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Pour le Général français Dominique Trinquand, les missiles Patriot pourraient vite faire défaut à la défense anti-aérienne de l’Ukraine.

«Sans missiles Patriot…»: le Général Dominique Trinquand explique les conséquences de la suspension de l’aide américaine à l’Ukraine

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La fermeture du robinet de l’aide américaine à l’Ukraine pourrait déboucher sur des conséquences concrètes sur le front. La défense anti-aérienne du pays, surtout, en pâtira. «Les garanties de sécurité des Etats-Unis deviennent aujourd’hui utopiques», déclare le Général Dominique Trinquand.

Il a brandi la menace avant de la mettre à exécution. Le président américain Donald Trump a décrété la suspension de l’aide américaine à l’Ukraine. L’annonce n’a rien de surprenant en soi, au vu des positions affichées par le républicain depuis le début de sa campagne —peu favorables à l’Ukraine, et c’est un euphémisme. Sa vision transactionnelle du conflit —«remboursez l’aide américaine en cédant vos terres rares»— et l’empoignade publique avec Zelensky ont fini par transformer ses paroles en actes.

Les garanties américaines s’envolent pour l’Ukraine

Cette «pause» de l’aide, comme s’applique à le préciser l’administration américaine, —comme pour adoucir l’annonce après coup—, inscrit une ligne de plus au tour de force de Trump, bien décidé à faire céder Zelensky pour alimenter son «business».

Certes, le président ukrainien a rangé au placard ses derniers espoirs de récupérer les terres perdues par l’action militaire. Mais il espère à tout le moins des garanties de sécurité américaines en cas de cessez-le-feu. C’est le véritable nœud de la discorde ukraino-américaine, qui a provoqué la scène historique à la Maison-Blanche, vendredi dernier. Les garanties supposeraient un appui américain, notamment en termes de renseignements. Un backup de la première puissance mondiale dissuaderait aussi davantage la Russie de tenter une reprise des combats. Ces garanties américaines, Macron les a d’abord annoncées comme acquises au sortir de sa rencontre avec Trump. Mais, en une semaine à peine, elles semblent subitement hors du champ des possibles.

Sans les Patriot, la défense anti-aérienne de l’Ukraine en danger

Concrètement, comment la suspension de l’aide américaine pourrait-elle se faire ressentir sur le front? Selon toute vraisemblance, l’Ukraine ne risque pas un effondrement dans un futur très proche, car elle dispose encore de stocks des alliés. Le problème majeur, sur le court terme, «réside dans l’arrêt des livraisons de missiles anti-aériens Patriot américains, explique au Vif le Général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française à l’ONU. Sans cette protection aérienne, la population ukrainienne risque d’en souffrir directement», prédit-il.

Le problème majeur, sur le court terme, réside dans l’arrêt des livraisons de missiles anti-aériens Patriot américains.

Général Dominique Trinquand

Ancien chef de la mission militaire française à l’ONU

Les missiles sol-air Patriot (4 millions de dollars l’unité) fournissent à l’Ukraine un parapluie de défense anti-aérienne solide depuis le début du conflit, notamment sur les grandes villes ou les infrastructures critiques. En perdre l’approvisionnement pourrait exposer directement ces points clés à de potentielles frappes russes. En priorité absolue, les Européens pourraient donc fournir un apport compensatoire avec des systèmes similaires sol-air (Aster, SAMP/T) ou air-air (Gravehawk).

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Les missiles Patriot américains pourraient cruellement manquer à la défense anti-aérienne de l’Ukraine. © AFP

Craintes d’autres blocages américains en Ukraine

Selon le Général, auteur D’un Monde à l’autre, comprendre les nouveaux enjeux géopolitiques (éd. Robert Laffont), la bagatelle d’un milliard de dollars de matériel restera coincée aux Etats-Unis. «En revanche, l’Ukraine peut continuer à utiliser les armes américaines qui ont déjà été transférées. C’est simplement le réapprovisionnement qui est stoppé.»

