Elections UE : dormez braves gens, il n’y a plus d’urgence climatique !
Les partis de droite radicale ont réussi à imposer leur agenda anti-écologique, en ces temps électoraux. L’Europe a reculé sur le Green Deal. Temporairement ? Pas sûr. Cela dépendra du scrutin de juin.
L’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée depuis le début des mesures météorologiques. Durant onze mois sur douze, les records de températures ont été battus. Conséquence de ces fortes chaleurs: des inondations plus abondantes que la moyenne, qui ont durement touché 1,6 million d’Européens. En 2024, les trois premiers mois de l’année se sont déjà révélés les plus chauds jamais enregistrés. Et les prévisions annoncent un été probablement torride, ce qui n’arrangera pas les pays du bassin méditerranéen qui souffrent d’une sécheresse critique depuis plusieurs mois. Qu’à cela ne tienne, à quelques semaines des élections, l’urgence climatique n’est plus à l’ordre du jour au sein de l’Union européenne.
En témoigne le projet d’Agenda stratégique 2024-2029 du Conseil européen qui, début avril, a opportunément fuité via des ONG environnementales. Ce texte met en avant trois priorités: sécurité, compétitivité et démocratie. La crise climatique, elle, se résume à quelques lignes sans ambition et n’est abordée que sous l’angle du développement des technologies vertes et digitales, comme l’a souligné la Coalition Climat en Belgique. Cela ressemble bien à une mise au frigo du Green Deal (Pacte vert, en français) qui, depuis 2019, constituait pourtant la feuille de route incontournable des Vingt-Sept pour concrétiser les fameux accords de Paris sur le climat. Mais voilà, la crise de l’énergie et la crise agricole sont passées par là depuis lors, accompagnées d’une forte inflation. Et on a vu, au fil de la législature européenne, le soutien au Pacte vert se craqueler de plus en plus.
Certains dirigeants ont même tiré le frein à main sans se cacher : ainsi, le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre belge Alexander De Croo ont appelé à une pause réglementaire en matière d’environnement, l’été dernier. Le détricotage du Green Deal a commencé avec un premier texte rangé au placard, celui de la révision Reach qui concerne l’autorisation des substances chimiques. Dans la foulée, la Commission von der Leyen a enterré le règlement qui devait réduire de moitié l’usage de pesticides d’ici 2030 et l’autorisation du glyphosate a été prolongé de dix ans. Une triple victoire pour le lobby de l’industrie chimique. Autre repli: l’adoption de la loi sur la restauration de la nature, censée régénérer les écosystèmes sur 20% des terres, a été reportée sine die. La colère des agriculteurs a également fait reculer l’UE sur plusieurs dossiers: la jachère, la rotation des cultures, le contrôle des petits exploitants…
Reculer pour mieux sauter après les élections ?
Bref, le volet environnemental du Pacte vert, auquel la Commission UE avait promis de s’attaquer en 2019, s’est réduit comme peau de chagrin. Avec toutes ces dérobades, nombre de politiques espèrent freiner la montée des partis de la droite dure. Car c’est de cela qu’il s’agit. Les renoncements climatiques s’expliquent essentiellement par la pression populiste. Certains disent même ouvertement que cette stratégie permettra de mieux relancer les mesures environnementales après les élections. Pas sûr que cette tactique téméraire porte ses fruits, sachant qu’une majorité de l’opinion publique en Europe reste préoccupée par le changement climatique, comme l’a montré, en novembre dernier, l’étude que la Banque européenne d’investissement a menée auprès de 30.000 personnes dans 35 pays européens. La bataille électorale se jouera néanmoins à l’échelon national.
Dans la plupart des pays d’Europe, même les plus avant-gardistes, la cause écologique régresse sous les horions de l’extrême droite. En Allemagne, c’est l’AfD, connue pour son opposition à l’UE et à l’immigration, désormais la deuxième force politique du pays, qui porte les coups. L’année dernière, il a surfé sur la polémique à propos de la «loi chauffage» qui envisageait une transition d’ici 2045 vers des modes de chauffage fonctionnant pour deux tiers grâce aux énergies renouvelables. L’AfD a colporté des rumeurs selon lesquelles les plus démunis et les retraités seraient obligés de changer leur système de chauffage en s’endettant lourdement. Ce parti climatosceptique, crédité de 15% d’intention de votes aux élections européennes, s’oppose aussi à ce qu’on interdise les voitures thermiques.
Aux Pays-Bas également, l’extrême droite climatosceptique séduit largement les Néerlandais. Le leader du PVV, parti islamophobe, a obtenu plus de 23% des voix aux élections législatives de novembre 2023. Et les élections provinciales de l’an dernier ont été marquées par la montée fulgurante du nouveau parti populiste anti-Europe, le BBB (Mouvement citoyen paysan) qui est né de la crise de l’azote de 2019. L’ancien Premier ministre libéral Mark Rutte avait été contraint par un arrêt du conseil d’Etat de prendre des mesures draconiennes pour réduire les niveaux d’azote principalement dans les élevages néerlandais. Lesquels contribuent à faire du pays du gouda l’un des principaux responsables européens d’émission de gaz à effet de serre. Cette crise a véritablement polarisé le débat politique sur l’environnement.
Le bonnet d’âne pour les Suédois
Autre pays remarquablement soumis aux coups de boutoir antiécologiques de l’extrême droite : la Suède. Ce pays scandinave a pourtant toujours été un exemple en la matière. Grâce à sa taxe carbone ambitieuse, prélevée depuis 30 ans, il a réussi à diminuer ses émissions de carbone de 33% entre 1991 et 2021, tout en développant massivement les énergies renouvelables. Mais, aujourd’hui, la Suède est devenue le cancre de l’Europe en matière de lutte contre le réchauffement. Depuis sa formation à l’automne 2022, le gouvernement doit compter sur l’appui du nouveau parti d’extrême droite, Démocrates de Suède, qui a monnayé son soutien en faisant de la politique écologique un bouc émissaire. Résultat: l’exécutif a annoncé, en présentant son budget 2024, que les émissions devraient augmenter de six à dix millions de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone d’ici à 2030, avant de redescendre. Un véritable retour en arrière.
On peut encore citer les poids lourds que sont la France et l’Italie où les extrémistes de droite épinglent à l’envi le «fanatisme vert» du Green Deal et l’écologie «punitive». La marche arrière du gouvernement français dans le domaine agricole, suite aux défilés de tracteurs sur les routes, a été particulièrement spectaculaire. C’est Emmanuel Marcon qui, conscient des manœuvres de séduction du Rassemblement national (RN) auprès des agriculteurs, a talonné Ursula vonder Leyen pour que la Commission détricote les obligations vertes de la Politique agricole commune (PAC). En Italie, Giorgia Meloni veut profiter du nouvel ordre énergétique mondial qui se dessine pour faire de son pays un «hub énergétique» méditerranéen avec l’Algérie, la Libye et le Qatar. Ce plan cache mal le nationalisme énergétique que la cheffe de file du parti populiste Fratelli d’Italia veut défendre en se focalisant sur les énergies fossiles au détriment des renouvelables.
Pendant ce temps-là, les géants pétroliers se frottent les mains, même si la COP28 a marqué le début de la fin pour les énergies fossiles. L’industrie gazière et pétrolière a prévu d’augmenter sa production de 7% d’ici à 2024 alors qu’elle devait diminuer de 3% par an d’ici 2030. Les producteurs d’énergies fossiles continuent d’investir massivement, avec le concours des grandes banques. Depuis la signature des accords de Paris en 2015, 2.700 milliards de dollars leur ont été accordés, et cela ne fait qu’augmenter chaque année. Lors de la grande conférence sur l’énergie (CERAWeek) qui s’est tenue en mars à Houston (Texas), le président d’Aramco, la plus grande compagnie pétrolière du Moyen-Orient, a déclaré que la fin progressive des énergies fossiles était un «fantasme», balayant comme un vent de sable l’accord de la COP de Dubaï.
On constate, par ailleurs, que la finance verte semble stagner. Les émissions mondiales d’obligations d’entreprise visant à finance des projets environnementaux ont diminué de 10% au cours des trois premiers mois de cette année. Et les normes ESG, environnementales, sociales et de gouvernance, sont de plus en plus boudées par le monde des entreprise et de la finance, aux Etats-Unis surtout mais aussi de plus en plus en Europe. Des multinationales comme Unilever ou Shell ont déjà annoncé qu’elles allaient réduire leurs objectifs ESG. La compagnie pétrolière anglo-néerlandaise compte également sabrer les effectifs de 15% dans sa division des solutions à faible émissions carbone. Il n’y a décidément plus d’urgence climatique… Une exception tout de même : les émissions carbone de l’industrie lourde et de l’aviation belges ont diminué de plus de 10% l’an dernier, soit la plus forte baisse depuis 2009. Ouf !
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