Carte blanche
Une zone de non-droit la ZAD ?
Après la semaine d’affrontements intensifs qui vient de se dérouler sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, à la fois choqué par la brutalité des interventions et touché par la destruction de lieux que j’avais eu la chance de fréquenter l’été passé, j’ai écrit un court texte à la fois de soutien à la ZAD et en souvenir de mon passage sur place.
Je ne sais pas vous, mais pour moi, c’est une semaine d’écoeurement qui vient de passer. On a beau en entendre parler à longueur de journée, s’en révolter, s’énerver, se bouger, résister, le combat qui est aux prises en ce moment à Notre-Dame-des-Landes est cette face laide, brutale et désarticulée du pouvoir qui perd le nord, toujours un peu plus à l’ouest. Beaucoup a déjà été écrit et relayé, ce n’est pas facile de trouver à y redire quand la marée est enclenchée. Mais voilà, face à la violence, quelle autre arme que l’écriture pour parer un tant soit peu à l’impuissance?
Les 100 noms. Le premier jour de mon arrivée, c’est là que j’ai été accueilli. Ironie du sort, depuis plusieurs semaines le mouvement d’occupation contre l’aéroport et son monde avait établi que certains lieux sur la zone se relayeraient pour héberger, informer et aider à s’intégrer ceux qui, comme moi, arrivaient là sans rien connaître, convaincus ou non, émerveillés ou pas encore et qui ne demandaient qu’à ouvrir les yeux. C’est là que j’étais arrivé, par hasard, dans leur semaine d’accueil. Avec un couple qui m’avait pris en stop, curieux lui aussi, pour un soir, de découvrir les lieux; on partageait ce sentiment diffus, profond, pas tout à fait identifié qu’il y avait quelque chose à trouver.
Alors voilà, dans le grand champ des 100 noms, on s’est pointé. A l’arrivée, Guillaume, grande silhouette à la jeune barbe brune battue par la lande, short troué-coupé dans un vieux jeans à mâchonner sa tige de blé, nous a accueillis comme si on était chez nous. Nous ne l’étions pas, chez nous, dans ce champ iconoclaste, à l’ombre d’un grand pin entre poules et moutons, juste ébahis par l’éolienne que les gaillards avaient bâtie de leurs propres mains pour subvenir à leurs besoins; nous ne nous connaissions pas, nous ne venions pas du même endroit; nous n’avions pas pris rendez-vous; mais nous étions bienvenus. Rarement j’avais eu cette sensation de liberté: j’étais n’importe où sans y connaître rien et je m’y sentais bien.
Puis la première soirée; cabane de fortune, l’ancêtre du collectif désormais pour les gens de passage, éclairage à la bougie et premières discussions sur le potentiel du chanvre de changer la face du monde; certains s’adonneraient ardemment à essayer de nous le prouver…Puis la forêt; la tente, les pierres, quelques bâtons dans un sous-bois. « Bienvenue sur la ZAD, mec! »
Toi non plus, je ne te connais pas.
Le lendemain, c’était atelier au jardin. Travail du champ, cueillette, entretien…Si on voulait, on participait. Le soir, avec Coco, c’était l’heure, la grande heure: des perches qui traînaient par là, des scies mal apprivoisées et quelques clous un peu tordus; mon premier geste en zone libre aura été de construire un goal de foot. Même en anarchie, on ne se refait pas. Quelques minutes plus tard, c’était parti pour la partie la plus épique depuis dix ans et quelques touchers de balle avec les gamins des faubourgs du Caire. Ciel clair, température idoine, prairie verdoyante; pas de tribunes; pas de supporters; juste une pleine prairie qui rigolait de ses trous maladroits. Et ce plaisir immense de taper dans la balle vers les grandes cages de bois.
Après le match, l’auberge de la cabane collective. Des pâtes, du riz. Et une rata! Mais quel rata…Des légumes comme ça, vous n’en mangeriez pas. A la lueur des bougies, on s’est goinfrés comme je ne l’aurais jamais imaginé.
Dix mois plus tard, on en est là: des tôles. Un vieux tas de bois. Cette cabane, leur cabane, celle qui se dressait fière et qui nous avait attirés est à terre. Le hangar alors au stade de projet, bâti depuis, n’y a pas échappé. La dernière fois que j’étais parti de la prairie des 100 noms, c’était avec un vélo. Un vieux brol, un truc tout pété qui traînait, pas plus fringuant qu’un dinosaure au musée. Et il avait roulé. Peut-être qu’il est dit que le temps est multiforme. Qu’il peut consommer la beauté. La consumer. Mais qu’à l’éteindre, il ne fait qu’échouer. Alors, c’est cela que je leur souhaite, à ces hôtes, à ces copains simples d’exception qui m’ont accueilli dans leur prairie; que le temps, ce temps-là, celui qu’on leur a imposé à grands coups de masques mortifères et de pelleteuses immondes, ce temps qui les ignore et qui veut à tout prix tous les régler; que ce temps, face à tout ce qu’ils ont semé, il ne fasse qu’échouer.
Joachim Grignard – Citoyen
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