« Une armée européenne est impayable »
Le professeur Herman Matthijs a calculé le coût d’une éventuelle armée européenne.
Ces derniers mois, il y a eu beaucoup de propositions au sujet d’une Défense européenne. L’idée n’est pas neuve, mais en 1954 la politique de « Défense européenne commune » a été descendue en flammes par les Français et les Néerlandais. Depuis, il n’y a plus eu de véritables initiatives. Vu les nombreux problèmes politiques aux frontières de l’est et du sud de l’Union, la question d’une Défense européenne ressurgit. Mais que coûterait-elle aux habitants de l’UE ?
Situation actuelle
Aujourd’hui, la Défense de l’UE se compose uniquement de quelques brigades collectives et d’une Agence européenne de défense (AED) qui dispose d’un budget de 30 millions d’euros. Depuis 1949, la Défense européenne relève de la compétence de l’OTAN.
Norme de l’OTAN
Ces dernières années, les Américains ont insisté pour que les partenaires européens de l’OTAN consacrent plus d’argent à la Défense. Tant le président Barack Obama que la candidate présidentielle Hillary Clinton et le président actuel Donald Trump ont plaidé en ce sens. En été 2014, le sommet de l’OTAN à Cardiff a obtenu un accord pour relever les budgets de Défense des états membres à 2% du PIB d’ici 2024. En 2016, seuls les États-Unis (3,6% du PIB), la Grèce (2,3%), le Royaume-Uni (2,2%), l’Estonie (2,1%) et la Pologne (2%) respectaient la norme.
Budgets
Au fond, après la Seconde Guerre mondiale, la sécurité militaire du continent d’Europe occidentale a été payée par le contribuable américain. Les seuls états membres de l’UE à disposer d’une armée mobilisable sont les Français et les Britanniques. Avec un budget de respectivement 40 et 48,5 milliards d’euros, ils viennent après la Russie et la Chine. L’Allemagne et l’Italie suivent avec 37,5 et 20 milliards d’euros de moyens pour leur armée.
Aujourd’hui, le budget militaire américain s’élève à 664 milliards de dollars (593 milliards d’euros). Ce budget comprend une armée professionnelle de 1,3 million de personnes, l’entretien et le coût d’opérations de plus de 200 milliards, des achats pour plus de 100 milliards, de la recherche et du développement militaires pour 70 milliards de dollars, etc.
La Belgique
Si la Belgique souhaite atteindre la norme de 2% de l’OTAN, notre budget de Défense doit augmenter de 3,9 milliards à 8,4 milliards d’euros par an. Pour l’instant, nous consacrons 0,9%du PIB à la Défense, ce qui fait de nous l’un des derniers élèves de la classe OTAN. Aujourd’hui, il faudrait donc dégager structurellement 4,5 milliards d’euros pour atteindre cet objectif et maintenir le cap. Mais nous n’aurons pas encore d’armée européenne.
Armée de l’UE
La création d’une armée de l’UE soulève deux questions: qui participe, et comment allons-nous financer cette armée? Les nombreux pays neutres (l’Autriche, Chypre, Malte, l’Irlande, la Finlande et la Suède) voudront-ils participer à une armée de l’UE ? En valeur nominale, la Suède dispose du plus grand budget militaire de ce groupe (4,8 milliards d’euros, soit 1,2% du PIB) Et que font les Britanniques ? Il semble qu’avec le Brexit ils renonceront à une armée de l’UE. D’autre part, certains états membres de l’OTAN qui ne font pas partie de l’Union européenne sont peut-être tentés par une armée de l’UE : la Norvège et l’Islande. Quant à la Turquie, qui possède la deuxième armée en termes de troupes au sein de l’OTAN, elle ne semble pas utilisable pour une armée européenne.
Aussi l’armée de l’UE reposerait-elle surtout sur l’Allemagne et la France. Le président français Emmanuel Macron souhaite relever son budget militaire de 1,8% du PIB à la norme de l’OTAN de 2%. La chancelière allemande Angela Merkel souhaite également augmenter le budget allemand de la Défense qui représente 1,2% du PIB. Reste à savoir si les autres pays européens accepteraient une position dirigeante allemande ? Une armée européenne disposerait de suffisamment de troupes, mais souffrirait d’un manque de matériel militaire cher : porte-avions, sous-marins, intelligence et satellites.
Reste à voir comment on financerait une telle armée. Utiliser le système de l’OTAN et faire payer 2% du PIB à chacun est une première possibilité. Nous avons déjà calculé la contribution belge ci-dessus : 8,4 milliards d’euros par an. Mais de quel budget parlons-nous pour l’armée de l’UE ? L’UE, sans les Britanniques, aboutit à un PIB d’environ 14 000 milliards d’euros. D’après la norme de 2%, une armée européenne pourrait disposer d’un budget de 280 milliards d’euros. Mais alors nous n’atteignons même pas la moitié du budget américain. En outre, il n’y a pas encore de réponse à la question susmentionnée sur la participation des pays neutres de l’UE ?
Il y aurait également moyen de financer une armée européenne d’après le système de financement sur lequel le budget de l’UE d’aujourd’hui est basé: sur le système de ses moyens, où les pays riches doivent payer davantage. Sur base des contributions nationales au budget actuel de l’UE, la Belgique paie 3,03%. Sans le Royaume-Uni, la Belgique devrait payer 3,44% et si les pays neutres décrochent, le financement pour notre pays s’élèverait à 3,8%.
Si on calcule le budget de Défense européen sur 300 milliards d’euros, la Belgique paierait respectivement 9,9 milliards d’euros, 10,3 milliards (sans les Britanniques) ou 11,4 milliards (sans les Britanniques et les pays européens neutres). Ce sont là tous des scénarios plus chers que la norme convenue de l’OTAN. Reste aussi la question si un tel budget suffit pour jouer un premier rôle mondial, car au niveau territorial une Défense européenne ne doit pas seulement défendre l’Europe, mais des régions de l’océan Atlantique et Pacifiques ainsi que certains territoires dans les Caraïbes.
Conclusion
Quoi qu’il arrive, la Belgique devra dépenser plus d’argent pour la défense nationale. L’atteinte de la norme de l’OTAN exige 4,5 milliards de plus par an. La création d’une armée européenne risque de coûter encore plus cher à ce royaume fédéral. En outre, 300 milliards d’euros sont une grosse somme, mais ce n’est que la moitié du budget militaire américain, car si nous voulons garantir notre propre défense, nous devons partir au minimum de telles sommes.
Tout cela prouve une nouvelle fois que tous les gouvernements de ces dix dernières années ont réfléchi de façon peu structurelle au dossier de la Défense. Sur base de tout ce qui précède, l’OTAN semble à court terme la seule alternative pour la Défense européenne. Si la Belgique défend l’armée européenne, elle a intérêt partir dès maintenant la recherche des milliards nécessaires pour payer l’adhésion à l’armée de l’UE.
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