Canada
Le Canada membre de l’UE? Complexe, mais pas insurmontable… © Getty Images/iStockphoto

Et si le Canada devenait le 28e Etat de l’Union européenne? «Juridiquement, ce n’est pas insurmontable, mais…»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

L’adhésion du Canada à l’UE grandit dans le débat public. Irréaliste? Peut-être, mais l’idée résonne, tel un pied de nez aux attaques répétées de Trump envers son voisin nordique. Si les obstacles juridiques sont contournables, les conséquences concrètes d’une intégration du pays de l’érable à l’Europe semblent davantage problématiques. D’autres types de rapprochements sont plus plausibles.

L’idée paraît saugrenue, mais la porte n’est pas totalement fermée. Et si, au lieu de devenir le 51e Etat des USA comme le réclame Donald Trump, le Canada rejoignait plutôt l’Union européenne? Après les attaques à répétition du président américain envers son grand voisin du nord, l’idée d’une adhésion du Canada à l’UE s’immisce bel et bien dans le débat public. Politique fiction ou possibilité réelle? La vérité se situe probablement entre les deux…

Le Canada dans l’UE? Un Canadien sur deux y est favorable

Un récent sondage d’Abacus Data révèle que près d’un Canadien sur deux (46%) serait favorable à l’adhésion à l’UE, 29% y sont opposés et 25% indécis. «Nous sommes honorés des résultats d’un tel sondage, a réagi la porte-parole de la Commission, Paula Pinho. Cela montre l’attractivité de l’UE et l’appréciation d’une très grande partie des citoyens canadiens pour l’UE, pour ses valeurs.» Paula Pinho n’a d’ailleurs pas directement écarté les perspectives d’adhésion européenne du Canada, mais a rappelé qu’il existait «des critères prévus dans les traités pour qu’une demande et une adhésion aient lieu.»

Alors, que dit la loi, et le Canada peut (veut)-il vraiment adhérer à l’Union européenne dans un futur pas trop lointain?

Adhésion du Canada à l’UE: le processus serait long

Le processus d’adhésion à l’Union européenne est «long et complexe», rappelle une ancienne analyste politique à la Commission européenne. Succinctement, pour espérer adhérer à l’UE, le pays demandeur doit passer les étapes suivantes:

  • Il envoie d’abord une demande d’adhésion au Conseil (la phase institutionnelle);
  • La Commission évalue cette demande sur base des critères de Copenhague (économie viable, Etat de droit, institutions qui garantissent la démocratie, respect des minorités, aptitude à appliquer les obligations de l’UE, etc.);
  • Après analyse, le Conseil accorde ou non le statut de pays candidat, avec nécessité d’approbation à la majorité du parlement européen;
  • Suivent des négociations interétatiques qui déterminent si le pays respecte tous les domaines de compétences de l’UE (c’est le véritable scan de la candidature du pays, l’étape la plus complexe à franchir);
  • Enfin, la dernière étape consiste dans la ratification de l’adhésion par tous les Etats membres.

La notion d’Etat européen reste floue

Juridiquement, le traité de l’Union européenne ne détermine pas de frontières précises. Il parle simplement, dans l’article 49, «d’Etats européens» qui respectent les valeurs de «dignité» et de «démocratie». «On n’a jamais déterminé quelles étaient les frontières de l’UE. Ce point a toujours été laissé en suspens, glisse cette source interne à la Commission. La possibilité qu’un pays d’Amérique réalise cette demande n’avait jamais été imaginée mais, juridiquement, je ne vois pas ce qui empêcherait le Canada de la faire.»

Même s’il paraît hautement improbable d’établir que le Canada est géographiquement européen, le pays doit d’abord réaliser une demande au Conseil pour en avoir le cœur net. La notion d’Etat européen avait déjà été discutée pour la Turquie ou le Maroc, par exemple.

Si tous les Etats membres se mettent d’accord pour interpréter l’article 49 de façon extensive, l’obstacle juridique peut être facilement contourné.

Nicolas Hervieu

spécialiste du droit européen

Pour le juriste Nicolas Hervieu (Sciences-Po et Université d’Evry), spécialiste du droit européen, une adhésion du Canada à l’UE «n’est pas possible» selon les règles actuelles, tranche-t-il. «L’article 49 du traité relatif à l’Union européenne prévoit que seuls les Etats européens peuvent prétendre à une adhésion. Or, toutes les conventions géographiques excluent le Canada de l’Europe.»

Même si, dans le droit constant, la notion d’Europe peut être largement interprétée. «Dès lors, si tous les Etats membres se mettent d’accord pour interpréter l’article 49 de façon extensive, cet obstacle peut être facilement contourné. Ce n’est pas le plus gros problème, en réalité.»

