Accord européen « historique » sur la migration: voici ce qui devrait changer concrètement
Un accord entre eurodéputés et États membres a été trouvé mercredi matin sur une vaste réforme de la politique migratoire. En voici les principaux points.
Le Parlement européen et les Etats membres ont trouvé mercredi un accord sur une vaste réforme de la politique d’asile et de migration de l’UE, à l’issue d’une ultime nuit de négociations.
Le pacte asile et migration, présenté par la Commission européenne en septembre 2020, est une nouvelle tentative de refonte des règles européennes, après l’échec d’une précédente proposition en 2016 dans la foulée de la crise des réfugiés.
Voici les principaux points du compromis, bien que les détails doivent encore être finalisés.
1. Des contrôles renforcés
Un « filtrage » obligatoire préalable à l’entrée d’un migrant dans l’UE est mis en place. Ces contrôles d’identification et de sécurité peuvent durer jusqu’à sept jours. A l’issue de ce délai maximum, la personne est orientée vers une procédure d’asile – classique ou accélérée – ou renvoyée dans son pays d’origine ou de transit.
Les pays d’arrivée sont chargés d’entrer les empreintes digitales, la photo du visage et les documents d’identité des demandeurs d’asile et des migrants dans la base de données Eurodac, dont le champ a été élargi et qui s’applique désormais aux enfants dès l’âge de six ans.
2. Une procédure à la frontière
Les demandeurs d’asile qui ont statistiquement le moins de chances d’obtenir une protection internationale – les ressortissants de pays pour lequel le taux de reconnaissance du statut de réfugié, en moyenne dans l’UE, est inférieur à 20% comme le Maroc, la Tunisie et le Bangladesh – seront orientés vers une « procédure à la frontière ». Dans le cadre de cette procédure, il est prévu de créer quelque 30.000 places dans des centres dédiés, afin d’accueillir à terme jusqu’à 120.000 migrants par an.
Les mineurs non accompagnés faisant courir « un risque à la sécurité » et les familles avec enfants seront aussi concernés. La procédure impliquera vraisemblablement une détention mais, selon l’eurodéputée française Fabienne Keller, la rapporteure pour ce texte, des mesures alternatives de restriction de liberté sont aussi possibles.
Stephanie Pope, de l’ONG OXfam, a dénoncé un « accord portant sur plus de détentions, notamment d’enfants et de familles, dans des centres de type carcéral ». La durée de la procédure aux frontières est de douze semaines pour l’examen de la demande, à laquelle peuvent s’ajouter douze semaines pour la procédure de renvoi, soit six mois maximum au total.
3. Solidarité obligatoire
Le nouveau système, qui remplace le règlement Dublin III, maintient le principe général en vigueur selon lequel le premier pays d’entrée dans l’UE d’un demandeur d’asile est chargé de l’examen de son dossier.
D’autres critères ont toutefois été ajoutés à ceux déjà en place, permettant l’examen de la demande d’asile dans un autre pays que celui d’entrée.
Alors que la règle du premier pays d’entrée fait peser un poids plus important sur ceux du sud de l’Europe, un mécanisme de solidarité obligatoire est introduit pour soulager les États membres confrontés à une pression migratoire. Les autres membres de l’UE doivent alors y contribuer en accueillant des demandeurs d’asile (« relocalisations ») ou par une aide financière.
Le Conseil prévoit au moins 30.000 relocalisations par an de demandeurs d’asile (de pays sous pression migratoire vers d’autres pays de l’UE). La compensation financière prévue est de 20.000 euros pour chaque demandeur d’asile non relocalisé. Elle sera versée par le pays qui refuse cette relocalisation au pays sous pression migratoire.
4. Situations de crise
L’une des dispositions de la réforme prévoit une réponse en cas d’afflux massif et exceptionnel de migrants dans un État de l’UE, comme au moment de la crise des réfugiés de 2015-2016. Sera alors rapidement déclenché un mécanisme de solidarité en faveur de l’État concerné et mis en place un régime dérogatoire moins protecteur pour les demandeurs d’asile que dans les procédures habituelles.
Le nouveau texte prévoit également la prolongation de la durée possible de détention d’un migrant aux frontières extérieures de l’UE sera prolongée -jusqu’à neuf mois au total, procédure de renvoi comprise- et permet des procédures d’examen des demandes d’asile plus rapides et simplifiées pour un plus grand nombre d’exilés, afin de pouvoir les renvoyer plus facilement.
Il s’applique aussi aux situations d' »instrumentalisation », c’est-à-dire aux cas où un « pays tiers ou un acteur non étatique » utilise la migration pour déstabiliser un pays de l’UE. Il ne s’agit « en aucun cas de cibler » les organisations assurant des sauvetages de migrants en mer, a assuré l’eurodéputé espagnol Juan Fernando Lopez Aguilar, le rapporteur du texte.
5. La notion controversée de « pays tiers sûr »
Un État membre peut prendre en compte la notion de « pays tiers sûr » pour y renvoyer un demandeur d’asile. C’est-à-dire qu’il peut juger un dossier irrecevable parce que le demandeur est passé par un pays tiers considéré comme « sûr », où il aurait pu déposer une demande de protection.
Il faut cependant qu’il y ait un « lien » suffisant entre la personne concernée et ce pays tiers.
Suite et réactions
L’accord politique devra encore être formellement approuvé par le Conseil (États membres) et le Parlement européen. L’objectif est une adoption finale de l’ensemble des textes avant les élections européennes de juin 2024, alors que la question de l’immigration accapare le débat politique dans de nombreux pays européens, sur fond de montée des partis d’extrême droite et populistes
La réforme suscite toutefois les critiques des organisations de défense des droits humains. Une cinquantaine d’ONG, dont Amnesty International, Oxfam, Caritas et Save the Children avaient écrit lundi une lettre ouverte aux négociateurs pour les alerter sur le risque de voir ce pacte migratoire aboutir à « un système mal conçu, coûteux et cruel« .
L’eurodéputé Damien Carême a dénoncé un pacte « qui fait honte aux plus belles valeurs de l’Europe« . « On ressort avec un texte qui est pire que la situation actuelle (…) On va financer des murs, des barbelés, des systèmes de protection partout en Europe », a-t-il déclaré sur X (ex-Twitter).
L’UE connaît actuellement une hausse des arrivées irrégulières, ainsi que des demandes d’asile. Sur les onze premiers mois de l’année 2023, l’agence Frontex a enregistré plus de 355.000 traversées des frontières extérieures de l’UE, soit une hausse de 17%. Les demandes d’asile quant à elles pourraient atteindre plus d’un million d’ici la fin 2023, selon l’Agence de l’UE pour l’asile (EUAA).