
Une paix imminente en Ukraine? «Les Russes savent quelque chose et la situation pourrait vite pourrir»
Trump et Macron ont affiché leur volonté de parvenir à une paix rapide et durable en Ukraine. Derrière les volontés diplomatiques de surface, la présence européenne sur le sol ukrainien soulève de nombreuses questions pratiques. Encore faut-il, d’abord, parvenir à un accord de cessez-le-feu. Le flou artistique pourrait se prolonger plus longtemps que prévu…
«Un tournant», selon les dires d’Emmanuel Macron. La discussion du président français avec Donald Trump aurait duré «trois bonnes heures», lors de sa visite à Washington. Les deux conférences de presse qui ont suivi (l’une informelle, l’autre formelle) ont laissé entrevoir une entente amicale entre les deux présidents, peu de contradictions majeures, et, surtout, des lignes directrices sur le destin réservé à l’Ukraine.
Une «force de paix» rapide et durable en Ukraine
Cette fois, l’ambiguïté est entièrement levée. L’Europe souhaite la mise en place d’une «force de paix», «rapide et durable». Avec, donc, la présence de troupes européennes sur le sol ukrainien. En tête de gondole, une entente franco-britannique se dessine déjà. Ce que, —selon les dires de Trump à Macron— Poutine aurait accepté. Reste désormais à déterminer les modalités de ce déploiement, et, condition sine qua non, parvenir à un accord de cessez-le-feu. Le processus s’annonce plus complexe que présenté.
«On a assisté à quelque chose d’intéressant. Mais la capacité de résistance de Macron aux exigences de Trump paraît quand même limitée. Zelensky a toutes les raisons d’être inquiet», commente Nina Bachkatov, docteure en sciences politiques, spécialiste de l’espace post-soviétique.
Au vu des récentes tensions transatlantiques, notamment sur les menaces de droits de douane, la rencontre Trump-Macron a le mérite de relancer la relation USA-UE, «ce qui, a priori, est déjà une bonne nouvelle, note Gesine Weber, spécialiste de la défense européenne (GMF Paris). Sur plusieurs points, en coulisses, Trump n’aurait d’ailleurs pas contredit les paroles du président français. Cette rencontre donne l’impression que des avancées ont eu lieu dans la bonne direction.»
La garantie américaine, turning point?
La présence de forces armées européennes sur le terrain ne serait toutefois possible qu’après la conclusion d’un accord de cessez-le-feu. «Dans un sens, tout le monde s’abrite derrière Trump, remarque Nina Bachkatov. Car, poursuit-elle, on parle désormais d’une force de paix européenne avec une garantie américaine en arrière-plan. Techniquement, les troupes au sol auront besoin du renseignement américain, notamment de leurs satellites. Cette garantie américaine est clairement l’acquis majeur qui est ressorti de cette rencontre à Washington», analyse la spécialiste.
Les Etats-Unis se positionneraient dès lors en «garantie de la garantie». Une affirmation de Macron qui n’a pas été contredite par Trump, du moins pas publiquement. «Trump ne s’est pas opposé lorsque Macron a évoqué cette garantie américaine. Reste à déterminer comment elle sera mise en place. Cela reste une évolution intéressante», estime Gesine Weber.
Je soupçonne que les Russes n’aient pas d’objections car ils savent que ce plan ne sera pas prêt avant des mois.
Nina Bachkatov
Spécialiste de l’espace post-soviétique
Selon les dires de Trump à Macron, Poutine aurait donc donné le feu vert pour la présence de troupes européennes. «Ce qui serait aussi une véritable évolution de la situation», souligne Gesine Weber. Mais la déclaration contraste avec la position affichée par le ministre russe des Affaires étrangères, le remuant Sergueï Lavrov, pour qui l’option était jusqu’hier «totalement inacceptable». «Je soupçonne que les Russes n’aient pas d’objections car ils savent que ce plan ne sera pas prêt avant des mois, dans le meilleur des cas», pressent Nina Bachkatov. .
Des interrogations pratiques pour la paix en Ukraine
L’ambition désormais publique de la mise en place d’une «force de paix» s’accompagne effectivement de nombreuses interrogations pratiques. Et autant de possibilités de divisions, dans le chef des Européens. Qui commandera ces unités? Comment fonctionnera la coordination avec les Américains? Quel contingent sera déployé par pays? Des pays non-européens y participeront-ils? Avec quel matériel? Sur quelle durée? Etc. «Ce ne sont pas des détails: ces éléments assurent la crédibilité ou non de la mission. Entre-temps, sans accord de cessez-le-feu, la situation peut continuer à pourrir», redoute Nina Bachkatov.
