Une pandémie n’est pas une guerre

Antoine Denis Journaliste

Depuis le début de cette pandémie, plusieurs chefs d’État se considèrent en guerre. Et s’il s’agissait plutôt d’une stratégie politique plutôt qu’une appellation adéquate ?

Il existe de nombreuses raisons pour un chef d’État de se proclamer en guerre. En temps de crise, les dirigeants voient souvent leur popularité et le soutien de l’opinion publique augmenter. Donald Trump a récemment déclaré qu’il rentrait dans une « bataille historique pour sauvegarder la vie de nos citoyens, nous sommes en guerre ». Il n’est pas le seul à utiliser cette métaphore pour combattre le virus : Emmanuel Macron, a, lui, répété plusieurs fois « nous sommes en guerre » dans ses discours à la nation.

Pourquoi cette métaphore est-elle utilisée ?

Les guerres sont considérées comme gagnables, il y a des gagnants et des perdants. Psychologiquement, cela peut avoir un effet positif. Les personnes malades peuvent trouver que les métaphores de guerre sont responsabilisantes et efficaces pour remonter le moral. La maladie est souvent considérée comme un envahisseur de notre système, quelque chose qui vient de l’extérieur et que l’on peut vaincre. Politiquement, l’utilisation de cette métaphore permet de faire oublier la mauvaise gestion du gouvernement avant et pendant la crise, de remettre la faute sur quelqu’un d’autre, mais aussi d’asseoir son autorité en tant que dirigeant. La population n’a pas d’autres choix que de s’en remettre à son gouvernement.

Les métaphores nous permettent de nous concentrer sur des phénomènes difficilement compréhensibles. La guerre est un concept acquis dans nos sociétés, il n’est donc pas surprenant que cette métaphore revienne sans cesse.

Pourquoi ne pas l’employer ?

Le problème avec l’utilisation d’une métaphore, c’est qu’elle déforme la réalité. Elle réduit la complexité du problème et nous concentre uniquement sur le fait de combattre le virus, sans prendre en compte les facteurs qui auraient pu faciliter sa prolifération. Les déforestations, la destruction des habitats, la mauvaise qualité de l’air, la consommation d’animaux « exotiques », sont des facteurs qui viennent renforcer les risques de pandémies. Ceux-ci sont écartés de beaucoup de débats et sont pourtant essentiels.

Présenter la lutte contre l’épidémie comme une guerre peut aussi présenter les décès comme des dommages collatéraux. Ceux-ci deviennent inévitables. Les personnes décédées sont des victimes plutôt que des tragédies potentiellement inutiles et évitables.

Les métaphores de guerre ont aussi une composante géographique. Celle-ci peut modifier la façon dont la responsabilité collective et la responsabilité individuelle sont envisagées, ce qui peut conduire à une stigmatisation de certaines régions. Pour certains, la responsabilité de la pandémie vient de la Chine, pour d’autres de l’Europe ou encore de la ville de New York. En réalité, chacun a sa part de responsabilité.

D’autres métaphores sont possibles

Il existe d’autres métaphores pour exprimer ce à quoi nous sommes confrontés. Elles sont également imparfaites, mais le simple fait d’y penser laisse entrevoir les pertes lorsque le langage guerrier est employé.

Il est possible de présenter la guérison comme un voyage ou une rivière. Cette métaphore met l’accent sur la nécessité de se préparer. Les voyages impliquent de tracer un itinéraire et les rivières restent généralement dans leur lit, ce qui permet de prédire leur parcours. Évidemment, des situations d’urgence et des imprévus peuvent survenir, mais il est possible de les anticiper. Une autre métaphore est celle de l’orchestre. Celle-ci est construite sur l’idée que la réponse à une pandémie exige que toutes les personnes impliquées soient assez équipées pour jouer leur rôle.

Sortir de la métaphore de guerre a pour avantage de souligner la nécessité de coordonner les réponses. Cela permet aussi de se concentrer sur la préparation et pas uniquement sur les conséquences. Dès lors, conserver un sentiment de scepticisme lorsque nous sommes confrontés chaque jour à une métaphore particulière est essentiel. Est-ce la seule façon d’aborder la question qui nous occupe ? Est-ce que le problème est construit de manière à ce que certaines personnes en profitent plus que d’autres ? Est-ce que cela mène à des conclusions néfastes ?

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