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Un autre regard sur les réfugiés

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les statistiques ne disent pas la réalité des épreuves vécues par les migrants vers l’Europe. L’écrivain antimafia Roberto Saviano et le romancier grec Konstantinos Tzamiotis aident à comprendre les souffrances et les questionnements des réfugiés et de leurs hôtes occasionnels.

« L’immigration et les migrants sont le grand prétexte, le grand mensonge employé ces dix dernières années par le monde politique pour ne plus parler de politique », soutient l’écrivain antimafia Roberto Saviano dans En mer, pas de taxis (1), une référence à la qualification de « taxis méditerranéens » que le dirigeant du Mouvement 5 étoiles Luigi Di Maio, alors député, avait cru pouvoir utiliser pour décrire les bateaux des ONG participant au sauvetage de migrants. Le propos de Saviano trouve une nouvelle illustration ces jours-ci avec l’instrumentalisation, par certains politiques européens, du spectre d’un afflux de réfugiés afghans après le retour au pouvoir des talibans. « Pour gagner les élections, pourquoi s’échiner à combattre les causes des peurs et essayer de les éliminer lorsqu’il est infiniment plus facile de les alimenter? », complète-t-il.

Pour gagner les élections, pourquoi s’échiner à combattre les causes des peurs lorsqu’il est plus facile de les alimenter?

Dans En mer, pas de taxis, l’auteur star s’efface devant les témoignages de quatre photographes, Giulio Piscitelli, Paolo Pellegrin, Olmo Calvo, Carlos Spottorno, dont le travail au plus près des sauveteurs et des migrants crédibilise la parole. Pour Saviano, la photographie et ceux qui la pratiquent incarnent « le devoir d’apporter et de former une preuve », sens premier de l’acte de témoigner. Mais, six ans après celle du corps du petit Aylan Kurdi sur une plage turque, une photographie peut-elle encore faire changer la politique? Giulio Piscitelli en doute: « Je suis convaincu qu’aujourd’hui nos sociétés souffrent d’un grave déficit d’attention et que nous ne savons plus nous concentrer sur une seule chose, nous ne nous arrêtons suffisamment sur rien. »

Les photographies du livre décrivent en tout cas la mort qui accompagne souvent la traversée de la Méditerranée, la peur, la détresse, la souffrance de ceux qui y survivent. Une souffrance détaillée aussi par Irene Paola Martino, une infirmière à bord du navire de MSF Bourbon Argos, quand elle explique comment le carburant de réserve échappé des bidons en plastique peu hermétiques provoque des brûlures aux migrants une fois mélangé à l’eau de mer stagnant au fond des canots pneumatiques.

Avec Point de passage (2), le roman de Konstantinos Tzamiotis, c’est une autre épreuve du parcours des migrants vers l’Europe qui est contée. Les rescapés du naufrage d’un navire sont secourus sur un îlot grec. Ils sont 400 alors que le lieu n’abrite que 160 habitants. La tempête qui continue de faire rage empêche l’arrivée des secours de la capitale. Les autorités de la « grande île » proche ont leurs propres problèmes. Les ressources pour venir en aide aux étrangers vont rapidement manquer. Comment faire face à ce défi? A la bienveillance succédera l’intolérance, à la solidarité la violence. La cohabitation s’annonçait d’emblée délicate. Konstantinos Tzamiotis suggère que les bonnes volontés souvent ne suffisent pas et que si l’Etat ne met pas en place le cadre minimal pour assurer l’accueil de migrants, elles peuvent être vite découragées, avec des effets pervers: « On a tellement affronté la douleur des autres qu’on a oublié nos propres problèmes », lance une bénévole. Difficile alors d’éviter les confrontations dans ces lieux emblématiques de l’impuissance européenne qui ne devraient pourtant être que des points de passage.

(1) En mer, pas de taxis, par Roberto Saviano, Gallimard, 176 p.

(2) Point de passage, par Konstantinos Tzamiotis, Actes Sud, 224 p.

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