Un tabou brisé, l’Otan avec le couteau sous la gorge: « Une situation glissante où on ne maîtriserait plus les règles »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Un tabou brisé : pour la première fois depuis le début du conflit, un haut responsable évoque la possibilité que l’Otan envoie des troupes en Ukraine. L’ancien chef de l’Alliance Atlantique nord, Anders Rasmussen, a lancé le pavé dans le marre, estimant que certains pays, comme la Pologne et les pays baltes, pourraient franchir le pas. Pourquoi cette déclaration intervient-elle maintenant, et que penser de l’engagement actuel des Occidentaux ? Décryptage avec Kris Quanten, professeur d’histoire militaire à l’ERM.

C’est une ligne rouge que l’Otan a formellement refusé de franchir. Envoyer des troupes en Ukraine n’a jamais été une option dans le discours des Occidentaux. Raison principale évoquée, éviter tout risque d’extension du conflit avec la Russie. L’Ukraine n’étant pas membre, elle n’est pas officiellement protégée par le fameux article 5, qui régit le principe de défense collective. L’envoi de troupes occidentales n’étant pas une obligation, la question a donc toujours soigneusement été balayée sous le tapis.

Pour la première fois depuis le début du conflit, le tabou a pourtant été rompu. C’est Anders Rasmussen, ex-patron de l’Otan et ancien premier ministre Danois, qui a mis les pieds dans le plat. Au journal britannique The Guardian, l’ancien homme d’Etat évoque la possibilité que plusieurs pays occidentaux – la Pologne et les pays baltes en tête – puissent envoyer des troupes si l’Otan n’apporte pas une aide concrète à l’Ukraine lors du prochain sommet de Vilnius, qui aura lieu en juillet.

Otan: l’espoir d’une solution intermédiaire

En réalité, la sortie de Rasmussen est loin d’être innocente. Pour la simple raison qu’il est désormais conseiller… du président ukrainien Volodymyr Zelensky. « Il faut considérer cette déclaration dans l’optique du sommet de l’Otan à Vilnius », relève l’expert militaire Kris Quanten (ERM). « L’Ukraine veut la solution maximale, c’est-à-dire devenir membre de l’Otan. Or, les membres de l’Alliance sont réticents car l’Ukraine est en plein conflit : son arrivée impliquerait automatiquement que l’Occident y engage ses troupes. »

En allant (très) loin dans sa demande, Rasmussen espère trouver « une solution intermédiaire qui consisterait en une garantie de sécurité. En quelque sorte, il met le couteau sous la gorge de l’Otan de façon à l’inciter à venir avec des propositions concrètes à ce sommet », déduit Kris Quanten. Rasmussen sait qui viser : les pays baltes et la Pologne ont toujours été plus plus sensibles aux demandes de l’Ukraine.

Troupes de l’Otan en Ukraine: la ligne rouge politique

Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Otan, a déjà réagi en affirmant que devenir membre serait difficile à court terme, mais qu’il fallait arriver à une solution intermédiaire, et donc ces fameuses garanties de sécurité. C’est tout le débat qui aura lieu entre les différents membres : quelles décisions concrètes seront prises ?

« Envoyer des troupes sur place serait une escalade considérable, où ne maîtriserait plus les règles. C’est la ligne rouge politique, rappelle Kris Quanten. Je ne suis pas convaincu que la Pologne serait volontaire. Car le pays s’exposerait à des représailles. Au niveau international, tout a d’ailleurs été fait pour éviter cette escalade. Avec un peu de recul, le conflit est très bien géré par les Occidentaux. Les Américains sont très formels sur le sujet : envoyer des troupes mènerait à une situation très glissante », avance-t-il.

Les Etats-Unis trop en retrait ?

Certains observateurs pointent également les Etats-Unis, qui apparaissent parfois réticents quant à la livraison de certaines armes. Pour Kris Quanten, ces critiques sont infondées. « Il faut se rendre à l’évidence. Quand on regarde les livraisons et les montants qui cela représente… leur aide est immense. Alors oui, les Etats-Unis sont réticents pour certaines armes, comme les F-16 ou les missiles ATACMS, qui ont une portée de 250km. D’autres raisons peuvent expliquer cette prudence, comme le risque d’escalade. Cette réserve s’explique aussi dans l’optique où Poutine déciderait d’utiliser des armes nucléaires tactiques. Ce qui serait perçu comme une menace du côté américain. C’est une manière de dire à la Russie, ‘on n’a pas engagé tous nos moyens de combats, donc n’employez pas l’arme nucléaire’ », décrypte l’expert de l’ERM.

A quel stade sont les arrivées d’aides occidentales ?

Plus le temps passe, plus il est complexe de cerner l’aide occidentale effectivement arrivée sur le terrain en Ukraine. « Les Ukrainiens ne communiquent pas là-dessus pour des raisons de sécurité opérationnelle. Sur le terrain, on observe bel et bien des Leopard 2 et des Bradley. On n’a encore peu vu de Stryker ou de CV90, qui sont aussi des véhicules très performants. Donc, on peut en déduire que les Ukrainiens en gardent encore sous pédale », observe Kris Quanten.

« Mais il ne faut pas seulement se focaliser sur ce qu’on voit sur le front, poursuit l’expert militaire. Ce qui est crucial, c’est l’isolation de champ de bataille, c’est-à-dire la capacité à frapper en profondeur. A cet égard, les Storm Shadow sont très importants. Les Himars devraient aussi être de retour. Ils servent à attaquer des postes de commandement, de radars isolés, des sites de ravitaillement, des dépôts de carburant, etc. Le but est de perturber l’ennemi le plus possible et d’affaiblir sa mobilité », analyse-t-il.

La Russie en rupture de stock de missiles ?

Depuis plusieurs mois, un autre refrain revient en boucle : la question de l’épuisement des stocks de missiles russes. « Cela fait un moment que certains l’affirment. Mais les attaques de missiles continuent. Ils ont clairement des problèmes d’approvisionnement. Leurs stocks ne sont pas inépuisables, mais ils essaient de trouver des alternatives. En tenant d’augmenter leur production, ce qui n’est pas évident vu leur isolation internationale. La deuxième alternative, ce sont des livraisons d’Iran ou de Corée du Nord. Les Iraniens seraient même en train de construire une usine en Russie pour la fabrication de drones Shahed », conclut Kris Quanten.  

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