Charles Michel, un « égo développé » et le goût du luxe? « La moindre capsule de café est contrôlée »
Charles Michel, adepte des dépenses « somptuaires » ? Pas pour son porte-parole, qui dénonce les accusations « injustifiées » du journal Le Monde, dont l’enquête souligne le coût très (trop ?) important des voyages du libéral belge. Ces révélations (re)questionnent le rôle international qu’endosse le président du Conseil européen, jugé trop proéminant par certains. Avec, en toile de fond, des ambitions personnelles toujours plus grandes. « Son égo est plus développé que son intelligence politique », tacle le politologue Steven Van Hecke (KU Leuven), spécialiste des affaires européennes.
Des dépenses largement supérieures à celles de ses prédécesseurs, une propension à voyager en avion privé, une préférence pour les « grosses voitures » : une récente enquête du journal Le Monde n’épargne pas le président du Conseil européen, Charles Michel, dont l’image avait déjà été fortement écorchée par un portrait peu flatteur de Politico. Sous le feu des critiques, le comportement de Charles Michel interpelle certains démocrates et députés européens, mais aussi des États membres tels que l’Allemagne et l’Italie.
Plus les jours passent, plus la pression s’intensifie sur l’ancien Premier ministre belge. Pas de quoi déstabiliser son équipe. « Charles Michel dément toute dépense somptuaire liée aux frais de voyages », recadre d’emblée son porte-parole Jurek Kuczkiewicz. « Des règles transparentes sont fixées pour les missions et les voyages. Elles sont mises en œuvre et vérifiées par les fonctionnaires du Conseil, sur lesquels Charles Michel n’a pas de pouvoir. La moindre capsule de café, la moindre dépense est validée par l’administration, et non pas par Charles Michel », exemplifie-t-il. « Par ailleurs, la transparence est totale puisque les frais de Charles Michel sont disponibles en ligne. »
Quatre fois plus de budget pour les déplacements, mais « rien d’illégal », selon le porte-parole de Charles Michel
Pour Jurek Kuczkiewicz, les accusations du Monde ne démontrent donc rien d’illégal. « C’est d’ailleurs nous qui leur avons fourni les factures. Cet article donne l’impression que Charles Michel voyage pour son propre plaisir, alors que tous ses déplacements sont imposés par sa mission », justifie-t-il.
Pourtant, l’enquête met en évidence une claire hausse de ses dépenses. Près de 2 millions d’euros seraient prévus pour les déplacements du président du Conseil, soit près de quatre fois plus que ce que recevaient ses prédécesseurs. Avec un budget global qui a, lui aussi, bondi de 27,5%. Son porte-parole souhaite contextualiser cette augmentation. « L’administration du Conseil a réalisé un projet de budget pour 2024, en se basant sur la dernière année écoulée (2022), en y appliquant l’inflation (15 à 20%) et en tenant compte de l’augmentation du nombre de voyages. C’est ce qui donne cette augmentation, projetée pour 2024 », explique-t-il.
Dès lors, pourquoi les vols en avion privé (même pour un Bruxelles-Paris) de Charles Michel sont-ils beaucoup plus réguliers par rapport à ceux qui l’ont précédé ? Pour son porte-parole, c’est également justifiable. « Sa fonction lui est attribuée par le traité de Lisbonne. Il représente l’Union européenne à l’étranger, avec, d’ailleurs, le statut de Chef d’Etat. Ensuite, dans l’agenda stratégique, décidé par le Conseil européen précédent, on retrouve comme mission principale de rendre plus assertif le rôle de l’Union européenne sur la scène internationale. C’est ce que Charles Michel fait depuis le début de son mandat. Cela fait grincer des dents et dérange certains diplomates de voir le Conseil européen jouer sa propre partition à l’international. Cette vague injustifiée de critiques à l’encontre de Charles Michel est peut-être aussi liée à cela », déduit-il.
Il justifie également cette tendance de globe-trotter en regard de la transition géopolitique majeure actuelle, provoquée par la crise du Covid et la guerre en Ukraine. « Dans ce contexte instable, il est important que l’UE tienne son rôle international. Comme lorsque Charles Michel a été le premier à faire dire au président chinois Xi Jinping qu’il ne livrerait pas d’armes à la Russie. Était-ce un déplacement inutile ? Je ne pense pas », se félicite Jurek Kuczkiewicz. Un déplacement lui aussi réalisé en avion privé. « Car à l’époque, la politique zéro Covid de la Chine imposait une quarantaine, difficilement conciliable avec ses fonctions », dédouane-t-il.
Pas de flotte dédiée
Aussi, son spécialiste en communication justifie l’emploi régulier d’avion privé par le fait que l’Union européenne, à la différence des Etats, n’a pas une flotte d’avions. « Quand il n’y a que cette solution, on utilise effectivement des avions privés, mais qui sont du même type que ceux utilisés par des Premiers ministres ou d’autres chefs d’Etat, qui ont une flotte à disposition. Et les vols long-courriers -à part celui réalisé en Chine- sont effectués en avion commercial », avance Jurek Kuczkiewicz
Charles Michel songerait-il donc -dans la mesure du possible- à voyager autrement ? « On utilise autant que possible les moyens les plus économiques et les plus efficaces », assure son porte-parole. Pourtant, l’enquête du Monde établit que le libéral a régulièrement recourt au jet privé, même pour de courts voyages en Europe. « Quand le président du Conseil voyage, il est invité par plusieurs chefs d’Etat, dans différents pays. Le faire avec un avion commercial prendrait trois fois plus de temps. Ce qui n’est pas compatible son un agenda chargé », défend le porte-parole.
