Que cache le silence radio de l’Ukraine? « Ils ont du mal à utiliser le nouveau matériel »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La contre-offensive ukrainienne ne prend pas la tournure attendue. Si les hommes de Zelensky ont encore plusieurs cartes à jouer, ils ont également du mal à se synchroniser avec le nouveau matériel occidental. Décryptage en sept points avec le lieutenant-colonel Tom Simoens, professeur d’histoire militaire à l’ERM.

1. Tom Simoens, quel est l’état actuel de la contre-offensive de l’Ukraine?

On s’attendait à ce que les Ukrainiens soient plus avancés. Début juin, ils espéraient rompre les lignes russes et percer rapidement, ce qui n’a pas fonctionné. Depuis mi-juin, ils ont changé leur fusil d’épaule, en adoptant une approche d’attrition, une guerre d’usure. L’Ukraine se concentre désormais sur trois grands axes : Bakhmout à l’est, Orikhiv (Zapporijia) à l’ouest, et Velyka Novosilka entre les deux, dans la partie sud du front. Ils essaient de trouver les faiblesses dans les défenses russes, et surtout d’éviter leurs points forts. Les Ukrainiens avancent petit à petit, par « ligne d’arbres ». C’est une tactique relativement sûre, qui ne demande pas des dizaines de blindés.

La semaine passée, on a toutefois vu une poussée ukrainienne claire, avec quelques résultats favorables mais minimes. Pour l’instant, on constate également un silence radio dans la communication de l’Ukraine. Du gouvernement, mais aussi des bloggeurs. Ce silence ne cache pas forcément un grand succès, c’est peut-être même le contraire.

2. Est-il trop tard pour assister à la grande contre-offensive de l’Ukraine cet été?

Non, les Ukrainiens ont encore deux ou trois mois. Mais je crains qu’on n’assiste pas à une grande rupture côté russe. Il y aura encore des gains territoriaux ukrainiens, mais il n’est pas certain qu’ils atteignent leurs objectifs. En juin, les frappes ukrainiennes en profondeur permettaient de disloquer des lignes logistiques russes. Mais force est de constater que les Ukrainiens ont vraiment du mal à utiliser le nouveau matériel. On a peut-être été un peu trop naïf à cet égard. Trois mois d’entrainement pour former des brigades, ce n’est pas assez. L’utilisation combinée des différentes armes pose problème. D’un point de vue logistique, le fait qu’il y ait beaucoup de modèles complique également les choses.

3. Comment les Ukrainiens opèrent-ils?

Dans les offensives, on constate que l’artillerie tire d’abord, puis l’infanterie attaque dans un deuxième temps. C’est une approche séquentielle. Or, l’idéal est de mettre en place une approche simultanée. Cette dernière veut que l’artillerie tire pendant que les chars avancent, soutenus par l’infanterie. Le séquençage est une forme plus facile, primitive, mais moins efficace. Il faut espérer que les Ukrainiens s’améliorent et se rapprochent petit à petit de l’approche synchronisée.

4. L’Ukraine attend-t-elle de recevoir un maximum de livraisons, dont les F-16, avant de se lancer?

Pas vraiment. Car la pression politique occidentale sur l’Ukraine pour qu’elle obtienne des résultats est énorme. Et leur progression actuelle ne répond pas du tout aux attentes. Néanmoins, les Ukrainiens ont encore beaucoup de troupes en réserve et des cartes à jouer. Leur espoir est d’épuiser les Russes jusqu’à obtenir un effondrement local exploitable. Ce scénario est légitime mais on ne sait pas s’il est réaliste. Les Russes mènent le combat défensif bien mieux qu’on l’estimait en avril.

Ukraine
Pour le lieutenant-colonel Tom Simoens l’espoir de l’Ukraine est d’épuiser les Russes jusqu’à obtenir un effondrement local exploitable.

5. Les mines représentent-elles l’obstacle majeur?

Oui. Les champs de mines sont très développés. L’utilisation des missiles antichars et des hélicoptères d’attaque russes compliquent la manœuvre ukrainienne. Ils combinent des mines antipersonnel et antichar et les superposent parfois. Les chars Leopard peuvent résister à une mine, mais pas à trois simultanément. L’effet est gigantesque. Le personnel peut y survivre, mais le véhicule sera immobilisé.

Les mines compliquent également le travail pour les positions ukrainiennes reconquises, dans l’optique des ravitaillements de troupes. Les Russes peuvent dès lors se focaliser sur les quelques routes d’accès non-minées, qui sont utilisées en priorité par les Ukrainiens. Les hommes de Poutine ont aussi innové en la matière, en creusant des tranchées non-occupées mais minées. Tous ces éléments expliquent pourquoi les Ukrainiens souffrent.

6. Les armes à sous-munitions, qui ont tant fait débat, sont-elles efficaces sur le champ de bataille?

Elles sont utiles pour toucher des soldats et des véhicules à découvert. Mais ces sous-munitions ne vont pas créer des brèches par miracle ou percer un bunker, par exemple. Ce n’est pas l’élément qui va rendre l’opération dix fois plus facile.

7. La théorie qui veut que les Ukrainiens coupent le sud en deux parties, afin d’isoler les forces russes, est-elle probable ?

Les Ukrainiens ont quatre objectifs principaux:

  • Reprendre la ville de Bakhmout : l’objectif est politique, au vu de l’investissement énorme des Russes dans cette localité ;
  • Dans le sud, Velyka Novosilka doit ouvrir la voie vers Marioupol ou Berdiansk (et la mer d’Azov), de sorte à couper en deux le corridor terrestre entre la Crimée et le Donbass. Les Ukrainiens ne doivent pas atteindre physiquement la mer d’Azov : s’ils sont à 30-40km, tout passage russe sera soumis au tir d’artillerie ukrainien ;
  • Avancer vers la Crimée, de façon à ce qu’elle se retrouve dans le rayon d’action des obusiers et Himars ;
  • Reprendre la centrale nucléaire de Zaporijia.

Si les Ukrainiens n’atteignent pas un de ces quatre objectifs d’ici octobre, on pourra parler d’échec.

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