Frédéric Jarry
Un autre modèle que Daech sur le »marché du religieux » planétaire ?
Début avril 2015 se sont tenues les conférences annuelles sur le droit islamique à Mascate, capitale du petit Sultanat d’Oman. L’occasion de découvrir la foi ibadite, ancrée solidement dans une culture, une histoire et une structure politique, certes ferme, mais dont la stabilité et la tolérance augurent de la possibilité d’un « autre » islam dans le « marché des religions » actuel.
Alors que le monde arabe s’embrase à nouveau, une communauté paisible de docteurs de la loi, de philosophes arabes et de chercheurs universitaires, a participé, du 5 au 8 avril 2015, à Mascate, capitale d’Oman, à la 14e conférence sur Le Développement de la Jurisprudence Islamique. Organisée par le ministère des Affaires Religieuses et, en présence, notamment, du ministre, du Grand Mufti d’Oman, et d’officiels iraniens, cette conférence de quatre jours a tenté d’unifier les questions de droit islamique. Cette année, l’attention s’étant spécialement portée sur la démystification du discours radical des djihadistes.
Présent à cet événement, je crois d’abord à l’opération com’. Aaah, ces « monarchies pétrolières », jamais avares d’effets d’annonce ? Non, ces conférences se tenant en arabe, sans sous-titres, dans l’indifférence totale du monde occidental depuis 15 ans. S’adressent-elles alors aux musulmans, dans un souci de diffuser des idées « libérales » alors que le fondamentalisme menace, plus que jamais, l’Europe des banlieues et tout le Moyen Orient ? Non plus. Il s’agit bien de théologie pratique. Certes plus animée par un Esprit constructif que portée sur la Lettre…
Mais ce n’est pas le plus important.
Si on suit les thèses de l’orientaliste français Olivier Roy et ce, dans le souci d’être digne d’un après-Charlie ne relativisant pas le danger actuel, mais ne s’érigeant pas dans la défense d’une laïcité de repli identitaire, prête à tous les amalgames délétères, il serait intéressant de se repenser la question des rapports entre religion et culture, au sein du monde globalisé.
Le fondamentalisme, notamment islamique, serait lié à une rapide déculturation des religions
Le fondamentalisme, notamment islamique, serait lié à une rapide déculturation des religions. Le libéralisme économique post-communiste, le monde de l’information instantanée et le web planétaire déterritorialisent les couches culturelles, lentement accumulées par l’histoire, ayant formé l’agrégat « civilisation occidentale » et son cortège d’états-nations. Géopolitique du chaos. La religion, déjà déstabilisée par les changements philosophiques et politiques des 200 ans dernières années, se voit plongée dans un monde de plus en plus « étranger » à ses saintes paroles. Un monde culturellement « profane ». Poussée vers la porte de sortie, assumant/créant sa propre radicalisation, la religion traverse alors un paradoxal revival mondial, sous la forme d’une Pureté nouvelle, « ignorant » les moeurs, pratiques, codes, symboles de la culture, anthropologiquement définie. Une religion de secte, de gourou. En kit. Même si « universelle »… Des Frères musulmans aux églises évangélistes.
Sainte Ignorance donc. Foi pure, désincarnée. Pas de « clash des civilisations » tablant sur un lien indéfectible entre religion et … culture.
Dans ce cadre, guerre froide au moyen orient, chute de l’Union soviétique, immigration et choc pétrolier en Europe projettent, tout spécifiquement, l’islam sur les feux de la rampe. Un islam essentialisé, fondamentaliste. 11 septembre 2001, printemps 2011 et janvier 2015 confirment pour le monde entier la menace islamiste.
Déculturée, mondialisée, standardisée, ayant perdu l’Esprit mais pas la Lettre, toute de normes visiblement hérissées, cette « religion » devient alors synonyme de violence et d’intolérance. Elle part à la conquête du monde.
Je demande donc, un peu hésitant, si ces conférences sur l’ibadisme (l’islam majoritaire d’Oman, de Djerba et du Mzab algérien, mais minoritaire dans le monde musulman), malgré ses origines kharidjites (la 3e voie), montrent une autre facette de la croyance en Allah ? Je tente : Mascate, le hub, le labo annuel d’un islam pacifiste ? L’idée n’est pas de scruter scientifiquement les détails du Coran, ni de s’ouvrir au monde, – l’Islam l’a toujours fait -, mais bien de rendre possible un renouveau dans le souffle de nos écrits sacrés, me répond imperturbable le ministre des Affaires Religieuses d’Oman, le cheikh Abdullah bin Mohammed al-Salimi. L’ibadisme, né bien avant la différence sunnite-chiite, est basé sur la méritocratie. C’est le plus sage et le plus compétent qui doit prendre la suite du Prophète. Notre tradition est celle du dialogue pacifié.
Une fois la tentation passée d’y voir le voile esthétique jeté sur un conservatisme social et une « Révolution en trompe-l’-oeil » (titre d’une thèse écrite en France), je me rends à l’idée, intéressante, d’un islam culturellement ancré dans une tradition, une histoire, un territoire, – le premier imam ibadite s’est installé à Nizwa au 8e siècle. Une tradition, réinventée peut-être, mais par un solide projet politique. On n’est pas dans l’Iran des années 80… C’est bien un ministre des Affaires religieuses qui parle. L’imam inspire, sans doute, mais surtout écoute le Sultan. Eclairé ? Qui a sorti son pays du moyen âge en 40 ans. Un Printemps arabe relativement peu meurtrier… Une Basic Law réaménagée pour donner plus de voix à la chambre (certes consultative) al-Shura, élue démocratiquement. Et une « Omanisation » du pays programmée pour donner plus de travail à la jeunesse locale qu’aux expats ivres de business… Oui, le Sultan veille. Fermement. Sans parti. Mais avec les grandes familles (comme à Nice ?). Le petit pays, entouré de puissants voisins (Arabie Saoudite, Yémen, Iran, Inde) tient la barre. Pacifiquement. A l’intérieur comme à l’extérieur.
Pour revenir à Monsieur Roy, c’est donc bien la cohérence du projet culturel d’Oman qui est le meilleur outil pour la construction d’un état musulman stable, condition sine qua non pour une démocratisation progressive, inspirée de nos majlis traditionnels, pointe judicieusement un docteur en histoire de l’art islamique, responsable de la revue Al Tafahom, Abdul Rahman Al Salmi. Les mosquées d’Oman reflètent toutes les cultures de l’islam : maghrébines, turques, iraniennes, arabes du Golfe, etc. C’est cette diversité qui a fondé la richesse humaine d’Oman, pays de commerce maritime, et qui inspire aujourd’hui sa vision sociétale.
En effet, Mascate abrite même plusieurs églises chrétiennes et un temple hindouiste, voire bouddhiste. Des tombes de pêcheurs datant de 3000 ans jusqu’aux forteresses coloniales portugaises, en passant par d’émouvants villages montagneux, tout (ou presque) a été protégé par les autorités omanaises. Plusieurs sites de l’UNESCO. On n’est pas en Irak…
« Dans la mosquée Al Qaboos s’étend le plus grand tapis du monde d’une seule pièce. En soie. Tissé par 400 Iraniennes ! « . Euh, chiites ? Quelle question ! Tous les musulmans peuvent prier dans nos Mosquées. Et les tapis persans ne sont-ils pas les plus beaux du monde ? « , termine hilare Abdul Rahman.
Un autre modèle que Daech sur le « marché du religieux » planétaire ? Pourquoi pas.
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