Une impitoyable guerre intestine rongerait Boko Haram
En mettant fin dimanche à près de six mois de silence, le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, a pris en défaut ceux qui prétendaient que le groupe islamiste avait été « décapité » mais, selon les experts, il ne reste pas à l’abri d’une mutinerie.
Dans un enregistrement audio diffusé dimanche, Abubakar Shekau a démenti avoir été tué ou remplacé, comme l’avait affirmé quelques jours plus tôt le président tchadien. A N’Djamena, Idriss Deby Itno avait en effet déclaré que Boko Haram n’était plus dirigé par Shekau, mais par un certain « Mahamat Daoud », « qui veut négocier avec le gouvernement nigérian ».
Pour Ryan Cummings, analyste à la branche sud-africaine de Red24 et fin connaisseur de la rébellion nigériane, les propos de Deby ne sont pourtant « pas sans fondement ». Selon lui en effet, plus qu’une organisation monolithique, Boko Haram pourrait être un mouvement qui chapeaute des factions disparates et d’éventuelles rivalités internes « ne constitueraient pas une nouveauté pour la secte ».
En effet, des précédents existent, rappelle-t-il, évoquant notamment le cas d’Ansaru, un groupe qui a fait dissidence de Boko Haram en 2012, en raison de différends idéologiques et d’une rivalité entre Shekau et un de ses lieutenants, Khalid al-Barnawi.
Les violences commises par Boko Haram dans le nord-est du Nigeria et leur répression par les forces de l’ordre ont fait plus de 15.000 morts depuis six ans. Mais les récentes attaques menées par les combattants islamistes au Niger, au Tchad et au Cameroun voisins ont poussé ces derniers à réagir militairement.
En mars, Abubakar Shekau a prêté allégeance à l’Etat islamique (EI), rebaptisant son organisation « Province Ouest-Africaine de l’Etat islamique » ou « ISWAP », abrégé en anglais.
‘Haine pour Shekau’
Les allégations de Deby la semaine dernière ont attiré l’attention sur le possible remplacement par un nouveau venu dans la sphère jihadiste mondiale.
Selon l’expert nigérian en sécurité Fulan Nasrullah, parmi les plus réputés pour ses analyses sur Boko Haram, Mahamad Daoud serait en fait Muhammad Daud, un Arabe de l’ethnie showa originaire de l’Etat de Borno où est née l’insurrection en 2009.
Ancien militaire de 38 ans, Muhammad Daud fut un des protégés du fondateur de Boko Haram. Sur son blog abrité par le site londonien de la Société royale africaine, Fulan Nasrullah affirme que Daud est en désaccord avec le soulèvement de 2009 et qu’il est « l’un des principaux opposants au serment d’allégeance à l’Etat islamique ».
De mère tchadienne, c’est un meneur puissant, en charge du contre-espionnage et de la sûreté intérieure, qui supervise l’entraînement des kamikazes et la planification des attaques dans les grandes villes, précise l’expert.
Selon lui, Daud a quitté ISWAP avec plusieurs centaines de combattants, dont plusieurs commandants défavorables à l’EI à « l’extrême brutalité » de Shekau. Il y a deux mois, ils ont repris l’ancien nom de Boko Haram, le « Groupe sunnite pour la prédication et le Jihad », et « fait de Shekau un rebelle à l’enseignement de Muhammud Yusuf, un apostat, un déviant et un religieux hypocrite », écrit M. Nasrullah.
Toujours selon l’analyste, Daud aurait approché le gouvernement nigérian pour former une alliance afin d’éradiquer la branche franchisée EI de Shekau et gagner en retour un Etat autonome régi par la charia dans le nord-est.
Une telle proposition pourrait séduire Abuja car Daud détient des secrets cruciaux sur le financement de Boko Haram, son organisation interne et même des informations permettant de traquer et éliminer Shekau. Selon M. Nasrullah, ce dernier risque fort d’entrer dans la ligne de mire de Daud, dont « la haine pour Shekau pourrait bien surpasser celle qu’il nourrit à l’encontre de l’Etat nigérian ».
Andrew Noakes, qui coordonne le Réseau nigérian des analystes de la Sécurité juge « plausible » un tel scénario, mais il met toutefois en garde contre les déclarations de Deby qui s’est déjà fourvoyé sur des informations liées à Boko Haram. « Si cela est arrivé (comme le dit Deby, ndlr), alors cela pourrait dire un certain nombre de choses. Selon Deby, cela pourrait vouloir dire qu’il existe des négociations avec le gouvernement. Mais cela pourrait aussi vouloir dire que le groupe se referme sur lui-même alors que s’y joue une lutte de pouvoir. »
7 morts dans une attaque au nord-est du Nigéria, attribuée à Boko Haram
Au moins sept personnes ont été tuées dans l’Etat de Borno, dans le nord-est du Nigeria près de la frontière avec le Niger, dans une attaque attribuée aux islamistes de Boko Haram, ont indiqué des chefs locaux.
Des dizaines d’hommes armés ont mené un raid dans le village d’Awonori, proche de la ville de Damasak avant de voler de la nourriture et du bétail, selon ces sources.
Damasak avait été conquise par Boko Haram puis reprise en mars grâce à l’intervention des forces nigériennes et tchadiennes.
Ces hommes armés « ont tué sept personnes, volé du grain et emporté tout le bétail dans le village avant de s’enfuir dans la brousse », a déclaré Muhammadu Modu Wan-Wan, chef du syndicat des pêcheurs.
« Les hommes armés qui sont arrivés à bord de camionnettes et de motos vers 7 heures du matin ont assiégé le village et ont ouvert le feu sur les habitants qui étaient en train de prendre leur petit-déjeuner avant de se rendre dans leurs fermes », a-t-il ajouté.
En juillet dernier, des habitants de Damasak et des villages voisins ont fui leurs maisons et traversé la frontière pour se rendre dans la ville nigériane de Diffa par crainte des attaques de Boko Haram.
Les villages du nord-est du Nigeria ont récemment été la cible d’attaques meurtrières de Boko Haram, dont les violences et leur répression par les forces de l’ordre nigérianes ont fait plus de 15.000 morts depuis 2009.
Après avoir conquis de vastes pans du Nord-Est nigérian l’an dernier, les insurgés de Boko Haram, qui ont prêté allégeance à l’organisation Etat islamique, repoussés des villes et villages qu’ils avaient conquis par les récentes opérations militaires, ont désormais recours à des tactiques de guérilla, essentiellement contre des cibles civiles. Une Force d’intervention conjointe multinationale (MNJTF), à laquelle doivent participer le Nigeria, le Niger, le Tchad, le Cameroun et le Bénin, a été mise en place pour mieux coordonner les efforts des différentes armées, qui agissaient jusque-là en ordre dispersé.
Avec l’AFP
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici