Qui a envoyé les drones sur le Kremlin? Le mystère décrypté par le lieutenant-colonel Tom Simoens (ERM)
L’auteur de l’attaque de drones sur le Kremlin reste, à ce jour, un mystère. Dans tous les cas de figure, les répercussions seront les mêmes. « L’opinion publique russe en sort plus convaincue de la nécessité d’une guerre totale contre l’Ukraine », estime le lieutenant-colonel Tom Simoens, professeur d’histoire militaire (ERM).
L’attaque de drones sur le Kremlin rajoute une dose de nervosité diplomatique dans la guerre en Ukraine. La Russie accuse les Etats-Unis et l’Ukraine, qui, elle, parle de mise en scène. L’option qui impliquerait des opposants russes est également mentionnée. Tour d’horizon des différents scénarios évoqués.
1. Une attaque ukrainienne
L’Ukraine est-elle derrière cette opération? Pas impossible, mais peu probable, tranche le lieutenant-colonel Tom Simoens (ERM). « L’opération serait complexe à exécuter pour les Ukrainiens. Par contre, de nombreuses attaques de drones ont été déjouées en Russie, depuis des mois, à des centaines de kilomètres de la frontière. L’Ukraine a donc une réelle capacité pour envoyer des drones à longue distance », souligne-t-il.
Il existe en effet plusieurs images de drones ukrainiens qui ont été abattus dans les environs de Moscou. « Ce n’est pas exceptionnel en soi, car les Ukrainiens ont déjà tenté leur chance plusieurs fois avec des drones qui ont été interceptés. Parfois, ça passe. Comme lorsqu’ils ont visé plusieurs raffineries russes », se rappelle Tom Simoens.
Pour le lieutenant-colonel, si les auteurs sont Ukrainiens, il serait dès lors étrange qu’ils n’en assument pas la responsabilité. « Car pouvoir toucher le cœur politique de son ennemi serait une victoire symbolique spectaculaire, même si les dégâts sont limités. »
Pouvoir toucher le cœur politique de son ennemi serait une victoire symbolique spectaculaire.
Tom Simoens (ERM)
Selon l’expert, si les Ukrainiens sont vraiment derrière l’attaque et que la riposte russe reste limitée, cela voudrait dire que la Russie ne dispose plus suffisamment de moyens pour augmenter ses attaques à longue distance. « Si la Russie souhaite une escalade du conflit, elle ne s’en privera pas car elle a désormais un prétexte ».
L’hypothèse d’une attaque ukrainienne démontrerait aussi la vulnérabilité et l’impuissance de la défense anti-aérienne russe contre ce genre de drones, qui volent très longuement à basse altitude. « En réalité, la plupart des systèmes de défense anti-aériens n’ont pas été développés pour descendre ces drones. Les radars ne peuvent pas tout détecter, ils sont programmés pour certaines cibles. Généralement, ils scannent le ciel à moyenne et haute altitude, pas juste au-dessus du sol. C’est d’ailleurs pour cela qu’on observe des hélicoptères et des Sukhoï ukrainiens voler à 20 mètres au-dessus des autoroutes », explique le professeur d’histoire militaire.
2. Un false flag, ou une mise en scène russe
S’il s’agit d’un false flag organisé par les Russes, il y a forcément un but derrière. Et ce but n’est pas de montrer que Moscou est vulnérable. Pour Tom Simoens, la réaction de Poutine pourrait alors prendre plusieurs formes, comme « une nouvelle mobilisation, des attaques plus brutales sur des centres politiques ou culturels à Kiev. Mais pour la Russie, la capacité d’augmenter le niveau de brutalité est limitée », estime-t-il.
Pour la Russie, la capacité d’augmenter le niveau de brutalité est limitée.
Tom Simoens (ERM)
Un élément majeur à la décharge de la théorie du false flag réside dans la nature de la cible : « Le choix d’un objectif moins symbolique que le Kremlin serait plus logique dans ce cas de figure ». Selon le membre de l’ERM, ces opérations sont si secrètes qu’il restera toujours une part de doute. « Il ne faut avoir aucune confiance dans les déclarations du Kremlin, mais il faut également se méfier des propos de Kiev », note-t-il.
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3. Des opposants russes
L’autre théorie fréquemment évoquée désigne des opposants russes comme auteurs. Mais aucun élément ne fait actuellement pencher la balance vers cette hypothèse plus que vers les deux autres. « Il est impossible, à l’heure actuelle, de déterminer s’il s’agit du scénario A, B ou C. Dans tous les cas de figure, les répercussions seront les mêmes. L’opinion publique russe en sortira plus convaincue de la nécessité d’une guerre totale contre l’Ukraine », prédit Tom Simoens.
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4. Quel but ?
Le but de cette attaque n’était certainement pas de tuer Poutine, comme le Kremlin l’affirme. C’est simple : les charges explosives étaient loin d’être suffisantes pour détruire l’entièreté d’un bâtiment aussi vaste et solide que le Kremlin. D’autant plus que la paranoïa qui habite Poutine le mène plutôt sous terre que sur les hauteurs. « Il ne va donc pas aller dormir dans le grenier », ironise Tom Simoens.
Une tentative d’assassinat d’autant plus irréaliste qu’un drone longue distance doit emporter beaucoup de carburant, ce qui limite sa charge explosive potentielle. « C’est ce qu’on a vu : l’explosion était limitée. Pour tuer un homme avec une charge si faible, il faudrait un tir direct, sans obstacle. »
5. L’éternel retour de la menace nucléaire
Suite à l’attaque, les rumeurs et les menaces de déploiement nucléaire russe ont à nouveau la cote. « C’est de l’intimidation », juge Tom Simoens. « On ne peut pas dire que l’existence de la Russie soit menacée si un drone tombe sur le Kremlin. Il faut aussi espérer que les alliés des Russes fassent comprendre à Poutine qu’une attaque nucléaire n’est pas envisageable car il n’y a aucun but stratégique valable. Mais cette rhétorique fait partie de sa communication envers le peuple soviétique. »
Il conclut : « Dès que les choses se passent mal sur le champ de bataille, cette menace nucléaire remonte systématiquement à la surface. Rien d’étonnant. »
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