres de la zone euro, à la suite de politiques budgétaires qui seraient trop expansionnistes, mettrait l’ensemble de la zone en péril. Il y a un consensus pour qu’il y ait des règles encadrant les politiques fiscales. Certes, on a assisté à des évolutions dans le mauvais sens de la trajectoire de la dette et des déficits de plusieurs Etats européens en raison des dépenses très importantes qui ont dû être engagées lors de la période du Covid. Mais ce ne sont pas ces évolutions qui expliquent le retour du Pacte de stabilité. Sa réinstauration avait été annoncée et prévue dès 2020 au moment de sa suspension. Mais il est vrai que pour certains Etats, au vu de leur situation budgétaire actuelle, revenir à ces règles fait d’autant plus mal et semble même matériellement impossible dans un horizon court. C’est pour cela que des inflexions ont été proposées pour la remise en vigueur du Pacte de stabilité. Elles visent à adoucir l’atterrissage, et à faire en sorte que l’Union européenne ne replonge pas dans une «décennie perdue», comme cela a pu être le cas après la crise financière de 2008.
Quelles sont ces inflexions par rapport aux règles d’application du pacte dans sa version antérieure?
Une première mouture du texte, proposée et débattue en 2023, était plus souple que celle qui a finalement été adoptée. Elle prévoyait un carcan moins chiffré sur la manière de revenir à ce Pacte de stabilité. L’idée générale de départ était de se concentrer non plus sur l’indicateur du déficit structurel, qui donnait lieu à des batailles de techniciens incompréhensibles, mais sur les évolutions des dépenses et le principe de faire une étude au cas par cas. Chaque Etat présente une trajectoire de l’évolution de ses dépenses sur quatre ans permettant d’écarter le risque d’insolvabilité, autrement dit garantissant la soutenabilité. L’Union européenne juge de la pertinence de chaque plan proposé. Il n’y a plus d’approche unique. Une différenciation est faite entre les Etats membres en fonction de la situation de chacun. Mais le projet initial a été fortement modifié. Les Etats dits frugaux, Allemagne en tête, ont voulu ajouter des règles chiffrées. Les pays qui ont une dette supérieure à 90% du PIB devront la réduire de 1% par an. Ceux qui ont une dette entre 60% et 90% devront la réduire de 0,5% par an. Pareil pour le déficit. S’il dépasse 3% du PIB en période de croissance, il doit être ramené à 1,5% pour pouvoir faire face à de futures conditions difficiles. En remettant des garde-fous généraux et chiffrés s’appliquant à tous, le pacte a perdu la flexibilité qui avait été mise en avant initialement.
Ne serait-il pas utile de sortir du champ d’application du Pacte de stabilité et de croissance davantage de dépenses d’investissements nécessaires à la transition énergétique et ses implications sociales, pour espérer réussir cette transition?
Une certaine flexibilité a tout de même été introduite dans la nouvelle mouture du Pacte de stabilité, relative aux dépenses qu’il est nécessaire d’engager dans les années et décennies à venir sur tout ce qui est lié à la transition énergétique, numérique, ou les préoccupations de sécurité. On suit maintenant non plus les déficits, mais les dépenses. Et on a sorti du champ du calcul des dépenses complètes un certain nombre de domaines. Faudrait-il étendre ce champ? Cela dépend des points de vue.
Face à l’action menée par les Etats-Unis et la Chine en matière de transition énergétique, l’Europe ne s’impose-t-elle pas un carcan excessif avec les règles du Pacte de stabilité et de croissance?
