Jordan Bardella et Ursula von der Leyen
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Au Parlement européen, la droite se rapproche discrètement de l’extrême droite

Le PPE (droite) multiplie les alliances avec l’extrême droite pour faire passer plusieurs projets, au grand désarroi de la gauche et du centre qui se sentent trahis.

Pas d’accord formel mais des «majorités de fait». Au Parlement européen, des signes de rapprochement entre la droite et l’extrême droite inquiètent la gauche et le centre, qui redoutent une «majorité alternative» susceptible de peser dans les cinq ans qui viennent.

Un rapprochement avec l’extrême droite, bien que le PPE nie

Les élections européennes de juin ont, de fait, modifié les équilibres à Strasbourg. Première force au Parlement avec 188 eurodéputés, la droite PPE pourrait théoriquement désormais éviter les «grandes coalitions» avec centristes, sociaux-démocrates et verts et se tourner vers l’autre côté de l’hémicycle, où l’extrême droite compte 187 élus (sur 720), répartis en trois groupes: ECR, Patriotes et souverainistes.

Au PPE, on conteste tout changement de cap. «Il n’y a pas de coopération avec l’extrême droite», assure à l’AFP le chef du groupe, l’Allemand Manfred Weber. «Pour nous (…) les critères fondamentaux sont d’être pro-européens, pro-Ukraine et pro-Etat de droit», «On défendra nos idées, on défendra notre programme et on verra se construire des majorités», estime son collègue conservateur français François-Xavier Bellamy.

Mais pour le Français Younous Omarjee (LFI, gauche radicale), l’un des 14 vice-présidents du Parlement, «l’alliance des droites qu’on voit dans plusieurs pays est en train de se mettre en place au Parlement». Le PPE a par exemple reçu le soutien des Patriotes du Français Jordan Bardella pour inscrire à l’ordre du jour de la semaine un débat sur «la lutte contre l’islamisme», afin que «les fonds européens ne profitent pas à des entités ou aux personnes liées à des mouvements terroristes». Et gauche et centre reprochent à Manfred Weber de chercher de plus en plus souvent l’appui des Patriotes en conférence des présidents, l’organe où les chefs de groupes politiques tranchent ces questions sensibles d’ordre du jour.

Une réunion tendue s’y est tenue le 2 octobre pour préparer les auditions des futurs commissaires européens, prévues en novembre au Parlement. A plusieurs reprises, droite et extrême droite se sont mis d’accord sur l’organisation des débats, malgré les protestations des autres groupes. «Il semble que le PPE ne respecte plus le cordon sanitaire» contre l’extrême droite, accuse le social-démocrate maltais Alex Agius Saliba.

Dans le groupe de Jordan Bardella, on se frotte les mains. «PPE, libéraux et socialistes ne vont plus contrôler le Parlement entre eux. Ca ne va pas se passer comme avant, avec toutes leurs folies comme le Green Deal (le Pacte vert)», promet un cadre.

«Nous nous sentons trahis»

Les Patriotes voient ainsi comme un laboratoire un vote pourtant anodin du 19 septembre sur le Venezuela. Dans une résolution symbolique, droite et extrême droite ont mêlé leurs voix pour reconnaître le candidat de l’opposition Edmundo González Urrutia comme président vénézuélien «légitime», alors que Nicolas Maduro a été proclamé vainqueur. Durant ce vote, «on a tout de suite montré qu’il y avait un nouveau rapport de force évident. Une autre majorité est possible» à Strasbourg, veut croire un proche de Jordan Bardella.

La fin du cordon sanitaire? «Il y a de plus en plus de brèches», considère l’analyste Sophie Pornschlegel, du think tank Europe Jacques Delors. A mettre, dit-elle, «en miroir avec les coalitions entre la droite conservatrice et l’extrême droite en Suède, aux Pays-Bas, et bientôt peut-être en Autriche». Issue du PPE, l’Allemande Ursula von der Leyen a toutefois été réélue en juillet à la tête de la Commission européenne avec les voix des sociaux-démocrates et du centre.

Il existe encore une «majorité institutionnelle» autour d’elle et une «culture du cordon sanitaire» contre l’extrême droite, tempère une source parlementaire. Mais le centriste français Pascal Canfin (Renew) est inquiet: «Le problème c’est qu’Ursula von der Leyen ne se sent pas tenue par la majorité qui l’a élue. Si ça produit des accords réguliers avec l’extrême droite, c’est nous qui nous sentons trahis».

A la droite de la droite, un groupe occupe déjà un statut particulier au Parlement européen, ECR où siègent les députés de Fratelli d’Italia, le parti de la Première ministre italienne Giorgia Meloni. ECR vient de se voir attribuer une vice-présidence au sein de la Commission européenne, une première. C’est un groupe avec lequel le reste du Parlement a appris à travailler et qui peut faire la passerelle entre le PPE et l’extrême droite la plus radicale.

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