En termes de budget global et de voyages, le porte-parole assure être au même niveau que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. « Charles Michel voyage un peu plus à l’extérieur de l’UE, et c’est normal vu sa fonction. Mais il n’y a pas de différence majeure avec la Commission, rien de somptuaire. »
Enfin, concernant la flotte de voitures blindées, aussi pointée du doigt par le quotidien français, « elle appartient au Conseil et est prévue pour lui, selon son statut. » Et le train, dans tout ça ? « On voyage en Thalys lorsque c’est possible, mais la sécurité et la nature de la fonction imposent parfois d’autres moyens de transport. »
Une omniprésence qui dérange
L’omniprésence de Charles Michel sur la scène internationale agace çà et là. Le portrait de Politico a mis le feu aux poudres, décrivant un homme qui passe trop de temps sur la route, et consacrerait trop peu d’énergie à l’essence même de sa fonction. Avec, en ligne de mire, d’autres ambitions personnelles. De quoi semer la confusion avec les fonctions d’autres hauts représentants de l’UE.
« Oui, il y a un ministre des Affaires étrangères de l’UE, mais Josep Borrell, qui est haut représentant, ne peut pas appeler Poutine et Xi Jinping puisqu’il n’a pas le statut de chef d’Etat. C’est le rôle de Charles Michel », avance son porte-parole.
Il n’y a pas une seule personne au monde, interne ou externe, qui peut témoigner d’une volonté de changement de fonction chez Charles Michel.
Jurek Kuczkiewicz, porte-parole
Prendre la tête de la Banque européenne d’investissement (BEI) a parfois été évoqué comme son prochain objectif. « C’est un bobard », dément Jurek Kuczkiewicz. Il assure : « Il n’y a pas une seule personne au monde, interne ou externe, qui peut témoigner d’une volonté de changement de fonction chez Charles Michel. Son mandant court jusqu’à fin 2024. Il adore sa fonction actuelle et son rôle international, pour lequel il s’investit beaucoup. »
« L’attribution de fonctions internationales ne se décident pas un an et demi à l’avance », précise-t-il. « Ce serait tirer des plans sur la comète. De plus, ça n’a pas de sens car il se déforcerait en étant candidat à d’autres fonctions. Ces critiques sur les ambitions politiques sont totalement infondées ».
«L’égo de Charles Michel est plus développé que son intelligence politique»
Pour le politologue Steven Van Hecke (KU Leuven), spécialiste de l’Union européenne, il est intéressant que Le Monde pointe cet aspect chez Charles Michel. « C’est un signal qui ouvre la voie à la critique. »
« D’un côté, il est normal qu’il voyage car son devoir est de visiter les autres Etats membres de l’Union européenne. Il n’y a pas d’alternative dans l’optique de préparer les sommets. Mais est-ce nécessaire d’aller à Rome ou Madrid en jet privé alors qu’il existe de nombreuses lignes ordinaires ? Je ne suis également pas toujours convaincu de ses voyages en dehors de l’UE, car Josep Borrell et Ursula von der Leyen peuvent également endosser ce rôle de représentant. »
Pour Steven Van Hecke, la bougeotte de Charles Michel peut s’expliquer par… son âge. « Il aura terminé son mandat à la présidence du Conseil européen et n’aura même pas 50 ans. Peut-être que, dans sa tête, il se voit déjà Secrétaire général des Nations Unies. Même si, en théorie, c’est exclu, puisqu’il serait étonnant qu’un nouvel européen succède au Portugais António Guterres. »
« Tel que nous le connaissons en Belgique, il ne serait pas surprenant d’apprendre qu’il a encore beaucoup d’ambitions internationales », poursuit le politologue de la KU Leuven. « Il serait par contre appréciable de voir un peu plus de modestie belge », lance-t-il, faisant référence à une présence très prononcée des hommes politiques du plat pays sur la scène européenne -Herman Van Rompuy était président du Conseil européen de 2010 à 2014- par rapport à d’autres pays membres.
Steven Van Hecke n’est pas tendre envers l’ex-Premier ministre MR. « Son caractère est encore plus explicite que son père Louis Michel. Je n’étais déjà pas enthousiaste lorsqu’il est devenu président du Conseil européen (en 2019) car son palmarès en tant que Premier ministre n’était pas impressionnant », critique-t-il.
Je n’étais pas enthousiaste lorsqu’il est devenu président du Conseil européen, car son palmarès en tant que Premier ministre n’était pas impressionnant.
Steven Van Hecke (KU Leuven)
Pour Steven Van Hecke, Charles Michel a réussi à gravir les échelons « grâce à un don de conviction », surtout utilisé « envers Macron et Merkel », précisant que sa prochaine cible « pourrait aussi être le poste de Josep Borrell. »
Pour le politologue, le sofagate est l’exemple parfait qui décrit Charles Michel. « Quand on est un politicien professionnel, on doit pouvoir prendre des décisions en une fraction de seconde. Le sofagate a démontré l’inverse. Ce jour-là, la réunion avec Erdogan a duré deux ou trois heures. Si on est vraiment intelligent politiquement, on doit comprendre immédiatement que la situation est problématique. Ne ne pas savoir comment gérer une telle situation est un manque de professionnalisme. L’égo de Charles Michel est plus développé que son intelligence politique. »
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