Pourquoi la Commission européenne est armée contre la Russie, moins contre l’extrême droite
Une Estonienne et un Lituanien organiseront l’effort de guerre en Ukraine. Les hautes fonctions confiées au commissaire italien d’extrême droite suscitent des questions.
Elle ne remplit pas l’ambition de la parité, comptant seize hommes pour onze femmes. Elle laisse une belle place aux nouveaux venus, 21, seuls l’Allemagne, la Croatie, la Hongrie, la Lettonie, la Slovaquie et les Pays-Bas ayant opté pour le même candidat que dans l’équipe précédente. Elle penche –exagérément?– à droite, avec douze commissaires chrétiens-démocrates sur 27. Voilà la nouvelle Commission européenne, la «Ursula von der Leyen II», censée répondre aux défis de la réindustrialisation, de la transition écologique, de l’immigration et de la guerre.
Sur ce dernier dossier encore crucial pendant de nombreux mois, la présidente allemande a confié les clés de l’effort de soutien à l’Ukraine à deux personnalités issues d’Etats directement concernés par les conséquences du conflit: l’Estonienne Kaja Kallas, en tant que Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité (lire par ailleurs), et le Lituanien Andrius Kubilius, en charge du nouveau commissariat à la Défense et à l’Espace. D’aucuns s’interrogent sur la répartition la plus efficace des attributions entre les départements. La proximité culturelle entre les deux responsables devrait cependant contribuer à faciliter la coordination de leurs actions.
Preuve que les petites nations n’ont pas été snobées dans la nouvelle Commission, outre ces deux départements stratégiques, elles héritent de trois postes de vice-président sur six, qui échoient à l’Estonie, à la Finlande et à la Roumanie. La Belgique se voit en revanche octroyer un poste moins prestigieux que celui de la Justice qu’elle endossait sous la houlette de Didier Reynders: Hadja Lahbib dirigera un département qui regroupe la préparation et la gestion des crises, et, sans rapport avec les domaines précédents, l’égalité.
Pas de cordon sanitaire
Les autres thématiques qui seront au centre de l’actualité des prochains mois et années ont été déléguées aux représentants des grands Etats de l’Union. La Prospérité et la Stratégie industrielle, dont le rapport Draghi a mis en exergue l’importance et l’urgence, ont été attribuées à l’ancien ministre français des Affaires étrangères Stéphane Séjourné, élu de dernière minute après la démission de son compatriote Thierry Breton sur fond de sérieuses divergences de vues avec Ursula von der Leyen. La Transition écologique à l’Espagnole Teresa Ribera Rodriguez. Et la Cohésion et les Réformes à l’Italien Raffaele Fitto. Celui-ci occupait dans le gouvernement de Giorgia Meloni le poste de ministre en charge des Affaires européennes, de la Cohésion et du Plan de relance. Il ne sera donc pas trop dépaysé, hors le surcroît de contestation dont il pourrait faire l’objet de la part de députés, y compris de la «majorité».
«La nomination de Raffaele Fitto comme vice-président exécutif affaiblit les valeurs démocratiques fondamentales de l’UE.»
L’eurodéputée écologiste belge Saskia Bricmont, qui n’en fait pas partie, en a résumé la nature le 17 septembre: «J’attendais d’Ursula von der Leyen qu’elle mette en place un cordon sanitaire en excluant l’extrême droite de postes à responsabilité. La nomination de Raffaele Fitto comme vice-président exécutif affaiblit les valeurs démocratiques fondamentales de l’Union européenne et normalise la présence de l’extrême droite au pouvoir.» «J’ai la volonté de travailler avec mon groupe social-démocrate pour combattre sans relâche l’extrême droite», a plaidé, le 13 septembre dans une interview à France 24, le socialiste Elio Di Rupo, élu eurodéputé à la faveur des élections du 9 juin dernier. Les commissaires désignés doivent être auditionnés par les députés européens en octobre avec, à la clé, un vote final d’approbation à la majorité simple.
Déséquilibre politique
Au-delà de la question du commissaire du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, c’est l’équilibre politique global de la nouvelle Commission qui pose question à certains parlementaires sociaux-démocrates. «Ce qui est assez insupportable, a ainsi argumenté Elio Di Rupo sur France 24, c’est que le groupe socialiste est le deuxième groupe le plus important du Parlement européen et, personnellement, je ne me retrouve pas dans la Commission à due proportion de ce que nous représentons. […] Le fait que nous n’ayons pas un minimum d’équilibre par rapport aux sociaux-démocrates est quelque chose qui pourrait nous conduite à voter contre.» Or, «l’équilibre minimal» n’est pas vraiment atteint. La Commission von der Leyen II comprend, outre Raffaele Fitto dont le parti appartient aux Conservateurs et réformistes européens (CRE), douze membres du PPE, cinq du groupe libéral Renew, quatre indépendants et quatre de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (issus du Danemark, de l’Espagne, de Malte et de la Roumanie), sachant par ailleurs que celui envoyé par la Slovaquie est membre du Smer-SD, parti suspendu du groupe social-démocrate au Parlement européen en raison de sa dérive populiste.
Les sociaux-démocrates comptent 136 eurodéputés, certes loin derrière les chrétiens-démocrates (188 élus), mais aussi loin devant les libéraux (77 députés). Le casting des commissaires dépend cependant aussi et surtout des gouvernements qui les nomment. Par ailleurs, la désignation de l’ancien Premier ministre socialiste portugais Antonio Costa comme président du Conseil européen en remplacement de Charles Michel ne compense pas véritablement le déséquilibre en défaveur des amis d’Elio Di Rupo. Le mécontentement exprimé à propos de la complaisance à l’égard de l’extrême droite italienne et de la surreprésentation présumée de la droite débouchera-t-il sur une crise? Ce n’est pas l’habitude des échanges feutrés du Parlement européen. Mais qui sait…
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