Le Canada dans l’UE? Modifier le traité, c’est possible

Adhérer à l’UE implique forcément l’accord des Vingt-Sept. Ce même nombre d’Etats est nécessaire pour… changer les traités. «Si une volonté politique unanime pour changer l’article 49 émerge, en incluant le Canada dans les Etats dits européens, l’obstacle serait entièrement levé, avance Nicolas Hervieu. D’un point de vue juridique, donc, ce n’est pas insurmontable.»

Une adhésion implique une chose fondamentale, à savoir l’entrée dans le marché européen intérieur.

Nicolas Hervieu

spécialiste du droit européen

D’après le juriste, le véritable obstacle réside dans le fait qu’une adhésion à l’UE n’est pas synonyme d’adhésion à un club sympathique, partageant juste les mêmes valeurs. «Une adhésion implique une chose fondamentale, à savoir l’entrée dans le marché intérieur, souligne-t-il. A cet égard, l’entrée du Canada dans l’UE ferait disparaître toute forme de limitation à la circulation des marchandises, des capitaux, des services. Or, la question du libre-échange entre le Canada et l’Union européenne a donné lieu à des échanges très vifs, notamment autour du traité CETA.»

Canada-UE: des valeurs communes, mais des normes différentes

Du point de vue canadien, toutes les normes commerciales ou sanitaires européennes devraient aussi être respectées, ce qui est loin d’être le cas actuellement. «L’obstacle lié au marché intérieur est donc plus imposant que la pure question juridique. Les implications concrètes d’une adhésion, c’est le vrai problème, pointe Nicolas Hervieu. En revanche, une collaboration très étroite est possible sans pour autant déclencher le lourd processus d’adhésion.»

Car entre l’UE et le Canada, l’alignement idéologique est solide. Le Canada, par exemple, respecte l’une des conditions-clés de l’article 49, à savoir le respect des valeurs fondamentales de l’Union, qui font référence à l’article 2 du même traité (liberté, démocratie, etc), autant de principes qui sont brutalement remis en cause par l’Amérique de Trump actuellement. «Ce n’est pas un hasard si Trump attaque les Etats qui défendent ce type de valeurs, radicalement opposées aux siennes», commente le spécialiste du droit européen.

Mais même si le Canada partage des accointances avec l’UE, il s’en écarte au niveau des standards normatifs, sanitaires ou environnementaux. «Là, le gouffre est assez considérable», estime Nicolas Herviau.

D’autant plus que, dans le contexte géopolitique actuel, on peut aussi se poser la question de savoir si le Canada ira jusqu’à formuler une demande d’adhésion à l’UE, risquant d’attirer encore plus les foudres de Trump… «Cela fait évidemment partie des nombreux freins géopolitiques et diplomatiques, remarque l’ancienne analyste politique de la Commission. Il faudrait que la situation géopolitique soit extrêmement compliquée pour que cela puisse s’envisager.»

Le CETA, un instrument puissant de coopération

Pour Adina Revol, professeure affiliée à Sciences Po Paris, essayiste spécialisée dans les questions européennes, le traité CETA établit déjà des liens solides entre l’UE et le Canada. «Cet instrument est très puissant, car au-delà de couvrir la dimension commerciale, il englobe également la dimension investissements.» Ce traité n’est pas encore ratifié, il est appliqué de façon provisoire. Ainsi, «la première étape du renforcement de la coopération avec le Canada pourrait consister dans l’application pleine et entière du CETA», juge l’experte.

Ce n’est pas la seule. Il existe d’autres possibilités de coopération active, dans la Défense par exemple. Par ailleurs, le format de la communauté politique européenne, qui inclut la Turquie et le Royaume-Uni, pourrait également s’appliquer au Canada.

Des rapprochements sans adhésion

Les exemples de rapprochements sans adhésion sont légion. L’Ukraine, avant sa demande d’adhésion, était par exemple déjà intégrée en partie au marché intérieur européen, idem pour la Moldavie. «Il existe donc des façons de coopérer avec des Etat non-membres en-dehors du traité européen, rappelle Adina Revol. De façon générale, aussi, les traités de libre-échange dépassent le simple aspect commercial.»

La première étape du renforcement de la coopération entre l’UE et le Canada pourrait consister dans l’application pleine et entière du CETA.

Adina Revol

En outre, le Canada se présente comme un partenaire essentiel de l’UE pour la transition énergétique, puisqu’il dispose de matières premières rares, dont l’Europe a besoin pour sécuriser ses approvisionnements face à la Chine. «Dans le contexte géopolitique actuel, il paraît évident que les relations bilatérales doivent être consolidées, juge Adina Revol. De là à devenir membre… L’adhésion reste un processus très normé.»

Et chronophage. Rappelons, par exemple, que le processus accéléré pour l’Ukraine pourrait seulement aboutir en 2030. Pour les pays d’Europe de l’est, l’adhésion s’est étalée sur une période de 14 et 20 ans. Après le Brexit en 2020, le Canad’In n’est pas encore pour tout de suite…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire