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Défense européenne: l’UE est arrivée «à un moment charnière» et doit rattraper son retard
Avec les pourparlers bilatéraux entre les Etats-Unis et la Russie, l’Union européenne a plus que jamais conscience qu’elle doit désormais prendre elle-même en main son destin et rattraper son retard en matière de défense.
En 2017, de retour d’un sommet du G7 catastrophique avec Donald Trump en Sicile, Angela Merkel avait alerté: l’Europe ne peut plus se reposer sur d’autres et doit prendre en main son propre destin. Huit ans plus tard, à la veille du troisième anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, sa compatriote et présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le constate: « la sécurité de l’Europe est à un tournant ».
Pendant les années d’administration Biden, Européens et Américains ont soutenu l’Ukraine côte à côte, aidant ses combattants à tenir le terrain tant bien que mal à l’est du pays. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le 20 janvier dernier, a renversé la table en un petit mois à peine. Son administration a rouvert le dialogue avec Moscou et cédé par avance aux demandes russes d’un renoncement de l’Ukraine à l’Otan ainsi que d’une récupération de l’entièreté de son territoire. Et s’il devait y avoir une force de maintien de la paix en Ukraine, ce serait sans troupes américaines et sans garantie de sécurité de l’Otan.
Défense: l’UE doit rattraper son retard
Cela ne veut pas dire un désengagement des États-Unis de l’Otan, nuance le chef de la Défense belge, le général Frédérik Vansina. « Les Américains nous disent clairement qu’ils restent fidèles à la défense collective de l’Otan, notamment le parapluie nucléaire », indiquait-il, jeudi, à divers médias. Mais si des troupes européennes, potentiellement élargies à des alliés non-Européens (le Canada l’envisage), devaient constituer une force de maintien de la paix à l’est de l’Ukraine, il n’y aurait pas de contribution américaine. Le chef de la défense en a eu confirmation cette semaine lors d’une réunion avec le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth. « Un moment charnière dans notre histoire », selon le Belge.
Dans ce contexte, c’est le président français Emmanuel Macron qui a pris l’initiative d’inviter les dirigeants européens à Paris pour des consultations de crise, lundi et mercredi derniers. Si plusieurs participants ont continué de marteler que la dissuasion américaine était indispensable pour assurer la sécurité de l’Ukraine, la prise de conscience n’en est pas moins réelle: l’UE doit rattraper son retard dans le domaine de la défense et devenir un acteur de la sécurité plus autonome, de toute urgence.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky est le premier partisan de la constitution de forces armées européennes, « pour que les décisions qui concernent l’Europe soient prises en Europe« , a-t-il dit à la conférence de Munich sur la sécurité. Bien qu’il ne soit pas du tout envisagé de créer une armée de l’Union européenne, la plupart des États membres sont convaincus que l’UE a bien un rôle à jouer pour coordonner, financer et renforcer l’industrie de la défense.
Quels moyens a l’UE pour mieux se défendre?
La Commission européenne présentera en mars un « livre blanc » sur sa stratégie en la matière. Entre-temps, la quête perpétuelle de l’unanimité entre les États membres se poursuit sur divers fronts. Faut-il contracter une nouvelle dette commune pour réaliser des projets de défense, comme le déploiement d’un bouclier antimissile? Les fonds européens doivent-ils servir à acheter des armes en Europe pour renforcer sa propre industrie, comme le défend la France, ou faut-il adopter une attitude plus pragmatique, incluant des achats auprès des États-Unis ou autres?
A l’exception de la Hongrie et de la Slovaquie, les États membres soutiennent fermement l’Ukraine. Un nouveau prêt de 35 milliards d’euros, financé par les bénéfices excédentaires des actifs russes bloqués dans l’UE (principalement en Belgique) devrait couvrir les besoins de financement de Kiev pour cette année. Il est également envisagé d’utiliser une partie de ces recettes pour l’aide militaire. Avec les contributions des États membres, 6 milliards d’euros seraient ainsi mobilisés pour fournir 1,5 million d’obus, de drones, de systèmes de défense antiaérienne et autres cette année. L’UE et ses États membres ont jusqu’à présent fourni quelque 50 milliards d’euros d’aide militaire à Kiev. Et malgré les outrances de Donald Trump, les Vingt-sept ont encore approuvé cette semaine un nouveau train de sanctions à l’encontre de la Russie.
L’économie russe fait face à une forte inflation et montre des signes de faiblesse, ce qui fait dire à l’UE que les sanctions occidentales sont efficaces. Au niveau énergétique, les pays de l’UE ont considérablement réduit leurs importations de Russie. Mais la poursuite des achats européens de gaz naturel liquéfié (GNL) russe reste embarrassante. Ces importations ont même atteint un niveau record l’année dernière. D’ici la fin du mois de mars, la Commission prévoit donc de présenter une feuille de route vers un découplage définitif de l’énergie russe.
L’Ukraine bientôt membre de l’UE?
A plus long terme, l’adhésion de l’Ukraine reste sans doute la plus forte manifestation de soutien de la part de l’Union. Le pays a déposé sa demande dans la foulée de l’invasion de février 2022. Les négociations ont été ouvertes en juin dernier. Face au tollé suscité par les pourparlers entre l’administration Trump et la Russie, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, s’est engagée auprès de Volodymyr Zelensky à accélérer le processus d’adhésion.
Cela oblige également l’UE à fournir des garanties de sécurité à l’Ukraine, analyse le professeur Sven Biscop (Institut Egmont). « Poursuivre le processus d’adhésion sans offrir ces garanties de sécurité, cela signifierait que l’Europe dit en réalité à l’Ukraine: si la Russie vous envahit à nouveau, bonne chance à vous; mais ne vous inquiétez pas, si vous survivez, nous relancerons la demande d’adhésion. »
Une adhésion de l’Ukraine changerait radicalement l’UE de l’intérieur, aussi. Des réformes budgétaires et financières majeures sont donc nécessaires, dans les années à venir, pour préparer l’Union à l’entrée de ce grand pays de production agricole, et qui a d’énormes besoins de reconstruction. En outre, la prise de décision de l’UE devra inévitablement être revue, si les pays des Balkans occidentaux saisissent ce nouvel élan vers une Union de plus de 30 États membres.