Sébastien Boussois
Un vent algérien soufflera-t-il sur le monde arabe ?
Travailler sur le monde arabo-musulman relève souvent de la gageure. Il faut une sacrée dose d’espoir et d’optimisme. On se demande d’où peut surgir l’espoir dans une région engluée depuis des décennies dans la tourmente et l’instabilité ?
Depuis un siècle on peut mentionner, l’ingérence occidentale, la création du problème israélo-palestinien, les guerres de décolonisation, les différentes guerres israélo-arabes, l’échec du panarabisme et du Nasserisme, les dictatures de Saddam Hussein Hafez el Assad et Muammar Khadafi, les invasions et les destructions de pays de l’Afghanistan à l’Irak en passant par la Libye et la Syrie, les Printemps arabes évanouis aussitôt, les révolutions aboutissant au retour de l’autoritarisme ou de l’islamisme, les tragiques vagues migratoires inhumainement réglées par l’Europe, le terrorisme et la radicalisation qui gagnent désormais l’Europe. Parfois, l’on se demande d’où peut surgir l’espoir dans une région engluée depuis des décennies dans la tourmente et l’instabilité ? Chacun a sa part de responsabilités, les dictateurs comme les soutiens aux dictatures. L’heure de la victimisation ne peut pour autant pas durer.
Nous avons tous, après les « Printemps arabes » dès 2010 en Tunisie et en Egypte, espéré ce fameux vent de démocratisation et de libéralisation pour la région, mais également, de manière intéressée, pour nous. Sécurité du monde arabe égale sécurité pour le vieux continent. A part la Tunisie, « laboratoire de la transition démocratique », qui se démène corps et âme dans les affres d’une démocratie « comme les autres », l’ensemble de la région du Maghreb, en passant par le Golfe, patauge dans la boue et pas que celle du pétrole. La Libye est dans le chaos, la Syrie se remet doucement, le Yémen voit ses jeunes mourir par dizaines de milliers. L’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis blacklistent le Qatar, amorcent l’effondrement du Conseil de Coopération du Golfe et mènent une guerre fratricide au Yémen au nom du maintien de leur zone d’influence. Et par-ci par-là, les jeunesses qui sont l’avenir de la région ruminent et bruissent. Les jeunes au Maroc s’impatientent de la lenteur du changement sociétal et éducatif et pas que politique. La Tunisie voit l’approche des Présidentielles avec crainte alors que la succession de Beji Caïd Essebsi est ouverte. L’Egypte autoritaire de Sissi est pire que celle de Moubarak. La Turquie d’Erdogan se transforme en califat panottomanique et hystérique. Au milieu du gué, les jeunes peinent à se frayer un chemin pour assurer l’inévitable relève.
La panique gagne le plus grand pays d’Afrique désormais, celui qui longtemps après 1962, a été ce modèle révolutionnaire, ce phare de la libération coloniale, ce pays que le Point avait qualifié l’année dernière de « pays le plus mystérieux du monde ». Peut-on espérer à nouveau ou devenir blasé du moindre espoir de changement ?
Les dernières manifestations pacifiques sous tension à l’approche l’élection algérienne en avril prochain sont la preuve que les seuls capables du changement dans la région sont ceux qui la construiront : les jeunes. Jusque-là, aucun mouvement n’avait suscité autant d’engouement en Algérie depuis les quatre mandats d’Abdelaziz Bouteflika. Trop longtemps, au nom d’une peur du retour du chaos largement instrumentalisé et exploité par le pouvoir, le régime algérien a refusé d’imaginer un autre futur que le sien. Exit l’intérêt général, exit la renaissance d’un pays phare pour le monde arabe. Désormais, le 5e mandat est clairement rejeté et les jeunes Algériens sont prêts à prendre leur destin en main, après des années d’inertie. Que peut-on espérer ? Une transition en douceur, un homme de compromis, une débouteflikisation du régime. Ces prochains jours seront cruciaux pour le pays, mais également pour nous. L’Algérie est le nouveau baromètre de l’état de santé du monde arabe, au plus bas depuis des années. Nous, chercheurs ou simples passionnés, pouvons-nous à nouveau espérer quelque chose ? Je me plais à y croire ces dernières heures.
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