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Envoi de troupes européennes en Ukraine: «Une manière subtile de garantir un accord de cessez-le-feu»
Le Royaume-Uni et la Suède se sont dit prêts à envoyer des troupes en Ukraine pour maintenir la paix si un accord était trouvé. Les négociations n’ont pas encore commencé, mais de telles déclarations, jugées prématurées par certains, pourraient-elles faire voir rouge à Vladimir Poutine?
Dimanche, le Premier ministre britannique Keir Starmer s’est dit prêt à envoyer des soldats en Ukraine si cela s’avérait nécessaire pour assurer la sécurité de la Grande-Bretagne et de l’Europe. «Je ne dis pas cela à la légère», a-t-il ajouté, affirmant mesurer «la responsabilité qu’implique le fait de mettre potentiellement en danger» les hommes et femmes de l’armée britannique. Mais «aider à garantir la sécurité de l’Ukraine, c’est aider à garantir la sécurité de notre continent et la sécurité du pays», a-t-il encore commenté.
Au lendemain des déclarations du Britannique, et en marge d’une réunion d’une dizaine de dirigeants européens qui s’est tenue lundi, à Paris, la ministre des Affaires étrangères suédoise, Maria Malmer, n’a pas non exclu l’envoi de soldats de maintien de la paix en Ukraine, quand un accord sera éventuellement trouvé.
Des déclarations prématurées?
Des décisions dans le chef des Britanniques et des Suédois que l’Allemagne et l’Espagne jugent prématurées, puisqu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucun accord de paix. Si aucune perspective de sortie de la guerre n’est effectivement sur la table, Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur de relations internationales (UCLouvain) et spécialiste de la Russie, estime que ces déclarations sont pour les deux pays «une manière subtile de faire savoir qu’un éventuel cessez-le-feu doit être garanti, une façon prospective d’anticiper et de faire respecter un possible cessez-le-feu.» «Ça fait partie du jeu politique», ajoute-t-il.
Si ce sont précisément le Royaume-Uni et la Suède qui ont fait de telles déclarations, ce n’est pas par hasard. «Les Britanniques restent des alliés de l’Union européenne, mais ils ne doivent pas tenir compte de nos positions avant d’agir», explique-t-il. Quant au pays scandinave, le déploiement de troupes pour le maintien de la paix est, selon lui, d’une grande tradition. «Par ailleurs, le pays est très concerné par le conflit. Il se trouve non loin des frontières russes, mais aussi de la mer Baltique», indique Tanguy de Wilde d’Estmael.
Les Russes ne peuvent pas gagner, mais les Ukrainiens ne peuvent pas perdre. C’est une situation délicate.
Tanguy de Wilde d’Estmael
Professeur de relations internationales (UCLouvain) et spécialiste de la Russie
Troisième Guerre mondiale
Quant à savoir si les déclarations du Premier ministre britannique et de la ministre des Affaires étrangères suédoise pourraient convaincre Poutine de se lancer dans une guerre plus vaste contre l’Europe, comme il en a déjà fait la menace à plusieurs reprises, le professeur répond que cela est très peu envisageable. «Les Russes ont une très grande diplomatie», insiste-t-il. Il faut, en outre, compter sur un autre acteur dont on parle très peu: la Chine. «Elle est contre tout usage du nucléaire et souhaite une cohabitation pacifique. On ne connaît pas ses capacités pour faire pression sur la Russie, mais personne ne veut d’embrasement. Personne n’en sortirait gagnant.»
Tanguy de Wilde d’Estmael ajoute que même si les Etats-Unis se rangeaient du côté de l’Ukraine et de l’Europe, cela n’entraînerait pas une Troisième Guerre mondiale, mais maintiendrait tout au plus le conflit actuel. «Les Russes ne peuvent pas gagner, mais les Ukrainiens ne peuvent pas perdre. C’est une situation délicate.»
Les pourparlers russo-américains inquiètent l’UE
Si un maintien de la paix est déjà évoqué, les négociations sont très loin d’en être à un stade avancé. Elles n’ont d’ailleurs pas encore commencé, même si Volodymyr Zelensky espère qu’elles débuteront en 2025. «C’est a priori comme cela que ça devrait se dérouler», commente le spécialiste de la Russie. «Cependant, les négociations pourraient durer plusieurs mois, voire plusieurs années. Et en attendant, la guerre se poursuivrait sur le front ukrainien.» L’expert préfère toutefois ne pas s’avancer sur une résolution avant la fin de l’année.
Des discussions entre Donald Trump, qui a pris le taureau par les cornes comme il l’avait avancé durant sa campagne présidentielle (il avait promis de régler le conflit en 24 heures), et Poutine ont débuté à Ryad, en Arabie saoudite. Quelques jours plus tôt, les deux présidents ont eu une longue discussion téléphonique «dont on ne connaît pas les tenants», le poids des Etats-Unis dans ces négociations à venir sera indéniable.
L’Américain est passé au-dessus de l’Union européenne, qui s’inquiète de la tournure des discussions entre les Etats-Unis et la Russie, «mais si un accord est trouvé, il va forcément falloir en parler à l’Ukraine et à l’UE», souligne Tanguy de Wilde d’Estmael. «On peut critiquer Trump, qui gère les affaires internationales comme un homme d’affaires ou une personnalité de téléréalité, avec de grandes mises en scène. Malgré tout, il est en mesure, peut-être plus que personne, de mettre la pression sur la Russie en vue d’un accord de paix.»
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