Une médecin ukrainienne libérée après un échange de prisonniers : « Nous étions traités comme des esclaves »
La médecin ukrainienne Julia Pajevska a été enfermée dans des conditions inhumaines pendant trois mois. Elle a été libérée grâce à un échange de prisonniers avec les Russes.
Même le président a pris le temps de s’occuper du cas de la médecin. « Taira » est rentrée, a annoncé Volodymyr Zelensky dans un message vidéo à la mi-juin. Il avait réussi à la faire libérer.
Julia Pajevska, connue sous le nom de Taira, est considérée comme une héroïne en Ukraine. Depuis 2014, année du début de la guerre dans le Donbass, elle a probablement sauvé des centaines de vies en tant que médecin. Elle représente également son pays au tir à l’arc et à la natation lors des Invictus Games et des Warrior Games, des compétitions sportives destinées aux vétérans de l’armée.
Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine le 24 février, Julia Pajevska se trouvait dans la ville portuaire de Marioupol, dans le sud du pays. Avec une bodycam, elle a enregistré l’horreur de l’attaque sur la ville. Elle a ensuite donné les images à deux journalistes de l’agence de presse américaine AP, qui les ont fait sortir clandestinement de la ville, cachées dans un tampon. À la mi-mars, Julia Pajevska a été capturée par les troupes russes à Marioupol. Trois mois plus tard, elle a été libérée lors d’un échange de prisonniers.
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Qu’est-ce que ça fait d’être à nouveau libre ?
Julia Pajevska: Je suis ravie, mais je suis aussi inquiète pour les garçons et les filles qui sont restés. J’essaie de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’eux aussi puissent être libérés le plus rapidement possible par un échange de prisonniers.
Vous étiez à Marioupol quand la guerre a commencé. Comment êtes-vous arrivée là-bas ?
Je fournissais du matériel et des médicaments au personnel médical de la ville. Normalement, j’aurais dû l’envoyer par courrier, mais un de mes amis bénévoles était en route pour Marioupol et avait une place pour moi dans sa voiture avec des médicaments et du matériel. Je n’avais aucune intention de rester à Marioupol, je voulais revenir immédiatement, car je m’entraînais pour les Invictus Games. Je me doutais bien que la guerre allait éclater, mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit si rapide et si violente.
Quand avez-vous décidé de filmer la guerre ?
La plupart des médecins au front utilisent des bodycams. Vous pouvez ensuite regarder les vidéos plus tard pour analyser si vous avez tout fait correctement. Mais à un moment donné, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de vidéos et beaucoup de blessés. J’ai réalisé qu’il s’agissait d’un matériel historique, qui n’était pas seulement précieux sur le plan médical.
L’une des vidéos montre un petit garçon mourant à l’hôpital. Comment vous sentiez-vous à ce moment-là ?
La mort d’un enfant est incroyablement douloureuse. C’est une guerre insensée : des enfants meurent dans mes bras et je n’y peux rien.
Vous avez aussi soigné des soldats russes. Pourquoi ?
Pour moi, les blessés ne sont pas des ennemis – ce sont des patients.
Comment avez-vous été capturée ?
Je ne peux pas révéler beaucoup de détails, car l’enquête est en cours. Le 15 mars, à l’un des points de contrôle de la milice du DNR (le DNR désigne la soi-disant République populaire de Donetsk, une région séparatiste pro-russe dans l’est de l’Ukraine), ils ont arrêté notre bus à destination de Zaporijjia. Des travailleurs humanitaires bénévoles m’avaient dit qu’il y avait un couloir, mais le bus a quand même été arrêté.
Comment avez-vous été traitée pendant votre emprisonnement ?
Les autres prisonniers et moi étions traités comme des esclaves. À l’exception des vêtements que nous portions, ils ont pris tous nos effets personnels. Nous avons été torturés physiquement et mentalement. Nous étions gardés dans des cellules de prison dans un sous-sol. En trois mois, nous n’avons pu prendre qu’une seule douche. Une femme médecin m’a aidée. Elle était aveuglée par la propagande russe, mais elle m’a donné les médicaments nécessaires pour survivre. Je lui en suis reconnaissante.
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Vous parlez de torture physique et mentale : en quoi consistait-elle?
Je ne peux encore rien dire sur les violences physiques. On m’a expressément demandé de ne pas le faire.
À cause de l’enquête ?
Oui. La violence psychologique consistait en toutes sortes d’humiliations : mensonges et demandes constantes d’avouer des choses que je n’avais pas faites. Ils voulaient que j’avoue que j’avais tué quelqu’un, que j’appartenais au régiment Azov, alors que je n’ai jamais été dans ce régiment. Ils voulaient que je m’accuse moi-même, pour pouvoir utiliser la vidéo contre moi.
Le 17 juin, vous avez été libérée lors d’un échange de prisonniers. Comment ça s’est passé ?
On m’a mise dans une voiture sans me donner aucune explication et nous avons quitté Donetsk. J’ai demandé où ils m’emmenaient. Ils ont répondu que j’allais être échangée. J’ai simplement dit OK. J’étais évidemment soulagée, mais j’ai essayé de ne pas montrer mes émotions devant ces monstres.
Vous êtes actuellement en Grande-Bretagne. Pour quelle raison?
Je me prépare pour les Warrior Games, qui ont lieu une fois par an en Amérique. En Ukraine, de grandes parties de l’infrastructure sportive ont été endommagées par la guerre.
Allez-vous retourner au front en tant que médecin ?
Seulement quand ma condition physique le permettra à nouveau.
Alexander Sarovic, en coopération avec Igor Ishchuk, Der Spiegel
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