Russie: les sanctions européennes ont-elles réellement de l’effet ?
Samedi dernier, l’Union européenne a annoncé un nouveau train de sanctions contre la Russie, le dixième depuis l’annexion de la Crimée. Ces sanctions ont-elles vraiment un effet?
Depuis 2014, l’Union européenne impose des mesures restrictives à la Russie. Celles-ci répondent aux annexions illégales de la Crimée et des régions ukrainiennes de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson, et de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. L’UE a également adopté des mesures contre la Biélorussie, accusée de soutenir la Russie, et contre les entités iraniennes qui fabriquent et fournissent des drones.
Le but de ces sanctions est « d’affaiblir la base économique de la Russie, de la priver de technologies et de marchés critiques et de réduire considérablement sa capacité à faire la guerre », sans frapper la société russe. Pour cette raison, les secteurs tels que l’alimentation, l’agriculture, la santé et les produits pharmaceutiques ne sont pas concernés.
Neuf ans après l’annexion de la Crimée, et un an après l’invasion de l’Ukraine, l’économie russe décline, mais ne s’effondre pas: fin janvier, le Fonds monétaire international (FMI) indiquait s’attendre à une contraction économique de -2,2 % contre (-3,4 % prévus). Pour 2023, le FMI table même sur même une croissance légèrement positive. Et la guerre, elle, fait toujours rage.
Echappatoires
Cela signifie-t-il que les mesures de l’Union européenne sont inefficaces ? Roland Gillet, professeur d’économie financière à la Sorbonne à Paris et à l’ULB (Solvay), rappelle que si l’Union européenne a gelé toute une série d’avoirs d’oligarques russes (le blocage concerne près de 1 500 personnes et plus de 200 entités), il leur reste toute une série d’échappatoires. « Même si les oligarques russes ont vu une partie de leurs avoirs gelés, certains ont toujours une partie qui leur permet de vivre sans aucun problème, ces sanctions peuvent mettre à mal un degré de leur richesse, mais pas toute leur richesse », explique-t-il.
Au niveau des relations économiques, l’Union européenne a interdit l’importation et l’exportation de certains biens et technologies, ainsi que la fourniture de certains services et conseils d’assistance. Cependant, si l’Europe tente de se tourner vers d’autres pays pour ses exportations, notamment de carburant et de diamants, d’autres pays, et non des moindres, continuent à faire du commerce avec la Russie. « Sur le principe, nous essayons d’empêcher de nourrir la machine de guerre russe, mais il y a des possibilités pour la Russie de détourner ses matières premières, notamment énergétiques, mais également ses diamants vers d’autres pays, qui sont des pays de très grande taille, mais qui ont aussi des besoins importants », déclare Roland Gillet.
Une volonté de ne pas se fâcher avec le régime russe
Ainsi, l’Inde, qui préside le G20 qui vient de se terminer, entretient une amitié de longue date avec la Russie et n’a pas condamné l’invasion de l’Ukraine. Quant à la Chine, elle a refusé de soutenir l’appel à un retrait des forces russes de l’Ukraine. C’est le seul pays membre du G20, en dehors de la Russie, à ne pas approuver la déclaration exigeant le « retrait complet et inconditionnel de la Russie du territoire de l’Ukraine ». « Derrière ce message, il y a la volonté de ne pas se fâcher avec le régime russe, d’être potentiellement de bons clients de la Russie », analyse Roland Gillet.
Ces pays, qui ont d’énormes besoins d’énergie et de matières premières, permettent à la Russie de continuer à exporter et affaiblissent l’impact des sanctions américaines et européennes. « Si tout le monde agissait comme les Européens, il est certain que les sanctions donneraient des résultats beaucoup plus vite, mais à partir du moment où il y a des échappatoires, et de grands pays, qui continuent à entretenir des relations économiques avec la Russie, les sanctions occidentales ont moins d’effets. »
Interrogé par notre confrère de Trends-Tendances, Michael Tran, stratégiste spécialisé en énergie auprès de RBC Capital Market, partage cet avis. « La politique de l’Union européenne consistant à serrer la vis russe est une victoire politique, mais la conséquence involontaire est que l’Europe importe effectivement de l’inflation à ses propres citoyens », déclare-t-il.
Et si à terme, le manque d’importations technologiques pourrait se faire sentir, Roland Gillet rappelle également que les Russes « ne sont pas des nains de jardin » et que là aussi, ils bénéficient de l’appui de la Chine. « Il ne faut pas oublier que les Russes ont lancé le premier satellite, que ce sont eux qui à côté des Américains, ont des lanceurs pour aller jusqu’à la station spatiale ISS, ils ont beaucoup de très bons mathématiciens et autres, etc. En effet, ils ne possèdent pas tous les produits technologiques, mais ils peuvent aussi commercer avec d’autres pays comme la Chine », conclut-il.
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