Photographiées dans le Maryland en 1979, Gloria et Charmaine comptent parmi les 64 000 portraits de lesbiennes immortalisées par Joan E. Biren tout au long d'une carrière à laquelle elle n'a pas encore mis un terme.

Une femme avec une femme par Joan E. Biren (en images)

Michel Verlinden Journaliste

Porter un autre regard sur l’homosexualité au féminin, tel est le propos de Eye To Eye: Portraits of Lesbians. Ce manifeste signé par Joan E. Biren à la fin des années 1970 est aujourd’hui réédité.

Cachez ces femmes qui s’aiment car la « morale » ne saurait les voir. Longtemps ce mot d’ordre aussi tacite qu’hypocrite a infusé les sociétés occidentales. A rebours des préjugés, quelques pionnières ont rué dans les brancards pour porter haut et fort la voix des personnes LGBTQI+. La photographe américaine autodidacte Joan E. Biren (Washington, 1944) fait partie de cette avant-garde. A la fin des années 1970, celle qui avait rejoint de The Furies Collective, une utopie homosexuelle séparatiste, se rend compte à quel point les rares images faisant place aux lesbiennes sont peintes aux couleurs du fantasme masculin. Ces silhouettes blanches, élancées et blondes n’ont rien à voir avec une réalité rousse, noire, grise…

Eye to Eye: Portraits of Lesbians (en anglais), par Joan E. Biren, Anthology Editions, 120 p.
Eye to Eye: Portraits of Lesbians (en anglais), par Joan E. Biren, Anthology Editions, 120 p.

Dans la foulée, la militante comprend combien les conséquences de ce schéma idéologique sont lourdes: ces représentations, en apparence anodines, refusent aux intéressées toute possibilité d’identification et, donc, de construction. Il n’en faut pas plus pour que Biren, alors âgée de 27 ans, s’achète un appareil photo et se mette à « montrer la véritable histoire de la communauté lesbienne ». Totalement novatrice à l’époque, JEB décide de rendre visible des femmes en couple d’âges et de milieux différents au coeur de leur vie quotidienne – travaillant, jouant, élevant une famille et s’efforçant de refaire un monde à leur image. Cette matière première inédite, elle la compile en 1979 dans un ouvrage autopublié qui fera date: Eye To Eye: Portraits of Lesbians. Fait notable, ce livre, pour la première fois, indique les prénoms des femmes photographiées, avec leur visage visible et reconnaissable. Réimprimé après quarante ans, Eye to Eye n’a rien perdu de sa force, ni de son actualité. Le combat pour la tolérance est toujours aussi nécessaire.

Eye to Eye se découvre comme un road trip à travers les Etats-Unis. Ici, Jane, en plein effort, photographiée en 1977 du côté du comté de Mendocino en Californie.
Eye to Eye se découvre comme un road trip à travers les Etats-Unis. Ici, Jane, en plein effort, photographiée en 1977 du côté du comté de Mendocino en Californie.
Joan E. Biren elle-même, portrait sans fard d'une pionnière pris par une anonyme au début des années 1980.
Joan E. Biren elle-même, portrait sans fard d’une pionnière pris par une anonyme au début des années 1980. « Je pense que j’ai été attirée par les femmes dès mon plus jeune âge », répète régulièrement la photographe.
Priscilla et Regina s'enlacent tendrement à Brooklyn. Une intimité loin des clichés du genre.
Priscilla et Regina s’enlacent tendrement à Brooklyn. Une intimité loin des clichés du genre.
Pagan et Kady, Monticello, Etat de New York, 1978.
Pagan et Kady, Monticello, Etat de New York, 1978. « Ce livre contient des images somptueuses de lesbiennes pauvres et riches, noires et blanches, âgées et jeunes, avec et sans handicap », écrit la photographe Lola Flash en guise d’introduction à la réimpression.
Darquita et Denyeta à Alexandria, en Virginie. Ce cliché de 1979 témoigne de la vie quotidienne et des modèles parentaux à réinventer loin de ceux établis.
Darquita et Denyeta à Alexandria, en Virginie. Ce cliché de 1979 témoigne de la vie quotidienne et des modèles parentaux à réinventer loin de ceux établis.
Un autoportrait plein d'ironie signé par l'auteure de Eye To Eye: Portraits of Lesbians. En argot américain,
Un autoportrait plein d’ironie signé par l’auteure de Eye To Eye: Portraits of Lesbians. En argot américain, « dyke » signifie quelque chose comme « gouine, goudou ».
Washington, 1978. Lori et Valerie mettent les mains dans le cambouis. On peut y voir la métaphore de toute une communauté ayant dû retrousser ses manches pour accéder à la visibilité.
Washington, 1978. Lori et Valerie mettent les mains dans le cambouis. On peut y voir la métaphore de toute une communauté ayant dû retrousser ses manches pour accéder à la visibilité.

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