C’est au sud de Robotyne, en direction de la ville de Tokmak, que se concentre l’essentiel de la -offensive ukrainienne. © reuters

Vers une percée significative de l’Ukraine avant l’automne? « Cette offensive est devenue une course contre-la-montre »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’armée ukrainienne progresse lentement mais sûrement, surtout au sud de Zaporijia. Quelques missiles à longue portée l’aideraient à franchir un palier supplémentaire.

Présent à l’Assemblée générale annuelle des Nations unies à New York, Volodymyr Zelensky a tenté de convaincre les dirigeants du Sud global du bien-fondé de la défense de la souveraineté et des intérêts de l’Ukraine face à l’impérialisme russe. Sa rencontre, le 20 septembre, avec son homologue brésilien Lula – après l’échec d’une première tentative en marge du sommet du G7 à Hiroshima en mai – devait être le point d’orgue de cette campagne.

Mais pour l’avenir rapproché des Ukrainiens, c’est bien plus son énième entrevue avec le président américain, Joe Biden, depuis le début de la guerre qui devait s’avérer cruciale. L’enjeu pour le président ukrainien était de convaincre son généreux pourvoyeur d’armes de glisser quelques missiles Atacms sol-sol dans sa prochaine livraison. Pareils armements d’une portée de trois cents kilomètres auraient été bien utiles, estiment les experts militaires, dans la rude offensive que mène l’armée ukrainienne au centre de la ligne de front du sud de l’Ukraine, dans la région de Zaporijia.

Les avancées de l’Ukraine: Bakhmout et Robotyne

Au moins, Volodymyr Zelensky a-t-il pu se présenter devant ses interlocuteurs américains, dont certains critiquaient voici quelques semaines la conduite de la contre-offensive lancée le 8 juin dernier, avec quelques succès militaires sur le terrain. Les plus récents ont été forgés dans la région de Bakhmout, reprise le 25 mai par le groupe Wagner, avant son retrait, puis sa mise à l’écart à la suite de la rébellion le 24 juin de son chef Evgueni Prigojine contre Moscou. La reconquête d’Andriivka, le 16 septembre, et de Klishchiivka, le lendemain, deux villages situés au sud-ouest de la ville martyre, constituent des avancées intéressantes. Elles ne menacent pas pour autant le dispositif de défense mis en place dans l’oblast de Donetsk. La perspective de percer là la digue russe est encore lointaine.

L’enjeu pour l’Ukraine? Convaincre les Etats-Unis de lui fournir des missiles Atacms sol-sol.

L’intérêt principal de l’action que l’armée ukrainienne a relancée dans la région après le retrait des mercenaires est de fixer sur place les troupes russes qui, de la sorte, ne peuvent pas être déployées plus au sud pour contrer l’offensive de l’adversaire à Zaporijia. Or, celles-ci sont aguerries. Il s’agit de deux divisions parachutistes et de trois brigades aéroportées. Ce sont elles qui ont dû remplacer les forces de Wagner. Des informations sur la reprise d’Andriivka ont aussi fait état de nombreuses pertes au sein de la 72e brigade de fusiliers motorisés de l’armée russe au point qu’elle pourrait avoir été mise hors combat.

Si la bataille de Bakhmout occupe l’actualité récente, la contre-offensive ukrainienne continue de concentrer ses principaux effets dans la région de Zaporijia, au sud de la localité de Robotyne reprise aux Russes. C’est là que pourrait se jouer l’avenir de l’Ukraine. L’armée de Kiev y grignote le territoire kilomètre par kilomètre. Elle a occupé la première ligne de défense russe, et s’attaque à la deuxième. «A ce stade, les forces ukrainiennes ont encore à franchir quinze kilomètres avant la fin octobre pour créer une brèche dans cette digue, et permettre à leurs brigades de réserve (probablement de l’ordre de vingt mille combattants préservés pour la suite) de s’engouffrer dans l’arrière du dispositif russe», analyse l’ancien officier français et écrivain Guillaume Ancel, dans une note parue le 16 septembre. Pourquoi cette échéance de la fin octobre? Parce que les pluies automnales transformeront à partir de cette date les sols plats de la région en étendues de boue.

L’armée ukrainienne espère recevoir rapidement des missiles à longue portée américains Atacms.
L’armée ukrainienne espère recevoir rapidement des missiles à longue portée américains Atacms. © getty images

Une course contre la montre

L’objectif de reconquête d’une portion de quinze kilomètres en quelque cinq semaines dans la deuxième ligne de défense russe, considérée comme la plus solide, pourrait être une gageure. «L’armée russe récupère tout ce dont elle dispose pour essayer de colmater la brèche et a déclenché plusieurs contre-offensives locales pour ralentir la progression des Ukrainiens», observe Guillaume Ancel. C’est dans un cadre comme celui-là que l’apport des missiles américains Atacms, dont la livraison a été discutée entre Joe Biden et Volodymyr Zelensky à New York, aurait été précieux pour l’armée ukrainienne. «Ces lenteurs liées à des hésitations sans fin deviennent criminelles dans ce contexte où le temps est désormais compté. Car cette offensive est devenue de fait “une course contre la montre” dans laquelle les retards sont mortifères…», dénonce l’ancien officier français. Guillaume Ancel épingle à la fois les Américains pour le délai à livrer des missiles Atacms, et les Allemands pour leurs tergiversations autour de la fourniture de missiles Taurus d’une portée de cinq cents kilomètres demandés par Kiev. Berlin a, certes, annoncé le 19 septembre l’octroi d’une nouvelle aide de 400 millions d’euros à l’Ukraine. Mais les missiles concernés n’y figurent pas alors que les Verts et les libéraux du FDP, composantes du gouvernement, ainsi que la CDU dans l’opposition, sont favorables à leur livraison à Kiev. «Le gouvernement n’a pas encore décidé s’il allait envoyer des missiles de croisière Taurus», a simplement indiqué le ministre social-démocrate de la Défense, Boris Pistorius.

Les forces ukrainiennes ont encore quinze kilomètres à franchir avant fin octobre pour créer une brèche dans cette digue.

En attendant, puisque, en toute hypothèse, les armements américains ou allemands ne seraient pas livrés avant la fin octobre, une occasion d’infliger un sérieux revers à l’armée russe au sud de Robotyne risque d’être perdue cet automne, et repoussée au printemps avec moins de garanties de succès parce que la Russie profiterait de ce délai pour reconstituer sa digue de défense et son ravitaillement en munitions d’artillerie, potentiellement en provenance de la Corée du Nord de Kim Jong-un dont Vladimir Poutine s’est assuré les bonnes grâces en le recevant avec les honneurs au cosmodrome de Vostotchny, au sud-est de la Sibérie, le 13 septembre. A moins que l’armée ukrainienne trouve dans ses ressources humaines et techniques actuelles les moyens d’opérer une percée significative d’ici au 31 octobre.

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