Un Etat qui s’endette trop, ce n’est jamais bon. On l’a vu lors de la crise des dettes souveraines. Au bout d’un moment, plusieurs pays ont subi la défiance des marchés et ont dû être aidés par leurs partenaires de la zone euro. Le Pacte de stabilité et de croissance est un corset, qui peut être jugé excessif par certains dans sa forme actuelle. Mais on peut aussi arguer qu’il ne grève pas nécessairement les dépenses indispensables à la transition énergétique. Quand l’UE évalue les trajectoires proposées par tel ou tel pays, elle met souvent en avant la nécessité de réformes politiquement difficiles, mais qui ont plus trait, par exemple, aux retraites ou aux financements de politiques existantes. Elle met rarement en cause les nécessaires investissements. Il y a un débat général actuel sur «le déclin de l’Europe», sur le fait qu’on est distancé par les investissements massifs faits à la fois aux Etats-Unis et en Chine pour la transition énergétique. L’Europe est-elle à la hauteur des enjeux? Ce sont de vraies questions. Il est vrai que le Pacte de stabilité et de croissance établit des limites à ce que les Etats peuvent mettre en œuvre dans leur propre pré carré. On peut y voir aussi un appel supplémentaire pour initier des politiques d’accompagnement de ces investissements à l’échelon européen plutôt que national.
La phase d’application de ces règles laisse-t-elle encore un peu de flexibilité à la Commission et aux Etats?
Les choses sont bien cadrées. L’esprit du Pacte de stabilité fait qu’on a une politique budgétaire souvent considérée comme «procyclique», c’est-à-dire menant à ajouter de l’austérité budgétaire en période de ralentissement économique: la nécessité de maintenir les déficits à un certain niveau empêche la relance par une politique fiscale expansionniste. Les partis de gauche veulent plus d’assouplissements. Les formations écologistes craignent que ces règles ne freinent les investissements nécessaires à la transition énergétique. Même si les discussions pourront se poursuivre et dépendront du résultat des urnes le 9 juin, il est peu probable qu’elles mènent à une nouvelle modification du Pacte à court terme.
Quelles perspectives les nouvelles règles du Pacte de stabilité dessinent-elles pour la Belgique?
La plupart des partis francophones se sont déjà exprimés sur la difficulté d’élaborer une trajectoire budgétaire permettant de ramener le déficit à 3% d’ici à 2029. Même chose pour une réduction significative de la dette, qui est actuellement à près de 106%. Les perspectives sont mauvaises. Dans le même temps, beaucoup escomptent qu’il n’y aura pas de sanctions, évoquant l’exemple des «grands frères» que sont l’Italie, la France… et qui ne respectent pas non plus les critères. Mais il est clair que ce Pacte de stabilité et les exigences européennes pèseront très fortement sur les négociations, notamment sur les questions d’orthodoxie budgétaire, pour la formation du gouvernement. D’autant que la vision de la Flandre est différente de celle de la Wallonie, et que les finances publiques de la Flandre sont dans un état très différent de celles en Wallonie. Cela sera une gageure. Personne ne se battra pour être ministre du Budget. Il faut noter de surcroît que la Belgique ne respecte pas non plus le niveau de dépenses militaires requis au sein de l’Otan… Ces dépenses devraient aussi augmenter dans un contexte où il faudrait plutôt faire des économies.
La situation de la Belgique est-elle parmi les plus mauvaises au plan européen?
Cela dépend du critère que l’on adopte. Elle n’est pas le pays européen le plus fragile. Elle a un certain nombre d’atouts, par exemple l’épargne des Belges, assez élevée, même si cet argument vaut davantage pour montrer qu’en cas de risque de défaut, la stabilité financière n’est pas remise en cause. Il n’en reste pas moins que la Belgique est parmi les plus mauvais élèves aujourd’hui en matière de trajectoire budgétaire. Il faut en prendre conscience. Or, le Bureau du Plan a opéré le chiffrage des programmes des différents partis, et aucun n’est dans les clous budgétaires. Il est vrai que c’est un chiffrage très partiel et qui ne porte que sur un certain nombre de mesures. Mais c’est tout de même révélateur. Il y aura des débats assez musclés. L’exposition de la Belgique à des sanctions dépendra beaucoup de la trajectoire de soutenabilité qu’elle proposera. A coup sûr, dans les années à venir, la discussion avec l’Union européenne sur la dette belge ne sera pas agréable.