La possibilité d’envoyer des troupes avant un accord de paix «est de toute façon illusoire, exclut Gesine Weber, car cela reviendrait à les propulser en zone de guerre.» Et à placer de facto les Européens en conflit direct avec la Russie. «La présence de soldats européens soulèvent évidemment des questions logistiques. Etant donné que ce déploiement dépendra d’abord d’une signature d’un accord de paix, il n’est pas encore pour demain.»
Paix en Ukraine: deux approches se font face
Parvenir à un consensus pour un arrêt complet des combats paraît encore éloigné. «Aujourd’hui, personne n’a encore de solutions pour un accord de cessez-le-feu. Je ne suis pas très optimiste quant à l’obtention de résultats à court terme», dit Nina Bachkatov. D’autant plus que Zelensky ne sait plus à quel saint se vouer. «Il a fait preuve d’un courage extraordinaire, mais il se retrouve désormais dans une situation qui le dépasse complètement.»
Selon la chercheuse, deux approches européennes se font face: l’une serait assez satisfaite de trouver une porte de sortie «digne» à la guerre, l’autre estime que la Russie est au bord de l’effondrement, que se soumettre à la volonté de Trump est une erreur, et que signer un accord reviendrait à légitimer l’agression russe après trois années d’efforts militaires et financiers. Ce serait tout bonnement offrir la victoire à Poutine sur un plateau d’argent.
Les terres rares: la sécurité aussi…
D’autant plus qu’en parallèle, un deuxième combat a éclos. Il est économique, cette fois, et concerne la répartition des terres rares ukrainiennes. «Cette question s’inscrit dans l’approche transactionnelle chère à Donald Trump, analyse Gesine Weber. Pour lui, c’est juste une autre occasion de conclure des deals.» En revanche, note la spécialiste de la défense européenne, «cet accord économique impliquerait aussi une dimension sécuritaire. Les Etats-Unis ont intérêt à ce que l’extraction des minerais se fasse de manière stable. Ils devront donc aussi assurer leur sécurité d’une manière ou d’une autre.»
La répartition des terres rares ukrainiennes impliquerait aussi une dimension sécuritaire.
Gesine Weber
Spécialiste de la défense européenne
Entre-temps, l’Europe, via son commissaire à la stratégie industrielle Stéphane Séjourné, semble aussi vouloir réclamer sa part du gâteau. «Tout le monde veut se disputer son bout de gras avec les Américains, c’est quand même fabuleux», ironise Nina Bachkatov. «Plus sérieusement, cette situation est l’illustration du cynisme complet du nouveau rapport entre les Etats, désormais sans réels liens idéologiques. Avant, les intérêts économiques étaient mis de côté au nom de l’idéologie. Maintenant, c’est la jungle, et l’Union européenne y est très mal préparée.»
Les Etats-Unis vont-ils lever les sanctions à l’encontre de la Russie?
La nouvelle idylle russo-américaine s’est confirmée à l’ONU, ce 25 février, où les Etats-Unis ont voté contre une résolution qui condamne l’assaut de la Russie en Ukraine. Une décision saluée par le Kremlin… et qui tombe après l’annonce de Trump, la veille, de vouloir renouer des «accords économiques majeurs» avec les Russes. Avec, en filigrane, une potentielle levée des sanctions américaines envers la Russie. «Ce serait un sale coup pour les Européens, car les Américains récupéreraient les secteurs où les Européens se sont désinvestis.»
Pour certains observateurs, Trump souhaiterait surtout se rabibocher avec la Russie pour la décrocher de la Chine, considérée comme LA menace prioritaire de la géopolitique américaine. «C’est un scénario possible. Mais la stratégie de Trump n’est pas claire. Il veut surtout stopper la guerre en Ukraine car c’est une promesse électorale. Je ne pense pas qu’il ait une vision à si long terme pour la Chine», estime encore Nina Bachkatov.
Bref, malgré une volonté commune de l’Occident de vouloir avancer vite, une longue période de flou se profile à l’horizon. «On approche du moment où la guerre devient insupportable pour trop d’acteurs. Elle coûte aussi énormément à l’économie européenne, qui souffre d’un déficit de compétitivité avec les Etats-Unis, notamment au niveau énergétique. En cas de stand-by, les Russes devront se montrer prudents», conclut la chercheuse.
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