Face au désengagement américain, l’Europe bouillonne. Entre une rencontre à Londres dimanche passé et un nouveau sommet européen prévu ce jeudi, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen annonce un plan «ReArm Europe» à 800 milliards d’euros.

En marge de ce réveil, les forces ukrainiennes redoutent que certaines armes européennes, aux composantes américaines, se retrouvent elles aussi bloquées. Trump pourrait être tenté d’invoquer la loi «ITAR», qui stipule un droit de véto américain sur les armes de fabrication US —en tout ou en partie. «En principe, les armes européennes qui contiennent des composantes américaines doivent bénéficier du feu vert des Etats-Unis pour être utilisées à l’étranger, confirme le Général Trinquand. Les Américains ont-ils la capacité de bloquer des armes occidentales par des moyens électroniques? C’est une possibilité qu’on ne peut pas exclure», dit-il.

F-35: le piège américain se referme

Ce risque de blocage américain remet inéluctablement sur la table la question de la souveraineté européenne en matière de Défense. «La France le répète depuis longtemps: l’Europe doit se munir d’un armement totalement autonome, sans lien avec l’industrie américaine, insiste Dominique Trinquand. Sans quoi, nous ne sommes pas libres.» Selon le Général, «le F-35 est un piège américain, que les Européens auraient dû voir venir.» Dans leur argument commercial, les Etats-Unis ont toujours prétendu que l’achat de l’avion de chasse de dernière génération était nécessaire pour le transport de la bombe nucléaire américaine. «Or, nous savons que la décision d’emploi reste américaine. Les pays acheteurs du F-35 (NDLR: dont la Belgique) sont désormais complètement entre les mains des Américains.» 

Le F-35 est un piège américain que les Européens auraient dû voir venir.

Général Dominique Trinquand

Ancien chef de la mission militaire française à l’ONU

L’argument de la nécessité d’interopérabilité du matériel, avancé par l’Europe, est jugé peu valable par le spécialiste des questions de Défense. «Ce sont des décisions nationales qui visaient surtout à retenir les Américains sur le sol européen. Les événements actuels démontrent qu’il s’agissait d’une illusion.» Désormais, la capacité des Européens à acheter… européen paraît donc compromise sur le court terme, «compte tenu des nombreux contrats déjà signés et des commandes en attente de livraison.»

La paix par la force

Donald Trump l’a démontré ces dernières semaines: il veut la paix par la force. «On le voit aujourd’hui: Trump utilise la force, et rien d’autre, pour contraindre les Ukrainiens de se plier à ses exigences», observe Dominique Trinquand.

Oui, l’Europe, le Royaume-Uni et le Canada trouveront certainement une position commune pour répondre au vide laissé par les Etats-Unis. «Mais la question est de savoir quel sera le différentiel entre l’aide américaine et l’aide européenne fournie. Un affaiblissement du soutien à l’Ukraine est logiquement incontournable.»

Les Etats-Unis entrent désormais dans une épreuve contre l’Ukraine, et non pas contre la Russie.

Général Dominique Trinquand

Ancien chef de la mission militaire française à l’ONU

Pour autant, malgré la suspension américaine, la Russie de Poutine «n’est plus capable de réaliser des percées sur le front actuellement, juge le Général. Ce retrait américain lui permet toutefois de penser qu’elle doit continuer de la sorte pour l’emporter.»

Après l’altercation entre Trump et Zelensky dans le Bureau ovale, le soutien américain a complètement changé de nature. La vision de JD Vance, à savoir le «Maga +++» l’a emportée. «Les Etats-Unis entrent désormais dans une épreuve contre l’Ukraine, et non pas contre la Russie», estime enfin le Général Dominique Trinquand, pour qui les garanties de sécurité américaines réclamées par Zelensky «deviennent utopiques».

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