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« Un logiciel de simulation impressionnant »: en toute discrétion, l’Ukraine élabore sa contre-offensive avec les Etats-Unis

Noé Spies Journaliste au Vif
Eglantine Nyssen Journaliste au Vif, multimedia editor

L’Ukraine pourrait lancer sa contre-offensive « dès la semaine prochaine » si le terrain – encore trop boueux – s’assèche. En étroite collaboration avec les Américains, les troupes de Zelensky simulent leur stratégie sur différents logiciels. Un procédé qui leur permet de fixer des objectifs compatibles avec les moyens dont ils disposent. L’idée de reconquérir l’ensemble des territoires demeure, à ce jour, une impossibilité stratégique.

Quand ?

Principal élément qui fixera le début de la contre-offensive ukrainienne : la météo. La boue, encore largement présente sur les lignes de front, complique les opérations au sol. Le retour d’un temps plus sec décidera en grande partie du timing de l’offensive printanière tant attendue.

Mais le temps presse. En Ukraine, la pression politique et militaire pour lancer les opérations est grandissante. Plus la date de lancement est repoussée, plus les Russes peuvent se préparer. « Ils adoptent une attitude de plus en plus défensive », remarque le lieutenant-colonel Tom Simoens (ERM). « Depuis plusieurs semaines, les soldats de Poutine creusent des tranchées et des fortifications. » Le membre de l’Ecole Royale Militaire estime qu’il n’est pas impossible que l’offensive soit lancée dès la semaine prochaine si la météo s’améliore.

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Comment ?

Longtemps évoquées, les livraisons de chars occidentaux et d’autres équipements lourds arrivent au compte-gouttes sur le sol ukrainien. L’approvisionnement en munitions, toujours sur la corde raide, fait aussi partie des interrogations centrales. Cette limite quantitative contraint l’armée ukrainienne à fixer des choix stratégiques précis. Dans cet exercice, elle est largement accompagnée par les Américains.

La manière utilisée est redoutable, et ultra-moderne. Pour déterminer leurs objectifs, les Ukrainiens opèrent des simulations à l’aide de logiciels qui permettent de déterminer les risques et les manquements de la future contre-offensive.

La simulation permet de déterminer avec précision les conséquences de la contre-offensive, comme les pertes en vies et en matériel, les terrains conquis ou perdus. En prenant en compte de paramètres précis tels que la météo ou l’état de fatigue des soldats. C’est assez impressionnant.

Tom Simoens

Il existe ainsi plusieurs formes de simulation. Certaines sont réalisées sous forme de war gaming. « Il s’agit de serveurs où chaque ‘joueur’ prend des décisions, qui sont alors simulées. Cela permet de déterminer avec précision les conséquences, comme les pertes en vies et en matériel, les terrains conquis ou perdus. C’est assez impressionnant », souligne Tom Simoens. Le système est en effet très poussé : « Il tient compte de paramètres précis tels que la météo ou l’état de fatigue des soldats. Cela permet d’estimer le nombre de chars manquants pour tel objectif, par exemple. »

Une simulation ultra-précise qui permet aux Ukrainiens de fixer des buts compatibles avec les moyens à disposition. Car le manque de munitions, un problème qui demeure structurel, force l’armée de Zelensky à faire des économies. « Ils ne disposent pas d’un stock illimité. Chaque pièce a son objectif précis », note Tom Simoens.

Où ?

Le sud pourrait être le point d’ancrage principal de la contre-offensive. « Si les Ukrainiens attaquent le sud pour tenter de casser le corridor entre la Crimée et le Donbass, il s’agirait d’une belle victoire militaire. L’idée est très tentante. L’inconvénient, c’est qu’il s’agit du scénario auquel tout le monde pense », relève le lieutenant-colonel.

L’effet de surprise très limité au sud pourrait déplacer les efforts ailleurs. « L’option sud, vers Melitopol, ou Marioupol, reste la plus probable. Mais on ne peut pas exclure des attaques surprises au nord, autour de Louhansk, par exemple. »

Si les Ukrainiens attaquent le sud pour tenter de casser le corridor entre la Crimée et le Donbass, il s’agirait d’une belle victoire militaire. L’idée est très tentante. L’inconvénient, c’est qu’il s’agit du scénario auquel tout le monde pense. L’effet de surprise serait limité.

Tom Simoens

Reconquérir tous les territoires demeure à ce jour irréaliste, même si les Ukrainiens en ont sincèrement envie. « En cas d’effondrement ou d’implosion de l’armée russe sur le front, la panique ne sera pas suffisamment générale pour espérer un retrait total des troupes de Poutine. Ce scénario de libération totale du territoire est à oublier », tranche Tom Simoens, pour qui « même retourner aux lignes de front de février 2022 n’est pas très réaliste. »

Et après ?

« Après la contre-offensive, on retrouvera toujours une ligne de contact », décrypte le professeur de l’ERM. « Il faut garder à l’esprit que malgré leur bonne préparation, les Ukrainiens vont perdre des chars et des hommes. Des pertes qui seront visibles dès les premiers jours de l’offensive », prédit Tom Simoens.

Pour l’expert, cette contre-offensive doit être perçue comme une nouvelle vague, à l’instar de celles qui ont vu l’Ukraine reprendre des territoires à Kharkiv et à Kherson, durant l’automne passé. « La guerre ne s’est pas terminée après. Les Russes ont ensuite attaqué pendant l’hiver, avec peu ou pas de succès du tout. Cela fait partie d’un cycle »

Il est donc encore trop tôt pour affirmer que le conflit sera gelé, comme il l’a été dans le Donbass après 2015. Le front s’y était vraiment stabilisé, sans réelle tentative ukrainienne ou russe de changer les lignes de contact. « On n’est pas encore à ce stade-là. Mentalement, aussi, ni les Russes ni les Ukrainiens ne sont prêts à lâcher. Pour l’instant, l’option de la négociation n’est pas très réaliste », prolonge Tom Simoens.  « Après la contre-offensive ukrainienne, qui pourrait durer tout l’été, la réponse russe pourrait être massive également.  Avec plus de 140.000 conscrits, deux fois par an. »

contre-offensive
Les soldats ukrainiens peaufinent leur entraînement sur les chars Leopard 2, en Allemagne.

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