Accord au sein de l’UE sur la réforme de la politique migratoire: un « tournant historique »
Les ambassadeurs des Vingt-sept ont dégagé à Bruxelles un accord majoritaire sur la position que le Conseil (États membres) défendra dans ses négociations avec le Parlement européen sur des dérogations possibles en cas de crise migratoire, a annoncé la présidence espagnole.
Il s’agit du dernier mandat de négociation sur lequel devait s’accorder le Conseil dans le cadre du projet de Pacte sur la Migration et l’Asile, « une avancée considérable sur un sujet critique pour l’avenir de l’UE », a souligné le ministre espagnol de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska Gómez. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a salué cet accord qui relance les négociations en cours sur d’autres volets du Pacte, en vue de le faire aboutir avant la fin de la législature. Le Parlement européen a en effet suspendu à cet accord au Conseil les négociations sur deux autres volets du Pacte.
Les ministres en charge du dossier étaient parvenus à deux doigts d’un accord la semaine dernière, après la levée de l’abstention de l’Allemagne, inquiète pour le sort des mineurs et des familles. Mais une disposition soutenant les navires d’ONG (allemandes) secourant les naufragés en Méditerranée avait fait reculer l’Italie en dernière minute. La position du Conseil, qui a décidé de passer outre l’opposition de la Pologne et de la Hongrie, prévoit qu’en cas de crise ou de force majeure, les États membres pourraient être autorisés à finaliser l’enregistrement des demandes de protection internationale (asile) jusqu’à quatre semaines après leur dépôt, « ce qui allègerait la charge des administrations nationales débordées », selon la présidence espagnole. Selon le projet sur la table ces derniers jours, le Conseil prévoit aussi la possibilité de maintenir les arrivants plus longtemps dans des centres de détention aux frontières extérieures, jusqu’à 40 semaines. Il autoriserait aussi des procédures d’examen des demandes d’asile plus rapides et simplifiées pour davantage de personnes censées ne pas avoir de véritables perspectives d’obtenir la protection internationale (toutes celles venant de pays dont le taux de réponse positive aux demandes d’asile est inférieur à 75%), de sorte qu’elles puissent être renvoyées plus facilement. Le texte prévoit par ailleurs un déclenchement rapide de mécanismes de solidarité envers l’État membre confronté à cet afflux, sous la forme notamment de relocalisations de demandeurs d’asile ou d’une contribution financière.
Toutes ces mesures ne pourraient être appliquées qu’après une décision du Conseil des ministres reconnaissant le caractère critique de chaque situation soumise par un État. « Chaque mesure qu’un État membre déploie devra toujours être votée et donc approuvée au sein du Conseil », a souligné la secrétaire d’État belge Nicole de Moor. Elle souligne l’importance de cette nouvelle étape importante « vers une politique migratoire contrôlée dans l’Union européenne ». « Il s’agit d’un éventail de mesures qui peuvent être appliquées dans des situations de crise majeure, comme au début de la guerre en Ukraine, ou lors de la crise des migrants irakiens délibérément conduits à la frontière polonaise et lituanienne par le régime du Belarus à l’hiver 2021, afin d’exercer une pression politique sur l’Europe. Ce n’est qu’avec une Europe unie et un mécanisme de crise approprié, dans lequel le droit de demander l’asile est respecté, que nous pourrons gérer de telles situations », a-t-elle commenté.
L’accord est un « tournant historique », a salué le chancelier allemand Olaf Scholz. L’entrée en vigueur du règlement, destiné à organiser une réponse européenne en cas d’afflux massif de migrants dans un pays de l’UE, « limitera efficacement la migration irrégulière en Europe et soulagera durablement des États comme l’Allemagne », a affirmé le dirigeant social-démocrate sur la plateforme X (ex-Twitter).
Mais pour Amnesty International, on assiste à une érosion du droit d’asile. « Cet accord risque de laisser des personnes bloquées, détenues ou démunies aux frontières de l’Europe et il n’apporte rien à la protection des demandeurs d’asile dans l’UE. Priver les demandeurs d’asile de leurs droits est dangereux et constitue une réponse disproportionnée à des situations que les pays sont parfaitement capables de traiter avec les règles existantes », estime Eve Geddie, directrice de l’ONG pour l’UE. En juin, le Conseil s’est déjà mis d’accord sur une réforme de l’ensemble du système d’asile, bloquée depuis des années. Il s’agit du filtrage des migrants aux frontières extérieures, de la procédure à appliquer à la frontière et de la solidarité obligatoire dont les États membres doivent faire preuve mutuellement dans leur politique d’asile. Les chefs d’État et de gouvernement de l’UE ont placé le dossier migratoire parmi les priorités de leur sommet informel de Grenade.