«Le Pacte de stabilité pèsera très fortement sur les négociations pour la formation du gouvernement belge.»
Des partis belges s’inquiètent du désinvestissement dans les systèmes de soins de santé révélé au moment du Covid.
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Tous contre la rigueur budgétaire, sauf le MR et DéFI
Quelle est la position des partis belges francophones sur la question budgétaire? Voici leur réponse à la question: «Pourquoi votre parti a-t-il voté pour/contre/l’abstention lors du vote des nouvelles règles du Pacte de stabilité et de croissance, en avril, au Parlement européen?»
Hormis chez Les Engagés, le positionnement est tranché. Le MR et DéFI sont favorables à un cadre budgétaire strict; le PS, le PTB et Ecolo y sont opposés. «Les budgets publics doivent être gérés avec sérieux. Mais il faut laisser aux Etats les capacités d’investir dans le futur, estime ainsi Elio Di Rupo, tête de liste PS. Empêcher un Etat d’investir, par des règles budgétaires trop strictes, est dramatique pour les citoyens européens, les entreprises européennes, et pour la planète.» «Investir aujourd’hui dans la transition climatique coûte cinq fois moins que l’inaction, complète Saskia Bricmont, tête de liste Ecolo aux européennes. Investir dans la protection sociale aura également un effet retour sur l’ensemble des indicateurs économiques, y compris les finances publiques. Investir signifie aussi créer des emplois qualitatifs et pérennes.»
«L’application de ces règles serait un désastre, jusqu’à 30 milliards d’euros de coupes budgétaires uniquement pour la Belgique», enchérit le PTB. C’est l’occasion pour la gauche radicale de dénoncer l’incohérence présumée de la gauche de gouvernement. «En public, les partis socialistes et verts belges, quatre des sept composantes de la coalition Vivaldi, prétendent s’opposer à ce carcan budgétaire. Pourtant, c’est le gouvernement belge, en tant que titulaire de la présidence de l’Union européenne, qui a négocié le paquet et qui l’a fait atterrir», appuie la tête de liste Marc Botenga.
L’absence «d’ »immunisation » des dépenses structurelles, réalisées en matière de transition climatique, énergétique ou numérique» explique que Les Engagés se sont abstenus lors du vote des nouvelles règles du Pacte de stabilité et de croissance au Parlement, en avril. Leur tête de liste, Yvan Verougstraete, estime pourtant que c’est une bonne chose que «le pacte confirme des balises (endettement de 60% du PIB et 3% du déficit) mais introduit certaines flexibilités (notamment dans les délais pour atteindre les objectifs de stabilité)».
La «souplesse» de la nouvelle mouture du Pacte de stabilité et de croissance est un des motifs de satisfaction du MR qui, lui, a voté en faveur des nouvelles règles. «La révision des règles budgétaires trace une trajectoire de retour vers des niveaux de déficits et d’endettement raisonnables, analyse Sophie Wilmès, la tête de liste. Ce n’est pas du tout un retour aux anciennes règles, qui étaient d’ailleurs souvent inappliquées, puisqu’on y retrouve justement beaucoup plus de flexibilité que dans l’ancien pacte.» Le MR y voit «un juste équilibre entre un meilleur contrôle indispensable de nos finances publiques et la capacité d’investir dans notre avenir». «L’abandon des règles arbitraires des 3% de Maastricht ou du 0,5% du pacte fiscal», «l’extraction des investissements soutenus par l’Union européenne» des nouvelles règles et «l’approche différenciée selon les Etats membres» sont autant d’éléments avancés par la tête de liste Fabrice Van Dorpe pour valider le feu vert de DéFI au nouveau Pacte de stabilité, dont il aurait voter l’adoption s’il avait eu des élus dans le Parlement européen sortant.
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