Un « momentum » pour le climat avec le sommet international initié par Biden
Joe Biden redonne un élan à la lutte contre le réchauffement climatique. Etats-Unis, Chine et Union européenne convergent désormais vers la mise en oeuvre de l’Accord de Paris, se réjouit Jean-Pascal van Ypersele, l’ancien vice-président du Giec. A vérifier lors du sommet international convoqué par le président américain.
Selon le rapport annuel de l’Organisation météorologique mondiale, 2020 a été une des trois années les plus chaudes jamais enregistrées dans le monde et, malgré l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur l’économie, les concentrations en gaz à effet de serre ont encore augmenté. Le 19 avril, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a donc appelé la communauté internationale à faire de 2021 l’année de l’action contre le changement climatique. Un sommet international virtuel de chefs d’Etat et de gouvernement convoqué les 22 et 23 avril va tenter d’y contribuer. Professeur à l’UCLouvain et ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), Jean-Pascal van Ypersele décrypte les enjeux de ce rendez-vous organisé à l’initiative du président des Etats-Unis.
Le monde financier commence à suivre une évolution différente de celle du greenwashing et de l’action symbolique. » Jean-Pascal van Ypersele, professeur à l’UCLouvain.
L’activisme de Joe Biden en matière de climat vous paraît-il sincère et change-t-il la donne?
Je crois que son engagement n’est pas feint. Il est celui des candidats à la présidentielle américaine de ces vingt dernières années qui a le plus mis en avant la question climatique au cours de sa campagne. Une manière, sans doute, de se distinguer du président précédent mais aussi de se connecter aux jeunes Américains qui, en grand nombre, avaient exprimé une préoccupation importante par rapport à ce dossier. Joe Biden a aussi mis la protection du climat et de l’environnement comme axe de son plan de relance, avec des moyens plus importants encore que ceux déployés par l’Union européenne. Le fait qu’il convoque ce sommet à partir du 22 avril, Journée de la Terre aux Etats-Unis depuis 1970, est de bon augure. De surcroît, le communiqué commun que l’envoyé présidentiel spécial pour le climat John Kerry et son homologue chinois Xie Zhenhua ont signé à la suite de la visite du premier à Shanghai est très important. Les signes positifs se multiplient. Ainsi, le monde financier commence également à suivre une évolution différente de celle du greenwashing et de l’action symbolique dans lesquels il était jusqu’à présent cantonné.
Comment se traduit-elle?
On voit des responsables de banque centrale, des groupes d’investisseurs, de grands acteurs financiers qui disposent d’actifs importants dans l’industrie des combustibles fossiles changer l’orientation de leur « paquebot », et désinvestir, ou appeler à le faire, dans ces secteurs. La pression est de plus en plus grande pour que les protagonistes de l’industrie fossile changent de stratégie.
Au-delà des déclarations d’intention, voyez-vous des actes concrets posés en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique aux Etats-Unis et en Chine?
La première tâche à laquelle le président Biden s’est attelé a été de retricoter la centaine de mesures dans les domaines du climat et de l’environnement, souvent bien concrètes, détricotées par Donald Trump à travers des ordres exécutifs qui lui ont permis, à l’époque, de contourner le Congrès. Deux exemples: la révision des normes de pollution des véhicules automobiles et la manière dont l’administration calcule le coût pour l’environnement des décisions qu’elle prend ou ne prend pas. Si on considère que le coût social du CO2 est faible comme le clamait Donald Trump, pareille attitude ouvre la voie à faire à peu près n’importe quoi, par exemple construire autant de nouvelles autoroutes que l’on veut. La réintégration des Etats-Unis dans l’ Accord de Paris et la nomination de John Kerry comme envoyé spécial pour le climat sont deux autres gestes importants posés par Joe Biden.
En Chine, la traduction des intentions dans les faits se remarque-t-elle aussi?
C’est un peu moins visible, notamment parce que l’information est plus contrôlée. Mais le discours en faveur de la lutte contre le réchauffement du climat est au moins à la hauteur de celui des Etats-Unis. La Chine a annoncé il y a six mois son ambition d’arriver à la neutralité carbone avant 2060, à peine plus tard que l’intention formulée par l’Union européenne. La réunion des élites politiques chinoises, qui a défini en mars dernier le plan quinquennal (2021-2025), devait déboucher sur des mesures assez marquantes visant à la mettre en oeuvre. On n’en a pas vu la trace. Donc les intentions de la Chine ne sont pas aussi claires jusqu’à présent que celles des Etats-Unis. Mais il faut reconnaître qu’elle a eu tendance dans ce domaine à faire plus que ce qu’elle avait annoncé. On peut être raisonnablement optimiste sans pour autant être naïf. L’atmosphère ne connaît pas les discours ; elle ne connaît que les émissions polluantes et la quantité de CO2 et de gaz à effet de serre qu’on lui envoie. Tant qu’il n’y a pas de mesures concrètes mettant en oeuvre les discours, l’atmosphère va continuer à suivre les lois de la physique et de la chimie, et à se réchauffer.
Peut-on néanmoins parler de convergence d’intérêts entre les grandes puissances?
Même si je trouve qu’on utilise l’expression souvent à tort et à travers, je vais l’utiliser pour une fois: il y a un « momentum ». L’ élan a été très largement insufflé par l’Union européenne. Le partenariat entre l’Union et la Chine a été maintenu quand le président des Etats-Unis était climatosceptique. Pour preuve, le marché du carbone chinois entre petit à petit en vigueur et couvre des secteurs de plus en plus importants de l’économie. Or, il a très largement été inspiré par la manière de faire européenne. Au cours des dernières années, des dizaines d’experts ont été envoyés en Chine par la Commission européenne pour répondre à toutes les questions sur la façon dont le système européen d’échange de quotas fonctionnait. Au fur et à mesure que le prix du CO2 va monter, cela va conduire à l’élimination, par exemple, des centrales au charbon, en commençant par les plus polluantes, et favoriser les énergies les plus propres. Le gouvernement chinois est assez déterminé parce qu’il se rend bien compte du défi du changement climatique. C’est probablement la raison pour laquelle, pour la première fois selon John Kerry, la Chine a accepté, dans le communiqué commun sino-américain, de parler de « crise climatique ». Si elle utilise cette expression-là, c’est qu’elle est directement concernée. Les effets de la sécheresse, des tempêtes de sable qui gagnent Pékin, des difficultés d’alimentation en eau… sont bien réels.
Cet élan peut-il avoir un impact sur les travaux de la Cop 26 prévue en novembre prochain à Glasgow?
Oui, il peut avoir un élan très positif. L’Union européenne est très motivée sur la question. La Chine l’a été pendant les quatre ans de la présidence Trump. Si le troisième éléphant de la bande s’y met aussi, trois très gros acteurs de l’économie mondiale iront ensemble dans la direction de la mise en oeuvre de l’ Accord de Paris. Cela ne résoudra pas tous les problèmes parce qu’il y a eu tellement d’inaction pendant tellement longtemps que la dette créée en matière de climat ne va pas être rattrapée en quelques mois. Mais cela peut vraiment aider à engranger des progrès significatifs lors de la Cop 26 et les suivantes.
Quels sont les objectifs de cette Cop 26?
Il me semble qu’il y a trois objectifs très importants. Primo, le relèvement du niveau d’ambition parce que les plans confirmés dans le cadre de l’ Accord de Paris ont été conçus en 2014. Or, le rapport spécial du Giec de 2018, demandé par la Cop 21, a conclu que l’objectif le plus ambitieux de l’ Accord, à savoir rester en dessous de 1,5 degré de réchauffement, était nettement préférable à celui de se maintenir en dessous de 2 degrés, et que pour obtenir ce résultat, il fallait arriver à une neutralité carbone à l’échelle mondiale en 2050. C’est une des raisons pour lesquelles tous les plans actuels, établis auparavant, sont insuffisants. Deuzio, la réalisation d’un objectif de l’ Accord de Paris, qui va conditionner dans une certaine mesure la volonté ou pas de nombreux pays de s’engager sur la voie de la décarbonation: le soutien financier des Etats développés envers les pays en développement, à savoir les – au minimum – 100 milliards de dollars par an à débourser à partir de 2020. On en est loin. Et la manière de calculer ce montant est très élastique. Certains engagements sont conditionnés à la réception d’une aide spécifique. C’est par exemple le cas de la « contribution nationalement déterminée », telle qu’elle est appelée dans le jargon des Nations unies, de la République démocratique du Congo. Elle s’est engagée à protéger sa forêt du bassin du Congo, la deuxième en importance en termes de quantité de carbone après l’ Amazonie, à condition qu’on l’aide. Le troisième objectif est de finaliser le manuel de la mise en oeuvre de l’ Accord de Paris. Le chapitre le plus délicat de ces règles doit encore être finalisé. Il porte sur la jonction éventuelle des différents systèmes de permis négociables et de marché du carbone sur laquelle les divergences sont encore très fortes.
(1) Jean-Pascal van Ypersele anime la plateforme wallonne pour le Giec qui publie une lettre accessible sur plateforme-wallonne-giec.be
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